samedi 8 novembre 2008

curiosité de lecture : Adam Weishaupt et les Illuminés de Bavières

en lisant "la théorie du chaos" de Maxime Chattam
théorie du complot, société secrète...
Note :
Finalement cette recherche devient amusante...
première apparition de la Sainte-Wehme... et de Cagliostro... dans le texte ci-dessous,
trouvé dans : France secrets... ou les secrets de la France se dévoilent







En forme de préambule

Ce texte nous fut communiqué par Serge Hutin en 1980. Il devait être ensuite produit vers 1984 après la censure de certains passages qui apparaissent intégralement ici. Il s’agit d’éléments concernant le ‘sauvetage’ des documents retrouvés par notre ami à propos des circonstances probables et inédites sur la fondation des Illuminés de Bavière. Il nous avait donné connaissance de ces textes et remis la copie de la présentation définitive qu’il envisageait de faire éditer. La mort l’a emporté peu avant cette diffusion. Ces documents étant depuis longtemps tombés dans le domaine public, il est possible d’en envisager la reproduction avec les commentaires que nous avait donnés Serge Hutin. L’article ci-dessous est pour nous un hommage à cet auteur et ami qui fut délaissé et oublié à la fin de sa vie par ceux-là mêmes qui continuent à réclamer la paternité de certains de ces travaux.

Adam Weishaupt

En 1775, un jeune professeur à la faculté de droit d'Ingolstadt, en Bavière, Adam Weishaupt (1748-1830), fonde, assisté seulement par l'un de ses étudiants, Massenhausen, une société secrète appelée d'abord Ordre des Perfectibilistes et un peu plus tard Ordre des Illuminés.
Jusqu'en janvier 1778, ces deux hommes sont les seuls à connaître ses buts, minutieusement mis au point, dans le secret le plus absolu.
Au début de 1778, le recrutement commence, avec une prudence extrême : 18 membres en mars. A la fin de l'été de la même année, le nombre monte à 27 pour atteindre 38 en décembre.
En 1780, il n'y a encore qu'une centaine de membres, bien que l'existence des Illuminés soit désormais connue.
Le mécanisme apparaît comme bien au point ; à partir de ce noyau, qui déborde le cadre de la Bavière, l'Allemagne toute entière peut désormais être atteinte ainsi que progressivement tous les pays voisins.
La ‘boule de neige’ est amorcée, peut-on dire.Comment, en effet, se recrutent les Illuminés ? Cela se déroule exclusivement par une affiliation strictement individuelle : chaque membre contacté par son parrain est investi, ensuite, du devoir absolu de recruter lui-même un autre affilié… avec les mêmes règles inflexibles de prudence et de rigueur.
Les critères de sélection sont conçus de manière à éliminer au départ les simples curieux ainsi que les éventuels observateurs policiers.
Un secret absolu entoure les membres et doit être rigoureusement observé.
Avant d'atteindre le premier des degrés où commence la révélation progressive des secrets de l'Ordre -celui de Minerval (disciple de Minerve, déesse de la Sagesse)- le nouveau membre doit attendre patiemment la fin de son noviciat, lequel dure deux années en moyenne.
Dès la cérémonie d'initiation, préparée par un jeûne et une veille de 48 heures, le néophyte se sent pris en main par une discipline de fer : le récipiendaire introduit nu et la corde au cou dans le temple y subit des épreuves particulièrement pénibles.
Dès l'affiliation, une obéissance absolue est exigée envers les chefs de l'Ordre et les membres des hauts degrés ? Ces derniers demeurent absolument inconnus des initiés de grade inférieur.
Adam Weishaupt utilise une méthode qui fit si bien ses preuves qu’elle fut probablement reprise par des mouvements révolutionnaires ultérieurs. Il s’agit de ce qu’on appelle une organisation pyramidale, avec les membres d'un degré supérieur pouvant contacter la base… sans que l'inverse soit possible.
Les réunions à chaque niveau de l’Ordre sont radicalement cloisonnées selon les échelons de la hiérarchie. Si donc des indiscrétions se produisent dans les cellules (pour user d'un vocable moderne) de la base, la ‘fuite’ ne peut en aucun cas se répercuter vers le haut.
L'identité des membres de degré supérieur demeurant inconnue, s'ils participent néanmoins à des réunions de la base, leur véritable grade hiérarchique demeure soigneusement secret et inconnu.
Le membre courant ne progresse jamais au-delà de la base. Seul celui jugé digne de s'élever en degré, et ce n'est pas à lui d’en solliciter l’honneur, est choisi. Il peut alors espérer monter les échelons de la pyramide, avec des serments de silence et d'obéissance de plus en plus terribles.
Une seule pénalité est prévue pour la faute du parjure : une mort, aussi expéditive et impitoyable que celle administrée par le redoutable tribunal secret de la Sainte Vehme.
Le Programme Spartacus
illustration : Cité du Soleil

