lundi 13 juillet 2009

Jean-François Parot : crimes et courtisans


L'ambassade de France en Guinée-Bissau n'a rien à voir avec les places fortes de la France à l'étranger. C'est une grande maison moderne et confortable, fraîchement restaurée, agrandie et repeinte en blanc, entourée d'un jardin tropical.
Le maître des lieux s'appelle Jean-François Parot, 62 ans, allure imposante et débonnaire, pantalon et chemise de lin blanc.

Depuis fin 2006, il occupe le poste d'ambassadeur de France.
Mais il est aussi écrivain, auteur des aventures de Nicolas Le Floch, policier dans le Paris des Lumières.
Ses romans (huit à ce jour, tous publiés aux éditions JC Lattès, puis en poche chez 10/18) rencontrent un succès croissant : deux volets ont été adaptés pour la télévision et diffusés sur France 2, et un troisième épisode est en tournage.

Un ambassadeur romancier... Aussitôt revient en mémoire la longue lignée des écrivains diplomates, les
Saint-John Perse, Paul Morand ou Paul Claudel, à l'immense postérité littéraire.
La tradition n'est pas morte : à l'heure actuelle, la France compte trois écrivains ambassadeurs. Outre Jean-François Parot, il y a Daniel Rondeau à Malte et le Prix Goncourt Jean-Christophe Ruffin, à Dakar.

Il assume cette tradition, confie même qu'il regrette l'époque des "plumes d'or" du Quai.
Mais il ne se sent pas le fruit de cette lignée : "Je me suis lancé dans la diplomatie presque par accident. Moi, je suis plutôt un canard sauvage." De fait, Jean-François Parot n'était pas destiné à cette carrière. Il a grandi dans le milieu du cinéma, se promenant, enfant, avec Gabin dans les studios de Boulogne, empilant les boîtes de Celluloïd en guise de jeux de construction. Son grand-père était monteur sur le Napoléon d'
Abel Gance, et sa mère travailla notamment pour Marcel Carné.

Etudiant en histoire à la Sorbonne en 1968, il travaille sur les structures sociales du Paris de la Révolution, sous la direction de
Roland Mounier, pour éviter la tutelle du pape des études révolutionnaires, Albert Soboul : "Il était communiste et moi gaulliste, ça ne pouvait pas marcher." Après un diplôme d'études supérieures d'ethnologie, il part faire son service en coopération à Saint-Louis du Sénégal. "A mon retour, j'ai passé simultanément le concours de l'agrégation d'histoire, celui d'administrateur à l'Assemblée et au Sénat et celui des affaires étrangères. Les résultats de celui des affaires étrangères sont tombés les premiers, et j'ai abandonné le reste..."

Ses premières affectations le conduisent au Zaïre, au Qatar, au Soudan et à Djibouti. En 1982, il est nommé consul à Ho
Chi Minh-Ville. "A l'époque, le Vietnam était fermé. Il n'y avait que les Soviétiques et nous", se souvient-il, nostalgique de ce pays dont il a ramené un fils. Puis il y eut Ouagadougou, Tunis, Athènes et Sofia, le tout entrecoupé de missions en France. Un parcours classique, couronné par un poste d'ambassadeur en Guinée-Bissau.

Sur sa carrière, Jean-François Parot est plutôt avare de confidences. On n'apprendra rien de nouveau sur le
Zaïre de Mobutu, le Vietnam communiste ou la Tunisie de Ben Ali : l'ambassadeur reste dans son rôle, et pèse soigneusement ses mots. Son premier supérieur hiérarchique, à Kinshasa, lui avait confié que, dans ce métier, "le plus important est de reconnaître les masques". Recommandation utile pour un diplomate et qui pourrait aussi bien s'appliquer à sa créature, commissaire de police opérant dans les méandres du Paris des Lumières.

Son personnage, Nicolas Le Floch, est né à la fin des années 1990, à Sofia. Commissaire au Châtelet, il est aussi marquis de Ranreuil, familier des cours de Louis XV et Louis XVI et de leurs intrigues. Policier caméléon, réprouvant la torture mais comptant le bourreau Sanson parmi ses amis, il est à la fois acteur et observateur, confident des rois et familier des tire-laine.

Cette liberté de mouvement est sans doute pour beaucoup dans le succès de ses aventures. Invraisemblable, direz-vous ? "Pas du tout. L'époque est riche de destins comme celui de Nicolas. J'ai beaucoup consulté les archives du
Quai d'Orsay. J'y ai trouvé des histoires que je n'oserai jamais écrire : elles sont beaucoup trop invraisemblables..."

La méthode Parot est là, dans le mélange entre roman d'aventures et érudition historique. Intarissable sur la géographie du Paris des Lumières, Jean-François Parot est également expert dans un autre domaine, au moins aussi important à ses yeux : la cuisine de l'époque, à laquelle il consacre de longues descriptions. Et sur laquelle son érudition n'est pas que théorique.

C'est un acquis depuis Talleyrand : la gastronomie est une composante majeure de l'influence diplomatique nationale. Depuis sa modeste ambassade (moins de dix personnes en tout), Jean-François Parot s'efforce de tenir son rang. Soufflés, turbot, vins fins... On murmure que sa table est la meilleure d'Afrique de l'Ouest ? Il laisse dire. Et s'amuse à raconter que, dans quelques jours, le personnel de la résidence va être réquisitionné pour blanchir des tripes.

Comme l'ambassade est petite, et surtout parce que ça lui plaît, Jean-François Parot fait lui-même ses courses. "La cuisine d'un diplomate, c'est un peu comme la cuisine du marché. On fait avec ce qu'on trouve. Mais je m'organise. Il n'y a pas de raison de renoncer à ça", confie-t-il en passant d'une échoppe à l'autre, dans les rues paisibles et délabrées du coeur de Bissau, capitale oubliée d'un Etat qui existe à peine. Un pays - gangrené par le trafic de drogue - dont la principale ressource naturelle est la noix de cajou, et qui n'a même pas les moyens d'entretenir une prison...

Maisons coloniales vermoulues, routes défoncées, l'ambassadeur montre en chemin la façade ocre du palais présidentiel, ravagé à la fin des années 1990 et inhabité depuis. Plus loin, la voiture ralentit devant une maison blanche sans charme, à la façade trouée d'impacts de balles : c'est là que vivait le président
Joao Bernardo Vieira, assassiné le 2 mars.

Le deuxième tour de l'élection présidentielle, qui doit lui désigner un successeur, se tiendra le 26 juillet et, d'ici là, dans un calme irréel, l'ambassadeur attend. Sa principale préoccupation est le discours qu'il devra prononcer le 14 juillet : la fête de l'ambassade de France est le plus important rendez-vous mondain de l'année et ses paroles seront particulièrement écoutées.

Pendant ce temps, il poursuit, sur de petits carnets, la rédaction de son prochain roman. Ces deux réalités, l'écriture et la vie d'ambassadeur, se mélangent-elles parfois ? "Je ne cache pas de clés dans mes romans, je m'y refuse. Mais ce que je vis m'influence forcément un peu. Par exemple, depuis que je vis ici, il fait plus chaud dans mes romans."
"J'ai l'impression de vivre avec mon personnage, d'être à côté de lui", poursuit-il. En équilibre, un pied dans un pays en ruine et l'autre à deux siècles et à 5 600 km de là. Rêvant à Versailles et aux jardins à la française.

source - Jérôme Gautheret -
http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/07/13/jean-francois-parot-crimes-et-courtisans_1218285_3260.html#xtor=RSS-3260

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