lundi 29 décembre 2008

Mort d'Hillary Waugh, l'écrivain de polars méticuleux et précis

Le diable est dans les détails, mais les solutions de l'énigme aussi.
Sa carrière fut des plus prolifique et il aura plongé des générations entières de lecteurs dans des intrigues tournant autour de petites villes des États-Unis, avec un sens aigu du réalisme et une excellente connaissance des techniques policières d'investigation : Hillary Waugh est mort le 8 décembre, à l'âge de 88 ans, a révélé son fils ce week-end.
Avec près de 50 romans à son actif, une somme qui lui valut le Grand Master Award en 1989 émanant de la prestigieuse Mystery Writers of America, il rejoignait ainsi d'autres grands tels que Hitchcock, Agatha Christie ou encore Higgins Clarke.
Son premier roman, publié en 1947, Madame Will Not Dine Tonight, plongeait avec un étonnant souci du détail dans les véritables méthodes d'investigation, une réaction à des héros et détectives empotés et idiots ou bien super déductifs et géniaux.
« Je voulais sortir de ces petits cadavres méticuleux, avec une balle logée en pleine tête, et traiter l'histoire comme elle s'était déroulée. »
Outre ses romans, on retiendra également un guide d'introduction aux mystères de l'écriture...
source : Clément S., le lundi 29 décembre 2008 -http://www.actualitte.com/actualite/6960-Hillary-Waugh-mort-investigation-realisme.htm
Carcasse
Un tailleur en lambeaux et une bague portant deux initiales à demi effacées.... C'est tout ce dont la brigade criminelle dispose.
Quant au cadavre, il est trop mutilé pour qu'il soit possible d'identifier la victime.
Tout au plus peut-on dire qu'il s'agit d'une tille de vingt-cinq ans environ, de race blanche.
C'est un peu maigre pour la suite de l'enquête. A moins que... Oui, il y a un moyen d'en savoir plus.
Avec un crâne, de la cire et de solides notions d'anatomie. on peut faire (lu bon travail. On peut même remodeler le visage d'une jolie fille…
voir d'autres titres en poche :

dimanche 28 décembre 2008

Dan Simmons - Terreur

livre de chevet

Bien qu'il s'agisse vraiment d'un pavé de 700 pages, me suis laissée convaincre de le lire pour le côté historique.
Pas mal de longueur tout de même, mais au final une histoire passionnante.
La fin est originale... mais chut ! lisez-le !
et curiosité de lecture : inuit


1845, Vétéran de l'exploration polaire, Sir John Franklin se déclare certain de percer le mystère du passage du Nord-Ouest.
Mais l'équipée, mal préparée, tourne court; le Grand Nord referme ses glaces sur Erebus et Terror, les deux navires de la Marine royale anglaise commandés par Sir John.
Tenaillés par le froid et la faim, les cent vingt-neuf hommes de l'expédition se retrouvent pris au piège des ténèbres arctiques.
L'équipage est, en outre, en butte aux assauts d'une sorte d'ours polaire à l'aspect prodigieux, qui transforme la vie à bord en cauchemar éveillé.
Quel lien unit cette "chose des glaces" à Lady Silence, jeune Inuit à la langue coupée et passagère clandestine du Terror?
Serait-il possible que l'étrange créature ait une influence sur les épouvantables conditions climatiques rencontrées par l'expédition?
Le capitaine Crozier, promu commandant en chef dans des circonstances tragiques, parviendra-t-il à réprimer la mutinerie qui couve?
Désigné comme l'un des dix meilleurs livres de l'année 2007 par Entertainment Weekly et USA Today, Terreur arrive enfin en France.
S'inspirant d'une histoire authentique - celle de l'expédition Franklin, qui passionna l'Angleterre victorienne -, Dan Simmons livre un roman sombre et grandiose, d'une intensité dramatique et d'un souffle exceptionnels.

L'HMS Erebus et le HMS Terror f
urent tous deux équipés d'un moteur à vapeur de 20 chevaux et d'un renforcement en fer pour la coque pour leur prochain voyage vers l'Arctique avec John Franklin. Le commandement du Terror fut de nouveau donné à Crozier.
L'expédition a reçu l'ordre de rassembler des données sur le magnétisme dans l'Arctique canadien et de tenter une traversée du passage du Nord-Ouest, qui avait déjà été accompli par deux navires, l'un venant de l'Est et l'autre de l'Ouest, mais qui n'avait jamais été entièrement fait par un navire.

Les navires ont été vus pour la dernière fois entrant en
mer de Baffin en août 1845.
La disparition de l'expédition Franklin déclencha un énorme effort de recherche dans l'Arctique. Une série d'expéditions entre 1848 et 1866 permit de connaître le sort des navires.
Bloqués par la glace, ils furent abandonnés. Leurs équipages sont morts de froid ou de faim, en essayant de rejoindre par la terre le Sud.
Les expéditions ultérieures ont aussi révélé, en particulier par l'autopsie de membres des équipages, que leurs rations, des conserves mal préparées, auraient pu être cause de saturnisme ou de botulisme.

Francis Rawdon Moira Crozier
(septembre 1796 - vers 1848) est un explorateur britannique qui participa à six expéditions en Arctique et en Antarctique.

Il accompagne notamment les explorateurs
William Edward Parry, James Clark Ross et John Franklin dans des expéditions polaires.

Il périt lors de l'expédition de
John Franklin après que leur navires HMS Erebus et HMS Terror furent bloqués par la glace.

Il tient son prénom de
Francis Rawdon-Hastings qui était un ami de son père.

De nombreux lieux portent le nom de « Crozier », notamment des
caps sur l'île de Ross et l'île du Roi-Guillaume, et l'île Crozier.

John Franklin
Il est gouverneur de Tasmanie de 1836 à 1843. Puis il entreprend une expédition pour découvrir le passage du Nord-Ouest.

Le 19 mai 1845, Franklin et 134 hommes quittent l'Angleterre à bord des HMS Erebus et HMS Terror.
Ces deux navires robustes disposent du matériel dernier cri : moteur à vapeur, chauffage, riche bibliothèque et vivres pour trois ans. Mais ceux-ci ont été mis en conserve négligemment et seront contaminés par le plomb de soudure des couvercles. Après une erreur de navigation, il fait une escale à Whitefish Bay, au Groenland.

Mais l'équipage doit hiverner sur la
péninsule de Boothia. De nombreux hommes y moururent, dont Franklin, et le reste de l'équipage mourut en voulant revenir par le territoire canadien.