Les membres de l'Ordre des Illuminés doivent prendre un nom initiatique latin, emprunté à l'un des grands hommes de l'Antiquité.
C'est ainsi que Weishaupt choisit le pseudonyme de Spartacus, et Massenhausen celui d’Ajax, etc.
Adam Weishaupt a donc choisi comme nom initiatique : Spartacus. Ce dernier personnage est le chef de la révolte des esclaves, qui faillit mettre à mal la puissance romaine et tout l'ordre social établi à cette époque.
Non seulement Spartacus n'est pas, alors, un simple chef de bande mais il montre d'indéniables dons de meneur d'hommes et des capacités militaires hors du commun.
On peut le qualifier de premier des révolutionnaires socialistes.
Il tente, en son temps, l'instauration d'une ‘Cité du Soleil’ dans laquelle l'esclavage serait aboli et où tous les citoyens seraient égaux
Une cité idéale où la puissance de la richesse et de l'argent serait impitoyablement limitée. Programme déjà rêvé par certains philosophes antiques, mais que l'ancien gladiateur fut sans doute le premier à vouloir réaliser par la force.
Weishaupt est littéralement hanté par le personnage de Spartacus.Le grand but du fondateur des Illuminés de Bavière est l'instauration de la société idéale, celle où toutes les inégalités disparaissent et au sein de laquelle toute hiérarchie deviendra inutile.
C'est l'idéal anarchiste, au sens de ce mot dans l'histoire des doctrines socialistes et non dans son action vulgaire : «... l'homme, écrivait Weishaupt se relèvera de sa chute, les princes et les nations disparaîtront sans violence de la terre, le genre humain deviendra une seule famille, le monde sera le séjour d'hommes raisonnables ».
Mais comment réaliser ce beau rêve ?
Weishaupt estime qu'avant l'apparition de la société idéale, il faut un usage à la fois impitoyable et machiavélique de la subversion.
Il lui semble indispensable, avant tout, de détruire impitoyablement l'ancien ordre des choses, les régimes monarchiques, l'Eglise catholique ainsi que les distinctions nobiliaires. Il faut tout détruire, et le plus vite possible…
C’est ce redoutable programme subversif qui figure textuellement dans les papiers d'Adam Weishaupt.La destruction de l'ancien ordre des choses est incontournable pour instaurer à sa place, dans l'Allemagne tout d'abord, puis dans les autres Etats, des régimes démocratiques, méthodiquement organisés.
Pour ce faire, il est prévu d’appliquer toutes les conditions d'efficacité, en n'hésitant pas à utiliser la violence, voire la terreur, pour arriver à bonne fin.
Weishaupt est, du point de vue révolutionnaire, un précurseur direct de Lénine.
Celui-ci connut-il le programme du Grand Maître des Illuminés ?
On peut légitimement le supposer. Rappelons, sur le propos, que l'insurrection communiste allemande de 1918, dirigée par Karl Kierknecht et Rosa Luxembourg, se réclame de Spartacus, ce héros qui personnifia la première révolte des exploités.

