lundi 8 septembre 2008

Janet Frame - Le jardin aveugle

livre de chevet
Nouvelle Zélande
Dans ce texte, Janet Frame utilise la vaste palette des perceptions sensorielles pour explorer l'ambiguïté de la communication :
Erlene a cessé de parler parce que « à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche pour dire quelque chose, sa voix, de la cachette où elle se dissimulait, lui rappelait qu'il n'y avait rien à dire et pas de mots pour le dire » ;
Vera, sa mère, mue par un sentiment de jalousie, de dépit et de culpabilité, est devenue aveugle à force de volonté ;
et enfin Edward, son père, les a abandonnées pour retracer l'arbre généalogique d'une autre famille vivant dans un pays lointain.
Ces portraits d'individus incarnent avec une rare éloquence la parole, la vie, les émotions humaines.

biographie

Janet Frame (Dunedin, 28 août 1924 - 29 janvier 2004) est une écrivaine néo-zélandaise.

Janet Paterson Frame est née à Dunedin (Nouvelle-Zélande) le 28 août 1924.
Issue d’une famille ouvrière de cinq enfants, elle se passionne très tôt pour la littérature, qu’elle étudie, et veut devenir poète.
Son entourage la pousse à choisir la carrière d’institutrice, métier qu’elle tentera contre son gré d’exercer et finira par abandonner.

Profondément marquée par la mort de deux de ses sœurs par noyade à dix ans d’écart, très introvertie, elle est diagnostiquée schizophrène en 1945.
Internée pendant huit ans en hôpital psychiatrique où elle subit quelque deux cents électrochocs, elle réussit tout de même à écrire.

Son premier recueil de nouvelles, Le Lagon et autres histoires, est publié en 1951 alors qu’elle est toujours à l’hôpital. Le prix littéraire qu’elle reçoit la sauve de justesse : sa lobotomie était programmée.
Libre, elle apprendra plus tard, en subissant de nouveaux examens en Angleterre, qu’elle n’a finalement jamais souffert de schizophrénie.

Encouragée par son ami l’écrivain Frank Sargeson, elle écrit alors son premier roman, Les Hiboux pleurent vraiment, qui paraît en 1957 (publié une première fois en France en 1984 chez Alinéa sous le titre La Chambre close).
Puis elle quitte la Nouvelle-Zélande pendant sept ans et visite l’Europe. Elle vit à Ibiza et à Londres, où elle apprend la vérité sur son état mental. Le médecin qu’elle rencontre l’encourage à son tour à écrire : ce sera le très impressionnant Visages noyés, paru en 1961, roman qui précipite le lecteur au cœur de l’univers psychiatrique.

De retour en Nouvelle-Zélande en 1963, et après la rédaction de plusieurs romans dans les années 1960 et 1970, Janet Frame entreprend d'écrire son autobiographie, Un ange à ma table.
Celle-ci recouvre trois volets : Ma terre mon île, Un été à Willowglen (paru pour la première fois en France sous le titre Parmi les buissons de matagouri) et Le Messager.
En 1990, Jane Campion adaptera Un ange à ma table au cinéma, ce qui contribuera à faire découvrir son œuvre dans le monde entier.

Janet Frame, si l'on excepte plusieurs séjours en Grande-Bretagne et aux États-Unis, passe le reste de sa vie en Nouvelle-Zélande (certains disent « en recluse », tant la discrétion de celle qui a été de nombreuses fois honorée dans son pays est grande).
Son œuvre compte onze romans, cinq recueils de nouvelles, un recueil de poèmes et un livre pour enfants. Son dernier ouvrage, The Carpathians, (inédit en France, comme beaucoup de ses romans) est paru en 1988.
Pressentie deux fois pour le
prix Nobel de littérature, dont la dernière en 2003, Janet Frame est morte d’une leucémie à Dunedin le 29 janvier 2004.


revue de presse - par Catherine Argand - Lire, avril 1998
Le terrible babillage du sang


Un jour, Janet Frame est passée de l'autre côté du miroir, et de ce voyage elle a rapporté une capacité vertigineuse à abolir les frontières.
C'était en 1957, à l'autre bout du monde, dans un pays de l'hémisphère Sud où le soleil écrabouille les marguerites plus que de raison.
Cette année-là, Janet Frame revoit le grand dehors de sa Nouvelle-Zélande natale après huit ans d'asile psychiatrique et des centaines d'électrochocs.
Elle vient d'éviter de justesse la lobotomie grâce à la publication d'un recueil de nouvelles récompensé par un prix.
Le médecin de l'hôpital lui déclare aussi solennellement qu'avant une exécution: «Janet, nous n'allons plus vous opérer, vous allez écrire.»
De ce jour, la jeune femme, dont on admet enfin que le trouble qui s'était emparé d'elle n'était que l'ombre portée de son talent, entreprit de se consacrer à sa passion pour la poésie et l'écriture. Mais ce n'est qu'après que son autobiographie, Un ange à ma table, fut devenue un film en 1990 que l'on découvrit son œuvre. Une œuvre dévastatrice consacrée à la perception purement sensible du chaos.

Janet Frame n'affectionne ni le mélodrame, ni le roman réaliste, ni l'autofiction déguisée en pensée pour tous, comme en témoigne une fois encore ce troisième roman traduit en français.
Vera mène une existence solitaire qui «compte également une fille silencieuse et le souvenir d'un mari qui enclot les gens, comme des poules ou des cochons, dans l'enceinte du temps».
La fille de Vera, Elaine, «n'a rien à dire et pas de mots pour le dire»; pour elle, les mots tombent et fondent «s'amassant en immenses monticules, recouvrant les chemins, les routes, les voies de chemin de fer, coupant toute communication».
Elle pleure et se tait, n'acceptant de confier ses terreurs silencieuses qu'à son seul ami, un scarabée qui gîte sur le rebord de la fenêtre.
L'époux de Vera, un généalogiste parti depuis onze ans étudier une famille inconnue et ordinaire, finit par entendre des voix à force de «se greffer tel un lambeau de peau superflu sur une partie de l'humanité où il n'aurait nul besoin de prouver sa galanterie, sa virilité, son absence d'égoïsme».

Pour échapper à son existence et à sa culpabilité, Vera tente en vain de devenir aveugle et se livre tout entière au maelström de la seule sensation: «Je fermai la porte de ma vue, la verrouillai et écoutai; et le premier son fut le sang. Je ne pouvais échapper au sang propageant ses ragots, aux secrets recueillis à tous les coins des autoroutes faits de chair et d'os, aux prédictions des vers ornés de bracelets, vêtus de robes de dentelle blanche, qui dansaient autour des mâts de chaque os; circulation, pamphlets de mort, publications obscènes, rumeurs: le terrible babillage du sang.»

Vera, pourtant, finira elle aussi par admettre, dans ce roman qui inquiète le langage jusqu'à l'alarme, que les mots peuvent se retourner comme une peau et que les avaler, c'est faire disparaître le monde réel.
Note :
Parfois amusant la façon dont on choisi les livres... Là, ce fut simplement parce que je ne connaissais pas l'auteur... ni la littérature néo-zélandaise... et que le livre est un "payot-rivage"...

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