Trois années plus tard l'amirauté lance les recherches avec une forte récompense.
La légende de Sedna

Sedna est encore aujourd’hui une légende très connue des Inuit, et il existe autant de versions que de villages.

Une jeune fille vivait solitaire avec son père, veuf. Par ruse, elle fût séduite et se maria ( là, les versions sont variées, avec un chaman, un homme-oiseau ou un homme-chien).

Après quelques temps sur son île lointaine, son père entendit des plaintes au delà de la mer: c’était sa fille qui était maltraitée. Il embarqua sur son kayak pour aller la chercher et il reprit la mer avec sa fille. Son mari voyant Sedna s’enfuir et doté de pouvoirs surnaturels ordonna à la mer de se déchaîner.

Voyant la mort arriver, le père sacrifia Sedna en la jetant à la mer, mais celle-ci, s’agrippant au bord mettait l’embarcation en péril. Le père coupa alors les doigts de Sedna et ils devinrent poissons, les pouces et les mains et ils devinrent phoques, baleines et tous les animaux marins.

Sedna coula au fond de l’eau où elle réside encore comme déesse de la mer. Quand la chasse n’est pas bonne ou que la mer est démontée, la croyance est que Sedna est en colère car ses cheveux sont emmêlés et, n’ayant plus de mains, elle ne peut les peigner. C’est alors que les chamans, par leur magie, arrivent à aller peigner Sedna et ainsi reviennent le calme et les animaux.

Cette légende fait en sorte que les chasseurs vivent dans l’obligation de traiter la mer et les femmes avec respect.

Frère Lune et soeur Soleil

Les gens assistaient à une danse du tambour. Une fillette s’est cachée, seule, dans un iglou.
Pendant qu’elle était dans l’iglou, quelqu’un est entré, a soufflé la lampe, lui a tiré les cheveux et est sorti en courant.
Voulant savoir qui avait fait cela, la fillette a mis de la cendre dans ses cheveux et a attendu.

D’après le reste du conte, le mystérieux visiteur revient et met de la cendre sur ses mains.
Lorsque la fillette se rend à la salle de danse, elle constate que la personne marquée est son frère. Fâchée, la fillette saisit un flambeau et se sauve en courant. Son frère saisit aussi un flambeau et part rapidement à la poursuite de sa soeur.
Ils courent tous les deux si vite qu’ils s’envolent dans les airs, où la fillette devient le soleil et son frère, dont le flambeau s’était éteint, devient la lune.
- Une histoire racontée par Victoria Mamnguqsualuk lors d’une entrevue réalisée par Bernadette Driscoll (d’abord traduite en anglais par Thomas Iksuraq)

Inukshuk

Inukshuk, dans la langue Inuit, signifie "celui qui ressemble à un homme".

Inukshuiit est le pluriel de inukshuk.
L’ inukshuk est construit avec des pierres de façon à ressembler grossièrement à un être humain.
Les inukshuiit ont joué un rôle important dans la chasse traditionnelle au caribou.
Les inukshuiit étaient disposés, comme des épouvantails de pierre pour attirer les caribous dans un cul de sac, lieu d’embuscade sur une colline.
Les chasseurs, armés d’arcs et de flèches, étaient cachés derrière les inukshuiit. Les femmes et les enfants servaient de rabatteurs.
L’ inukshuk pouvait aussi servir de point de repère ou de cairn identifiant la position d’une cache pour la nourriture.

De nos jours il en subsistent encore sur les collines, dispersés ici et là sur la terre gelée, visibles à des kilomètres. Les voyageurs peuvent les utiliser comme des repères directionnels. Certains auraient plus de 10 siècles.

L’inukshuk est un des thèmes de l’art inuit, entre l’abstrait et le figuratif.

Kajutaijuq, le mauvais esprit qui vient

Un camp en migration a dû laisser derrière quelques personnes qu’on viendrait chercher plus tard au moyen d’attelages de chiens.
Les gens restés sur place ont fini par en avoir assez d’attendre.
Affamés, ils ont décidé de se rendre à pied au nouveau campement.
Un garçonnet et une fillette se sont rendus à toute vitesse jusqu’à l’un des iglous vides, dans l’espoir d’y trouver quelques restes de nourriture. Ils ont découvert quelque chose d’étonnant alors qu’ils cherchaient de la nourriture.

La créature étonnante que les enfants ont découverte était Kajutaijuq.
Cette dernière est un énorme esprit de sexe féminin qui n’a pas de corps.
Elle possède une énorme tête reposant sur deux courtes jambes se terminant par trois orteils.
Elle avait la réputation de créer du tonnerre en marchant, de dévorer des Inuit qui n’étaient pas conscients de sa présence et de se frapper contre des choses (même d’enfoncer le mur des iglous) en plein milieu de la nuit.
On dit que des cognements, des outils brisés et des bruits inexplicables sont des preuves de sa présence.
-Une histoire racontée par Davidialuk lors d’une entrevue réalisée par Mary Palisar, qui l’a traduite.

Kivioq

Kivioq est un Inuk aventurier qui voyage à travers l’Arctique en affrontant diverses difficultés, tant réelles qu’imaginaires.
Kivioq est un homme qui a de nombreuses vies.
Il a figuré comme héros dans un grand nombre de légendes inuit et il a participé à de nombreuses aventures en compagnie de créatures vivant dans l’Arctique.
Cette histoire-ci nous raconte la formation de la glace, dans les mers de l’Arctique.

La veuve to’talik a vêtu son fils nouveau-né de la peau d’un phoque qui n’était pas né. Elle lui a enseigné à retenir son souffle dans un seau d’eau jusqu’à ce qu’il puisse le retenir suffisamment longtemps. Un jour, elle a envoyé son fils, transformé en phoque, devant les kayaks. Elle lui a dit de mener les kayaks à la mer et, lorsqu’ils seraient assez loin, elle provoquerait une tempête.

Une tempête s’est élevée quand les kayaks ont été assez loin dans la mer et tout le monde s’est bientôt noyé, sauf Kivioq. Entraîné loin de sa course par la tempête, ce dernier est parvenu à une terre qu’il ne connaissait pas.
Il a alors vu une maison sans toit ni fenêtre. Il a laissé son kayak au bord de la plage, pour pouvoir s’enfuir rapidement. Il a grimpé sur la maison et a vu une vieille sorcière en train de tanner une peau d’humain.
Kivioq a craché et la sorcière a essayé de regarder en haut. Ses paupières étaient si grosses qu’elles sont retombées sur ses yeux quand elle a levé la tête. Elle se demandait comment il se faisait que le toit de la maison coulait alors qu’il n’y avait jamais eu de fuite auparavant.

Quand Kivioq a craché à nouveau, elle a pris son ulu et s’est coupé les paupières. Elle a alors vu Kivioq. Ses yeux étaient si épouvantables qu’un homme pouvait mourir en la voyant.
Elle l’a invité à entrer pour faire sécher ses vêtements, qu’elle a accrochés à un étendoir à linge. Elle est allée dehors pour trouver du combustible pour le feu, ayant l’intention de manger Kivioq. Resté seul, ce dernier a aperçu de nombreuses têtes de mort, un peu partout. L’une d’elles s’est mise à parler et l’a averti de s’échapper, sinon il se ferait également tuer.

Quand Kivioq est allé chercher ses vêtements sur l’étendoir à linge, ils ont disparu. Heureusement, son esprit guérisseur est entré en volant et lui a remis ses vêtements.

La sorcière l’a vu partir. Elle a couru jusqu’à l’eau pour l’attraper mais ne pouvant pas l’atteindre, elle a tranché un rocher en granite à l’aide de son ulu aussi facilement que si cela avait été de la viande.
Mais Kivioq a lancé son harpon contre une roche et l’a fracassée. Il l’a avertie qu’il aurait pu la harponner de la même façon. Elle lui a demandé de l’épouser, mais il a refusé. Elle était tellement enragée contre lui qu’elle lui a lancé son ulu et a transformé toute l’eau en glace.
-Une histoire racontée par Kuvdluitsoq lors d’une entrevue avec Knud Rasmussen, qui l’a traduite.
autres sites :


samedi 27 décembre 2008

livre de cuisine : Testicules de Blandine Vié

Petite lecture amusante...
Comme l'écrivait si savoureusement François Vatable Brouard (1556-1626) à l'aube du XVIIe siècle, sous le pseudonyme de François Béroalde de Verville " On ne fait non plus cas des pauvres que de couilles, on les laisse à la porte, jamais n'entrent. "
Dans les livres de cuisine non plus, les couilles n'entrent guère, et pourtant elles firent les délices de la cuisine de cour sous Louis XV, furent un hors-d'œuvre friand de la cuisine classique et bourgeoise au XIXe siècle, et l'un des mets canailles préférés des professionnels de la viande à la Villette, à la grande époque des Abattoirs.
Il m'a donc semblé que c'était un devoir de mémoire de leur rendre hommage en collectant les recettes qui les mettent en scène. Puis finalement, de leur rendre hommage tout court, à celles qu'on apprête pour les déguster... et à celles qu'on déguste sans apprêt !
Mon livre se présente donc comme un recueil de gourmandises. en tout genre ou piocher aussi bien des nourritures pour la bouche que des nourritures pour l'esprit.
Une leçon de "choses" en quelque sorte. Les mots saveur et savoir ayant. la même filiation étymologique - puisque saveur ("qualité perçue par le sens du goût") vient du verbe latin sapere, qui a d'abord voulu dire "avoir du goût, exhaler une odeur, sentir par le sens du goût", avant de signifier, de manière plus figurée, "avoir de l'intelligence, du jugement, connaître, comprendre, avoir la connaissance" -, ce compagnonnage m'a paru aller de soi.
Une manière comme une autre de faire d'une pierre deux coups... ou plus exactement d'une paire deux couilles ! Blandine Vié.

vendredi 26 décembre 2008

Le prix Nobel de littérature 2005 Harold Pinter est mort

"La quête de la vérité ne peut jamais s’arrêter. Elle ne saurait être ajournée, elle ne saurait être différée. Il faut l’affronter là, tout de suite" - Harold Pinter.
*
Récompensé en 2005 et connu pour son engagement politique, l'écrivain et metteur en scène britannique est décédé à l'âge de 78 ans des suites d'un cancer.

L'écrivain et dramaturge britannique Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, est décédé à l'âge de 78 ans, a annoncé jeudi 25 décembre son épouse Antonia Fraser, sur le site du quotidien The Guardian.
L'artiste, qui souffrait d'un cancer, est mort mercredi soir, a déclaré sa seconde épouse au journal.
"C'était un grand homme et ce fut un privilège de vivre avec lui pendant plus de trente trois ans. Il restera à jamais dans nos mémoires", a-t-elle dit.

Intellectuel connu pour ses prises de positions politiques tranchées, Harold Pinter a écrit une trentaine de pièces de théâtre.
Il était également poète, metteur en scène et auteur de scénarios de films, dont plusieurs adaptations de ses oeuvres.
Militant contre la guerre en Irak
Fils d'un tailleur juif, il était né le 10 octobre 1930 à Hackney, un quartier populaire situé à l'est de Londres. Etudiant brièvement dans une école de théâtre, il produit dès 1957, à 27 ans, "The Room" ("la Chambre"), immédiatement suivi de "The Dumb Waiter" ("Le monte-plats"), puis, l'année suivante de "The Birthday Party" ("L'anniversaire").

Le succès vient avec "The Caretaker" ("le Gardien"), filmé en 1963.

Il collaborera à plusieurs reprises pour le cinéma, écrivant notamment les scénarios de "La Maîtresse du Lieutenant français" et de "L'Ami retrouvé".

Critique acerbe dans les années 1980 du président américain Ronald Reagan et de sa contemporaine britannique, l'ancien Premier ministre Margaret Thatcher, Pinter avait tourné plus récemment sa colère contre l'engagement de l'Onu au Kosovo (1999), l'invasion américaine de l'Afghanistan (2001) et la guerre en Irak (2003), comparant Tony Blair à "un idiot plein d'illusions" et qualifiant George Bush de "criminel de guerre".

Légion d'honneur

Artiste engagé, il avait vilipendé l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair et le président américain George Bush dans un enregistrement vidéo diffusé lors de la remise de son prix Nobel, où il avait été absent.Il y réclamait leur comparution devant la Cour internationale de justice pour avoir déclenché la guerre en Irak.

Les médecins lui avaient diagnostiqué un cancer de l'œsophage en 2002.Il n'avait pu se rendre à la remise des prix Nobel en 2005 à Stockholm à cause de son état de santé.

Harold Pinter "est généralement considéré comme le représentant le plus éminent du théâtre dramatique anglais de la seconde moitié du XXe siècle", avait alors indiqué l'Académie suédoise pour expliquer pourquoi il en avait fait le lauréat cette année du prix Nobel de littérature.
Harold Pinter avait reçu la Légion d'honneur des mains de Dominique de Villepin en janvier 2006.
source -NOUVELOBS.COM 26.12.2008 06:53
Biographie (wikipédia) :
Pinter est né dans une famille d'origine russe et de religion juive du faubourg d'Hackney à Londres.
Son père était tailleur pour dames.
Pendant sa jeunesse, l'auteur a souvent été confronté à l'antisémitisme ce qui, selon ses dires, a largement contribué à nourrir sa vocation de dramaturge.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il quitte à 9 ans la capitale britannique et n'y revient qu'à ses 12 ans. Plus tard, il avoue que l'expérience des bombardements ne l'a jamais laché.

De retour à Londres, il entame des études à la Hackney Downs Grammar School, joue
Macbeth et Roméo dans des mises en scène de Joseph Brearly puis passe brièvement à la Royal Academy of Dramatic Art en 1948. Deux ans plus tard, il publie ses premiers poèmes.
En 1951, Pinter est admis à l'Ecole Centrale des Arts de la Scène. La même année, il est engagé dans la troupe théâtrale ambulante irlandaise d'Anew McMaster spécialisée dans Shakespeare qui lui met le pied à l'étrier.
Entre 1954 et 1957, il entame une tournée en tant que comédien sous le nom David Baron. Sa première pièce, The Room (La Pièce) est interprétée en 1957 par les étudiants de l’Université de Bristol.

The Birthday Party (L'Anniversaire,
1958 ) n'intéresse pas le grand public, malgré une bonne critique publiée dans le Sunday Times par Harold Hobson. Mais après le grand succès de The Caretaker (Le Gardien) en 1960, la pièce est rejouée et reçoit cette fois-ci un accueil triomphal.
Ses pièces et autres œuvres de cette période, telles que The Homecoming en 1964, sont parfois étiquetées comme mettant en scène une « comédie de la menace ».
Avec une intrigue réduite au minimum, elles prennent souvent pour point de départ une situation en apparence anodine mais qui devient rapidement menaçante et absurde par le biais des acteurs dont les actions semblent inexplicables aux yeux du public et des autres personnages de la pièce.
L’œuvre de Pinter a dès le début été marquée par l’influence du théâtre de l'absurde et de Samuel Beckett. Par la suite, les deux hommes sont devenus amis.

On peut parler, dans les productions de Pinter, d'une première phase qualifiée de « réalisme psycholoqique » que suit une période plus lyrique avec Landscape (
1967) puis Silence (1968). A cela, s'ajoute une troisième phase politique avec One for the Road (1984), Mountain Language (1988), The New World Order (1991) et d’autres pièces.
Cependant, il faut pas trop prendre en compte cette classification trop simpliste, chacune des époques débordant sur l'autre. Elle oublie de surcroît certains des textes les plus forts de l'auteur comme No Man's Land (1974) et Ashes to Ashes (1996).
Caractéristiques de ses pièces
Pinter renvoie généralement le théâtre à sa base élémentaire avec des dialogues qui basculent de manière inattendue et des pièces closes où les êtres sont livrés les uns aux autres et où le masque des convenances sociales tombe.
Les personnages, fondamentalement imprévisibles, révèlent sans spectaculaire une faille ou une bizarrerie dans leur identité, dûe à leur passé insaisissable.
Le dramaturge situe presque toujours ses pièces dans des intérieurs minutieusement décrits mais saturés d'objets hétéroclites et dont l'inutilité n'a de cesse d'être souligné comme dans Le Gardien.
Très vite le décor normalement chaleureux et rassurant d'un foyer, comme celui de The Collection (1961), produit un climat d'insécurité et se mue en un lieu qui laisse place à d'étranges intrusions, avec un retour de pulsions refoulées.
Les conversations les plus banales se révèlent en conséquence être l'espace privilégié de stratégies de domination et de rapports de forces brutaux que le glissement progressif des répliques fait ressurgir.
Les dialogues de Pinter mélangent un certain naturel d'expression (répliques courtes, usage de l'argot) à un dérapage verbal à la limite de l'onirisme (monologues, soliloques, suspensions, coupes, ellipses).

Pinter est aujourd'hui reconnu comme la plus éminente figure du théâtre anglais de la seconde moitié du
XXe siècle.
Ses pièces sont depuis longtemps devenues des classiques et des monuments incontournables pour les études de théâtre et d'art dramatique.
Le style inimitable de l'auteur, empli de perturbations langagières absurdes d'où sourd un certain humour, a même donné naissance à un adjectif couramment utilisé dans le domaine artistique: « pinteresque ». On peut aussi parler de « pinteresquerie » pour définir une pièce de théâtre à l'atmosphère oppressante ou située dans un milieu particulier.
illustration :Harold Pinter à son domicile londonien en octobre 2005 (AP)

lundi 22 décembre 2008

Horace Engdahl, le secrétaire de l'académie Nobel démissionne

Dix ans de bons et loyaux services, et un départ sans fanfare.

En juin 2009, Horace Engdahl ne sera plus le secrétaire permanent de l'académie qui décerne les multiples prix Nobel chaque année. Journaliste et historien suédois, il fêtera ses 60 ans au cours de ce mois et laissera sa place après 10 années de bons et loyaux services.

Cette décision a été prise en mai de cette année, et annoncée durant le conseil d'administration de l'académie : c'est Peter Englund, auteur et également historien qui le remplacera.
Il est aussi le plus jeune membre de l'académie, avec 51 années au compteur.


Engdhal laissera comme dernier sentiment celui d'avoir passablement massacré les auteurs américains, lesquels étaient trop « bornés » et « ignorants », en tout cas pour escompter remporter un Nobel de littérature. « Les USA sont trop isolés, trop insulaires » et « ne participent pas au dialogue littéraire. Cette ignorance est restrictive », avait lancé Horace, quelques jours avant que le Nobel de littérature ne soit attribué à Le Clézio.

Une appréciation personnelle qui n'avait pas manqué de provoquer la colère des intéressés...

Malgré cette démission, il restera au sein du conseil d'administration, comme l'un des 18 membres.
Clément S., le lundi 22 décembre 2008 -http://www.actualitte.com/actualite/6828-Horace-Engdahl-secretaire-Nobel-demission.htm

samedi 20 décembre 2008

Salman Rushdie - L'Enchanteresse de Florence

livre de chevet en cours...
longue saga, aussi touffue que picaresque, relève du pur enchantement.







Un récit emberlificoté qui débute au XVI siècle, au cœur des Indes, par la visite au roi Akbar d'un florentin qui se fait appeler « Mogor dell'amore ».
Tout juste débarqué d'un bateau pirate, le blond jeune homme, peu avare en tours de passe-passe rhétoriques - et donc magnifique conteur - prétend être le fils d'une mystérieuse enchanteresse de Florence, ce qui ferait de lui... L'oncle du Roi Akbar.
Difficile à croire pour l'empereur oriental ! Et quelle impertinence chez ce curieux occidental, qui risque la mort s'il ment, ou plutôt, s'il ne séduit pas.
Ainsi, comme Shéhérazade dans les Mille et Une Nuits, de la force de son récit va dépendre sa survie...

Entrecoupé de savoureux dialogues existentiels (religion, femmes, politique, identité...) entre l'Italien et le Grand Moghol, ce récit donne lieu à un savant labyrinthe narratif, fait d'astucieux chausses-trappes et de sauts dans le temps, de mises en abîmes et de jeux de miroirs incessants.
Avec, quand même, un noyau historique au milieu de cette déferlante magique, archi-documenté.
On retrouve ainsi, côtoyant des magiciennes et des prostituées, des grands personnages de la Renaissance : le clan des Vespucci, le peintre Botticelli, l'extrémiste religieux Savonarole brûlant sur un bûcher, tandis que le stratège Machiavel, répudié des hautes sphères de décision, s'interroge sur le rôle du prince, dans la Florence des Médicis. On croise même Magellan, en route vers le Nouveau Monde.




Style dense et foisonnant - parfois difficle à suivre, il faut l'avouer - est en effet pimenté d'un subtil esprit satirique.
Moquant sans relâche la bigoterie obscurantiste à travers les siècles et les peuples, tout en louant l'incroyable magie de la vie et de ses légendes, le romancier envisage l'Histoire avec une certaine sagesse œcuménique : soit une grande aventure humaine, faite de larmes et de meurtres autant que de passion et de charmes.
Passionnant voyage
Dans la presse :

Son dernier livre, L'Enchanteresse de Florence, nous transporte de l'Italie des Médicis à l'Inde du monarque éclairé Akbar. Un de ces fabuleux voyages entre Orient et Occident dont Salman le magicien, installé à New York, a le secret. Rencontre à Manhattan.

S'il pouvait remonter le temps, Salman Rushdie choisirait de vivre à la cour de celui que l'Orient considère comme le plus magnifique souverain de l'univers et dont l'Occident, embarrassé de clichés et d'ignorance, méconnaît encore très largement la fabuleuse histoire.

Ce monarque, dont la splendeur éclipse celles de Soliman le Magnifique et du calife de Bagdad, c'est Akbar. Le Grand Moghol Akbar était musulman et végétarien. «Il fut surtout un guerrier qui n'aspira qu'à la paix, un roi philosophe, bref une contradiction vivante», précise Salman Rushdie.

Faute d'être né dans l'Inde du xvie siècle, Rushdie, qui vit le jour dans le Cachemire opprimé du xxe et survit depuis vingt et un ans sous la menace d'une fatwa (laquelle, pour avoir été officiellement levée, n'en continue pas moins d'être bien réelle aux yeux de quelques fous de Dieu), a décidé de poser ses valises à New York.


A lire son nouveau roman, extraordinaire odyssée où les héros se promènent de la Florence des Médicis à la fastueuse cité indienne de Sikri, on comprend que Manhattan est, à ses yeux, la ville où il faut vivre aujourd'hui.

«L'anonymat de cette métropole qui ne dort jamais me protège, explique-t-il. J'ai longtemps habité en bordure de Central Park et j'adore venir me ressourcer dans ce jardin unique au monde. New York est une ville de la démesure. Un admirable mensonge. Mais qu'étaient Florence à la Renaissance et Sikri capitale de l'Orient?»

Telle est la question qu'explore Rushdie dans ce livre drôle, enlevé, érudit et fantasque, où l'on croise le Grand Moghol Akbar, mais aussi Nicolas Machiavel, Laurent le Magnifique, Amerigo Vespucci, le moine intégriste Savonarole, la Simonetta, et même Dracula, le prince des vampires. Rushdie s'amuse, et le lecteur voyage.

«Au départ, raconte Rushdie, j'ai voulu retracer le destin d'un prince que l'Occident ne connaît pas. Akbar fut un monarque éclairé bien avant que cette expression ne prenne vie dans l'Europe des Lumières. Je voulais montrer que l'Orient du xvie siècle constituait une civilisation plus raffinée qu'on ne le croit.

Puis j'ai inventé l'histoire de cette Enchanteresse, venue de l'Orient à Florence à l'époque où les Italiens abordaient l'Amérique en pensant gagner les Indes.
J'ai surtout découvert à quel point le progressisme de la Renaissance, en philosophie et dans les arts, se heurtait aux poids des intégrismes et des superstitions. Il fut un temps, nous l'avons oublié, où le naturel et le surnaturel coexistaient en des logiques similaires.»

Tout commence à la façon des Mille et Une Nuits. Un mystérieux étranger qui se fait appeler Mogor dell'Amore, à moitié magicien, à moitié aventurier, arrive à la cour d'Akbar avec le titre, usurpé, d'ambassadeur d'Angleterre.

Démasqué, il ne doit son salut qu'à l'invraisemblable histoire qu'il conte au souverain: celle des liens secrets qui unissent la cité impériale de Sikri et la plus belle ville d'Europe, Florence.

Akbar écoute avec gourmandise. Le lecteur, captivé, tourne avec la même joie des pages explosives de sensualité et d'onirisme. Salman Rushdie, au mieux de sa forme, entrelace destins imaginaires et réalité historique.

Car notre étranger, qui prétend être le fils de l'Enchanteresse de Florence, une princesse moghole contrainte à l'exil et veillée par un intrépide soldat florentin, affirme également, au mépris de toute cohérence chronologique, être l'oncle d'Akbar le Grand.

Lorsqu'il évoque ce roman «écrit d'une traite», Salman Rushdie le New-Yorkais se remémore le sous-continent qu'il a laissé derrière lui: «Je n'ai aucune nostalgie de la grandeur passée de mon pays, mais j'éprouve l'envie de montrer, par des mots, que l'exotisme de pacotille dans lequel on enveloppe l'Inde des maharajas n'est rien à côté de ce que fut le dessein d'Akbar le Grand. Je suis fasciné par tous ceux qui, sur terre, tentent de dépasser leur condition. Akbar a construit Sikri, en Inde, comme s'il s'agissait de la cité qui devait être le centre de l'univers. Et, en écoutant cet étranger, il découvre que les Italiens ont fait de même avec Florence. Aujourd'hui, oui, ce serait New York... C'est pourquoi je ne me sens ni indien, ni américain, ni d'aucun pays, mais d'une ville: je me sens new-yorkais, mais pas américain.»

De livre en livre, Salman Rushdie lance des passerelles entre deux mondes antagonistes.

«L'un des facteurs unificateurs entre Orient et Occident fut longtemps la magie, explique le romancier, le regard traversé par une lumière malicieuse. Elle a régi les comportements amoureux aussi bien que les actions politiques et il est probable que le meilleur moyen de passer les frontières était de devenir expert en quelque sorcellerie.»
L'Europe renaissante se figurait la sorcière en vieille fille étique, décharnée, grotesque. Pour Rushdie, qui préfère parler d'enchanteresse, il s'agit d'une superbe femme, mystérieuse, cultivée, au potentiel érotique plus que troublant.

Avec cette Enchanteresse de Florence, on erre de bordels en harems, on navigue sur des gondoles ou à bord de vaisseaux armés par des condottieres, on chevauche de la Perse aux Pouilles...

Au détour, une pique à l'encontre des fondamentalistes

«Le voyage, clame Rushdie, est le premier pas vers la métamorphose, à laquelle nous tentons tous de résister. Parfois, cette métamorphose passe par la trahison. Parfois, elle est ce qui nous fait avancer et peut nous sauver.» Philosophe, Rushdie? Il s'esclaffe, pourfendant les prétendues sagesses orientales: «Il n'y a aucune sagesse particulière en Orient, fait-il dire à l'un de ses personnages. Les êtres humains sont tous aussi fous les uns que les autres.»

En revanche, le livre recèle un vibrant éloge de la féminité: «La femme, dit Akbar, détourne votre esprit de la mort, sèche vos larmes brûlantes et calme votre envie de savoir à quoi ressemble le Jugement dernier.»

Plus taquin que sulfureux, Rushdie s'autorise une nouvelle pique à l'encontre des fondamentalistes de tous pays en faisant allusion, au détour d'une page, aux Versets sataniques.

Mais, surtout, il nous instruit en nous divertissant. C'est là le grand mérite de ce romancier majeur. Les mots, plus sûrement que n'importe quelle femme amoureuse, peuvent ensorceler. L'écrivain, lorsqu'il est passé maître dans l'art délicat de domestiquer les mots, tisse alors un charme qui détourne de l'inessentiel et ramène à soi-même. C'est ce qu'a parfaitement compris Salman Rushdie, l'enchanteur de Manhattan.-François Busnel-http://www.tv5.org/TV5Site/litterature/critique-1146-salman-rushdie_lenchanteresse-de-florence.htm

Extrait

Aux dernières lueurs du jour finissant, le lac miroitant qui s'étendait près du palais semblait se transformer en une mer d'or liquide. Un voyageur qui serait passé par là au coucher du soleil - et celui précisément qui arrivait en ce moment même sur le chemin longeant le lac - aurait pu croire qu'il s'approchait du trône d'un monarque si fabuleusement riche qu'il pouvait se permettre de déverser dans un immense cratère une partie de ses trésors afin de plonger ses hôtes dans la stupeur et l'émerveillement. Et ce lac, pourtant très étendu, n'était sans doute qu'une goutte provenant d'une mer de richesses bien plus vaste, si vaste que le voyageur était à mille lieues de pouvoir imaginer l'étendue de l'océan originel. Et aucun soldat ne montait la garde sur les rives de ces eaux dorées: le roi était-il donc si généreux qu'il autorisait tous ses sujets et peut-être même étrangers et visiteurs comme le voyageur ici présent à puiser librement dans les fabuleuses ressources du lac? Ce devait être un prince considérable, un véritable Prêtre Jean dont le royaume perdu, paradis enchanté et légendaire, renfermait d'incroyables merveilles. Peut-être, se disait le voyageur, la fontaine de jouvence se trouvait-elle derrière ces murs, et la légendaire entrée du paradis était-elle toute proche? Mais le soleil plongea sous la ligne d'horizon, l'or disparut de la surface de l'eau et sombra dans les profondeurs. Sirènes et serpents veilleraient sur lui jusqu'au retour de l'aube. D'ici là le seul trésor disponible n'était plus que l'eau elle-même, et ce cadeau, le voyageur assoiffé l'accepta avec reconnaissance.

L'étranger voyageait sur un char à boeufs et au lieu de rester assis sur les coussins rudimentaires, il se tenait debout comme un dieu, une main posée d'un geste négligent sur le rebord en bois tressé de la charrette. Se déplacer en char à boeufs n'était pas de tout repos, le véhicule à deux roues cahotait et brinquebalait au rythme des sabots des animaux, sans parler des aspérités du chemin. Debout, un homme risquait de tomber et de se rompre le cou. Pourtant le voyageur se tenait droit, l'air insouciant et satisfait. Le cocher avait renoncé depuis longtemps à lui crier de s'asseoir, il l'avait au début pris pour un fou, s'il avait envie de se tuer en route c'était son affaire, personne ici n'irait le regretter! Pourtant le mépris du cocher avait assez rapidement cédé la place malgré lui à une sorte d'admiration. Cet homme-là avait l'air d'un fou certes, on pouvait même aller jusqu'à dire qu'il en avait bien la jolie tête et qu'il était vêtu comme un fou, un manteau fait de losanges de cuir colorés par une telle chaleur! Mais il avait un sens de l'équilibre impeccable, étonnant même. Les boeufs tiraient laborieusement la charrette dont les roues ne cessaient de rencontrer des creux et des bosses, pourtant l'homme debout bougeait à peine et trouvait le moyen de conserver une sorte de grâce. Un fou gracieux, voilà ce que pensa le cocher, ou peut-être ce type n'était-il pas fou du tout. C'était peut-être quelqu'un d'important. S'il avait un défaut, c'était son attitude ostentatoire, cette façon non seulement d'être lui-même mais en plus de jouer son propre rôle; au fond, se disait le cocher, c'est bien ce que fait tout un chacun ici et donc cet homme ne nous est pas tellement étranger. Quand le voyageur déclara qu'il avait soif, le cocher alla sans y songer au bord du lac lui chercher à boire dans une calebasse vernie qu'il lui tendit comme s'il se fut agi d'un aristocrate digne d'être servi.

«Tu restes là comme un grand personnage et je m'empresse d'obéir à tes ordres, dit le cocher l'air renfrogné. Je me demande bien pourquoi je te traite avec tant d'égards. Qui t'a donné le droit de me commander? Qui es-tu au fond? Pas un gentilhomme en tout cas, tu ne voyagerais pas dans ce char à boeufs. Et pourtant tu prends de grands airs. Tu dois être une espèce de fripon.» L'autre s'appliquait à boire à la calebasse. Des filets d'eau lui coulaient des coins de la bouche et formaient des gouttes sur son menton rasé comme une barbe liquide. Quand il eut fini, il rendit la calebasse vide, poussa un soupir de satisfaction et essuya cette barbe. «Que suis-je? dit-il comme s'il parlait tout seul mais dans la langue du cocher. Je suis un homme qui détient un secret, voilà, un secret destiné seulement aux oreilles de l'empereur.» Le cocher en fut rassuré. Cet homme était bien fou. Il n'y avait aucune raison de le traiter avec respect. «Garde-le, ton secret, dit-il, les secrets sont bons pour les enfants et les espions.» L'étranger descendit de la charrette devant le caravansérail, là où commencent et s'achèvent tous les voyages. Il était étonnamment grand et portait un sac de toile. «Et pour les sorciers, dit-il à l'adresse du cocher, les amoureux aussi. Et pour les rois.»

Tout le caravansérail s'affairait bruyamment. Des gens prenaient soin des animaux, chevaux, chameaux, boeufs, ânes, chèvres, tandis que d'autres bêtes indomptables s'égaillaient en liberté: des singes hurlants, des chiens errants. Des perroquets criards fusaient dans les airs comme des traînées vertes de feux d'artifice. Des forgerons s'activaient, des menuisiers aussi et, dans les échoppes, sur les quatre côtés de l'immense place, des hommes organisaient leurs voyages, empilant des vivres, des chandelles, de l'huile, du savon et des cordes. Des coolies enturbannés vêtus de chemises rouges et de dhotis couraient dans tous les sens, portant sur la tête des fardeaux d'une taille et d'un poids invraisemblables. L'essentiel de l'activité consistait à charger et décharger des marchandises. On pouvait trouver là un lit pour la nuit pour presque rien, c'étaient des lits de corde dans un cadre de bois recouvert d'un matelas rugueux bourré de crin de cheval, alignés comme dans un dortoir de soldats sur les toits des bâtiments à un étage qui encadraient la vaste cour du caravansérail. Dans un tel lit on pouvait contempler le ciel et se prendre pour un dieu. Plus loin à l'ouest on distinguait la rumeur des campements des régiments de l'empereur, récemment revenus de guerre. L'armée n'avait pas le droit d'entrer dans la zone du palais, elle devait bivouaquer au pied de la colline royale. Une armée désoeuvrée, de retour d'une campagne récente, devait être traitée avec prudence. L'étranger eut une pensée pour la Rome antique. Un empereur se méfiait de tous ses soldats à l'exception de sa garde prétorienne. La confiance, l'étranger le savait bien, était la question qu'il allait devoir affronter, en se montrant convaincant. Sinon, il mourrait sur-le-champ.

Non loin du caravansérail, une tour hérissée de défenses d'éléphants indiquait le chemin conduisant aux portes du palais. Tous les éléphants appartenaient à l'empereur qui, en décorant une tour de leurs défenses, faisait étalage de sa puissance. Prenez garde! disait cette tour, vous pénétrez dans le royaume du Roi des Eléphants, un souverain qui possède tant de pachydermes qu'il peut gaspiller l'ivoire d'un millier de ses animaux dans le seul but de me décorer. Le voyageur reconnaissait dans la puissance de la tour cette même flamboyance qui brûlait sur son propre front comme une flamme ou comme un signe du démon; mais le bâtisseur de la tour avait transformé en force cette même qualité qui chez lui était souvent perçue comme une faiblesse. Le pouvoir est-il la seule justification d'une personnalité extravertie? se demandait le voyageur sans parvenir à trancher cette question, mais il se surprit à penser que la beauté pouvait elle aussi constituer une justification, car il en était incontestablement pourvu, et il savait que cette beauté ne manquait pas d'exercer son charme.

Près de la tour aux défenses d'éléphants, il y avait un grand puits surmonté d'une machinerie hydraulique d'une incroyable complexité destinée à alimenter le palais aux multiples coupoles. Sans eau nous ne sommes rien, pensa le voyageur. Privé d'eau, même un empereur ne tarderait pas à redevenir poussière. Le véritable monarque, c'est l'eau et nous en sommes tous les esclaves. Un jour, dans sa patrie, à Florence, il avait rencontré un homme capable de faire disparaître l'eau. Le magicien emplissait une cruche à ras bord, murmurait quelques formules magiques puis retournait la cruche et, au lieu de liquide, il s'en écoulait du tissu, des flots d'écharpes de soie colorées. Ce n'était qu'un tour, bien sûr, et avant la fin du jour le voyageur avait réussi à force de flatterie à en extorquer le secret qu'il avait ajouté à ses propres connaissances occultes. Il détenait beaucoup de secrets mais un seul d'entre eux était destiné à un roi.

Le chemin qui menait aux murailles de la ville montait en pente raide sur le flanc de la colline et en prenant de la hauteur le voyageur découvrit l'étendue de la cité qu'il venait d'atteindre. C'était tout simplement l'une des grandes villes du monde, plus vaste, semblait-il, que Florence, Venise ou Rome, la plus grande ville qu'il ait jamais vue. Il avait eu une fois l'occasion d'aller à Londres, même cette métropole était moins vaste que celle-ci. Tandis que la lumière du jour faiblissait, les proportions de la ville semblaient s'étendre encore davantage. Des quartiers très peuplés étaient massés à l'extérieur des murailles, des muezzins lançaient leur appel du haut des minarets, et il apercevait au loin les lumières de vastes domaines. Des feux s'allumèrent dans le crépuscule, comme des signaux. De la voûte sombre du ciel parvint en réponse la lueur des étoiles. On dirait que la terre et les cieux sont des armées qui se préparent au combat, pensa-t-il. Et que leurs campements sont plongés dans le calme nocturne et attendent le jour pour déclencher les hostilités. Et ici dans tout ce fouillis de ruelles et plus loin dans la plaine, dans les demeures des puissants, aucun homme n'avait jamais entendu son nom, pas un seul n'était disposé à croire l'histoire qu'il s'apprêtait à raconter. Il fallait bien pourtant qu'il la raconte. C'est pour cela qu'il avait traversé le monde et il n'avait pas l'intention de renoncer.

Il marchait à grands pas et attirait de nombreux regards intrigués par ses cheveux blonds et par sa grande taille, ces cheveux, il faut le dire, passablement sales qui se déversaient autour du visage comme les eaux dorées du lac. Après la tour aux défenses d'éléphants, le chemin grimpait vers une porte de pierre ornée de bas-reliefs représentant deux éléphants se faisant face.
De ce portail grand ouvert parvenaient les rumeurs de gens occupés à jouer, à boire, manger et faire la fête. Des soldats montaient la garde à cette porte Hatyapul mais d'un air décontracté. La véritable entrée se trouvait plus loin. Ce n'était ici qu'une place publique, un lieu destiné aux rencontres, au commerce et aux plaisirs. Des hommes le dépassaient en hâte, courant satisfaire leur soif ou leur faim. Entre les deux portes de chaque côté de la rue pavée s'entassaient auberges, estaminets, étals de victuailles et colporteurs en tout genre. Acheter et être acheté, c'était ici le règne de cette activité éternelle: habits, ustensiles, babioles, armes, rhum. Le grand marché se trouvait plus loin au-delà de la porte Sud, plus modeste. C'est là-bas que les habitants se fournissaient, ils évitaient cet endroit qui n'était destiné qu'aux étrangers ignorant le véritable prix des denrées. C'était ici le marché des filous, le bazar des voleurs, tapageur, excessivement cher, détestable. Mais les voyageurs fatigués, qui ne connaissaient pas le plan de la ville et qui, de toute façon, n'avaient aucune envie de contourner les murailles par l'extérieur pour gagner le vrai grand bazar, n'avaient guère le choix, il fallait bien qu'ils s'adressent aux marchands de la porte des éléphants. D'ailleurs leurs besoins étaient urgents et sommaires.

Des poulets vivants, les pattes entravées, pendus la tête en bas, s'agitaient en caquetant, terrorisés, en attendant de passer à la marmite. D'autres préparations plus silencieuses attendaient les végétariens; les légumes, eux, ne crient pas. Et étaient-ce des voix de femmes que le voyageur entendait, portées par le vent, hululant, s'adressant à des hommes invisibles pour les agacer, les séduire, se moquer d'eux? Etait-ce le parfum de ces femmes qu'il respirait dans la brise nocturne? Ce soir il était trop tard pour tenter de rencontrer l'empereur. Le voyageur avait de l'argent en poche et venait de faire un long voyage circulaire. C'était sa façon à lui: gagner indirectement son but au prix de longs détours et d'errements. Depuis qu'il avait débarqué à Surat, il était passé par Burhanpur, Handia, Sironj, Narwar, Gwalior et Dolphur pour se rendre à Agra, et ensuite jusqu'ici, à la nouvelle capitale. A présent, ce qu'il lui fallait c'était un lit, le plus confortable possible, et une femme, de préférence sans moustache, il avait surtout grand besoin d'oublier, d'échapper à lui-même, besoin de cet oubli que l'on ne trouve pas entre les bras d'une femme mais dans l'abrutissement de l'alcool.

Plus tard, ses désirs satisfaits, il s'endormit dans un lupanar malodorant, ronflant vigoureusement aux côtés d'une putain insomniaque. Il était capable de rêver en sept langues: l'italien, l'espagnol, l'arabe, le persan, le russe, l'anglais et le portugais. Il attrapait les langues comme les marins attrapent les maladies; les langues étrangères lui tenaient lieu de gonorrhée, de syphilis, de scorbut, de paludisme, de peste. Dès qu'il sombrait dans le sommeil, la moitié de l'humanité se mettait à bavarder dans son esprit, lui racontant de merveilleux récits de voyage. Dans ce monde à moitié inconnu, chaque jour lui apportait de nouveaux enchantements. La magie poétique, visionnaire et prophétique du quotidien ne s'était pas encore fracassée contre la réalité prosaïque. Lui-même, le conteur, il avait été arraché à son foyer par des histoires fantastiques, et par l'une d'elles en particulier, une histoire qui allait assurer sa fortune ou bien lui coûter la vie.

A bord du vaisseau pirate du lord écossais, baptisé la Scàthach, du nom d'une déesse guerrière de l'île de Skye et dont l'équipage s'était joyeusement livré pendant de longues années au pillage et à la flibuste dans la mer des Caraïbes, lequel navire faisait route à présent vers l'Inde, chargé d'une mission officielle, le passager clandestin, ce Florentin langoureux, avait évité d'être brutalement précipité par-dessus bord au large du cap de Bonne-Espérance en faisant sortir une anguille de l'oreille du bosco, à sa grande stupéfaction, et en la jetant à la mer. On l'avait découvert sous une couchette dans le château avant, sept jours après que le bateau eut doublé le cap Agulhas à l'extrémité du continent africain. Il portait un pourpoint et des chausses couleur moutarde, était enveloppé dans un long manteau d'arlequin constitué de losanges de cuir brillant et serrait contre lui un petit sac en tapisserie. Il dormait à poings fermés en poussant des ronflements sonores sans faire le moindre effort pour se cacher. Il paraissait tout à fait prêt à ce qu'on le découvre et étonnamment confiant dans ses pouvoirs de charme, de persuasion et d'enchantement. Ceux-ci ne lui avaient-ils pas permis après tout de parcourir déjà un bon bout de chemin? De fait il se révéla un véritable prestidigitateur. Il changea des pièces d'or en fumée et retransforma en or cette fumée jaune. Il renversa un pichet d'eau claire et un flot d'écharpes de soie s'en écoula. Il multiplia des poissons et des pains en quelques tours de passe-passe de son élégante main, c'était là naturellement un blasphème mais les matelots affamés le lui pardonnèrent bien volontiers. Ils se signèrent à la hâte pour se prémunir contre une éventuelle colère de Jésus-Christ qui aurait pu prendre ombrage de voir sa place usurpée par ce thaumaturge tardif, et ils engloutirent cette manne d'une prodigalité inattendue à défaut d'être théologiquement correcte.
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illustration : la liseuse de Johann Baptist Reiter