Une prudence jésuitique

Si Weishaupt avait fondé un groupe révolutionnaire montrant ouvertement ses véritables buts, il n'aurait pas tardé à connaître les prisons bavaroises.
En fait, la mécanique est montée par lui, avec une habileté machiavélique : ce n'est que peu à peu et d'une manière très graduelle que les affiliés se voient mis au courant des buts réels de la société secrète.
Lorsque la police ouvre ses enquêtes, de nombreux membres interrogés déclarent en toute bonne foi n'avoir pas eu, et pour cause, connaissance des buts subversifs de l'Ordre.
C'est ainsi qu'un Goethe, qu'un Herder en font partie, sans jamais avoir soupçonné un instant le plan de Weishaupt et de ses hommes de confiance. Pour être vraiment au courant, il faut franchir les grades successifs, et la révélation ultime des secrets ne se fait que sur les deux degrés terminaux de Mage et de Roi.
On verra même de hauts personnages, parfaitement ignorants du programme révolutionnaire de Weishaupt, adhérer à l'Ordre, y compris des princes allemands comme les ducs de Saxe Weimar et de Saxe Gutha.
Le Grand Maître des Illuminés observe non seulement une fantastique prudence mais n'hésite pas, sans le moindre scrupule, à s'attirer le patronage flatteur et fructueux d'hommes voués à être au premier rang des victimes en cas de succès final de l'opération.
On pense déjà à la boutade cynique de Lénine : « Les capitalistes nous vendront même la corde avec laquelle nous les pendrons ».
Weishaupt a été l'élève des jésuites avant la dissolution de leur Ordre en Bavière. Ne pourrait-on pas imaginer une influence mise au service de la subversion politique et sociale de cette formation de jeunesse?
On retrouve chez les Illuminés la règle d'obéissance absolue au chef de l'Ordre (Perinde ad cadaver, « comme un cadavre »). On y retrouve aussi les consignes d'habileté, de prudence, d'insinuations maladives.
Les ‘Monita Sacra’ sont sans doute un document apocryphe, mais Weishaupt semble l’avoir connu et s'en être personnellement inspiré. Quoi qu'il en soit, rien n'est laissé en dehors de tout ce qui pouvait aider au triomphe de la cause et par tous les moyens.
Par exemple, dès le grade de Minerval, l'affilié doit tenir régulièrement un journal dans lequel il consigne à l'intention de ses supérieurs tout ce qu'il peut apprendre d'intéressant sur les personnes avec lesquelles il est en contact.
Rien n'est laissé au hasard, y compris l'infrastructure financière. Pour mener à bien toute révolution, il faut toujours disposer du soutien bancaire adéquat.

La découverte du complot

En 1777, Weishaupt s'affilie à une Loge maçonnique munichoise rattachée à une obédience se réclamant de la survivance templière, ‘la Stricte Observance’.
Il compte surtout tirer parti habilement de cette appartenance pour noyauter la franc-maçonnerie, qu'il voyait comme une pépinière toute prête à lui permettre de découvrir de nouveaux adhérents.
De plus, le choix d'une obédience de rite templier n'est pas fortuit : les Illuminés sauront exploiter la tradition d'une vengeance posthume du martyre de Jacques de Molay, cette illustre victime du trône et de l'autel.
Weishaupt éveille, certes, l'inquiétude des chefs de la ‘Stricte Observance’ qui, à défaut de connaître son plan de subversion révolutionnaire, se méfient de son attitude insinuante et ne peuvent admettre sa conception rationaliste (dans la ligne de l'aufklarung) de l'Illumination, se situant aux antipodes de leur idéal rosicrucien d'expérience intérieure du Divin.
D'autre part, Weishaupt se brouille également avec deux de ses amis qui jusque-là l'aident par leurs connaissances initiatiques à rédiger les rituels des degrés successifs de l'Ordre : le juge Zwack et le baron von Knigge.
Mais son grand dessein subversif demeure secret et inviolé.
Comment la conspiration sera-t-elle donc découverte ?
La réalité dépasse la fiction la plus déchaînée ! Un homme de confiance du Grand Maître, le prêtre défroqué Lanz, est envoyé en Saxe, porteur du dossier complet des instructions secrètes à transmettre aux dignitaires de l'Ordre de ce royaume germanique. L'envoyé, voyageant à cheval, traverse une forêt durant un orage lorsque, foudroyé, il tombe mort sur le coup.
L'enquête de routine met aux mains de la police bavaroise toutes les instructions les plus cachées de Weishaupt.Voici dévoilée la grande conspiration, et Weishaupt, prévenu de son arrestation imminente, se hâte de franchir la frontière.
Il est alors accueilli par le duc de Saxe Gotha à la Cour duquel il mène, jusqu'à sa mort, une vie effacée en gagnant sa vie comme précepteur de jeunes gens de haute famille.
Quand il décède en 1830, depuis longtemps oublié, personne ne pense que ce petit vieillard si bien rangé a naguère tiré les ficelles de la plus fantastique des conspirations, celle qui devait mettre le feu aux poudres et renverser la monarchie française.
En Bavière même, on ne se rend sans doute pas compte de l'importance de l'affaire, considérée comme un épisode localisé.
L'Ordre, certes, est interdit en Bavière, par deux édits successifs, l'un de 1784, l'autre de l'année suivante.
Les membres appréhendés s'en tirent tous avec une courte peine d'emprisonnement.
C'est plus tard seulement, après les dépositions de Cagliostro, lors de son procès inquisitorial (1791) que l'on commence à s'apercevoir que l'épisode bavarois n'est bel et bien que le maillon initial d'une vaste machination à l'échelle européenne.
Weishaupt n'avait sans doute pas, malgré son génie de l'organisation, inventé de toutes pièces son Ordre des Illuminés.
De quels mystérieux personnages, dont les noms resteront sans doute ignorés, tenait-il son mandat ?
On sait seulement depuis peu qu’un lot de correspondances et de documents, inscrit sous le titre de ‘COLORS’, a été retrouvé dans le sud de la France.
Ces documents montrent à l’évidence que le projet d’Adam Weishaupt fut orchestré selon un schéma qui n’est pas de lui, et s’en seraient retournés à leur source d’origine peu avant sa mort.
L’étude de ses écritures, dont il nous a été permis d’avoir une copie complète, offre une autre dimension dans la compréhension des Illuminés de Bavière, sur laquelle il ne manquera pas d’avoir lieu une communication complémentaire.

Si Weishaupt, en 1874, se trouve ‘brûlé’, comme on dit en jargon des services de renseignements, et donc forcé à s'effacer de la scène, le travail souterrain qui lui tient à cœur se trouve repris par d'autres.
Et il serait facile de retrouver les Illuminés de Bavière derrière la Révolution Française, plus exactement derrière la radicalisation soudaine de celle-ci lors de l'été 1792.
Mais, après avoir joué ainsi la carte ‘jacobine’, les Illuminés de Bavière jouent ensuite la carte Bonaparte. Dans les Mémoires de Napoléon, rédigés de sa main à Sainte-Hélène, en même temps qu'il dictait à Las Cases le fameux Mémorial (ces dits Mémoires paraîtront après sa mort sous le manteau car ils n’étaient pas destinés au grand jour), l’Empereur relate un autre récit.
Ce dernier représente la description de l'imposant cérémonial vécu, près de Rome, par le général Bonaparte, et qui lui ouvre toutes les portes en le propulsant au plus haut point de son ambition.
Ce texte est celui du dernier grade de l'Ordre des Illuminés de la fin du rituel au cours duquel se trouvent remis, au récipiendaire, les attributs symboliques du pouvoir dont l’essentiel est le chapeau.
La remise de celui-ci se faisant avec cette formule «garde-toi jamais de changer le chapeau de la liberté par une couronne». N'est-ce pas pour avoir osé défier cet impératif avertissement que, d'un coup, Napoléon perd son mystérieux appui occulte… en entraînant le soutien qui s'écroule brusquement lors de l'invasion de la Russie? - Serge Hutin

Bibliographie

Abbé Barruel, Mémoires sur l'histoire du Jacobinisme, (rééditées par « Lecture et Tradition »).Gouvernements invisibles et sociétés secrètes, de S. Hutin (J'ai Lu).
La Franc-Maçonnerie templière, (édité par Antoine Faivre), de René Le Forestier (Louvain Paris, Nouvelaerts et Aubiers éditeurs).

Aucun commentaire: