jeudi 16 avril 2009

Anatole France - Le procurateur de Judée

souvenir de lecture... en suivant l'éphéméride...




Anatole France, de son nom exact François-Anatole Thibault, est un écrivain français, né le 16 avril 1844 à Paris, quai Malaquais, mort le 12 octobre 1924 à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire).
Il est considéré comme l’un des plus grands écrivains de la Troisième République dont il fut également l’un des plus importants critiques littéraires, et comme l’une des consciences les plus significatives de son temps, s’engageant en faveur de nombreuses causes sociales et politiques du début du XXe siècle.
Lauréat du Prix Nobel de littérature en 1921.
“Après quelques mois que je l’avais perdue, j’appris, par hasard, qu’[une Juive de Jérusalem] s’était jointe à une petite troupe d’hommes et de femmes qui suivaient un jeune thaumaturge galiléen.
Il se faisait appeler Jésus le Nazaréen, et il fut mis en croix pour je ne sais quel crime.
Pontius, te souvient-il de cet homme ?
Pontius Pilatus fronça les sourcils et porta la main à son front comme quelqu’un qui cherche dans sa mémoire.
Puis, après quelques instants de silence: - Jésus ? murmura-t-il, Jésus le Nazaréen ? Je ne me rappelle pas.”

Publié par Anatole France en 1902, à la fois apologue et apologie, ce récit a connu pendant de nombreuses années un étrange destin d’isolement et de secret. Il a circulé dans des éditions rares, numérotées, ornées de gravures originales.

Anatole France invente une nouvelle historique qu’il loge dans un silence de Tacite.
On trouve en effet dans les Annales le récit de Lepida, accusée par son mari P. Quirinus d’avoir prétendu qu’elle portait un enfant de lui.
Double délit : à l’adultère s’ajoute l’attribution d’une fausse paternité. Tacite ne dit rien des complices.
Anatole France invente alors la figure de Lucius Elius Lamia, « accusé d’entretenir des relations criminelles avec Lepida, femme de Quirinus » et lui fait rencontrer Ponce Pilate à la fin de sa vie. Tous deux évoquent leurs souvenirs de Judée.




le personnage de Pilate :


Anatole France dépeint, sous les traits du Ponce Pilate historique, le caractère de l'antisémite moderne : justifiant sa haine par des accusations de fanatisme religieux et de complot,
Ponce Pilate exprime l'idée que le peuple Juif devra être exterminé pour le salut de Rome :

« Ne pouvant les gouverner, il faudra les détruire. N’en doute point : toujours insoumis, couvant la révolte dans leur âme échauffée, ils feront éclater un jour contre nous une fureur auprès de laquelle la colère des Numides et les menaces des Parthes ne sont que des caprices d’enfant. Ils nourrissent dans l’ombre des espérances insensées et méditent follement notre ruine. En peut-il être autrement, tant qu’ils attendent, sur la foi d’un oracle, le prince de leur sang qui doit régner sur le monde ? On ne viendra pas à bout de ce peuple. Il faut qu’il ne soit plus.»

Alors que Pilate tient, dans le récit De France, des propos sceptiques et tolérants à l'égard des croyances, ce dont le mot « Qu'est-ce que la vérité ? » est l'expression historique, c'est pourtant son ami débauché, Lamia, qui le rappelle à des sentiments plus humains à l'égard des Juifs :

« Pontius, dit-il, je m’explique sans peine et tes vieux ressentiments et tes pressentiments sinistres. Certes, ce que tu as connu du caractère des Juifs n’est pas à leur avantage. Mais moi, qui vivais à Jérusalem, en curieux, et qui me mêlais au peuple, j’ai pu découvrir chez ces hommes des vertus obscures, qui te furent cachées. J’ai connu des Juifs pleins de douceur, dont les mœurs simples et le cœur fidèle me rappelaient ce que nos poètes ont dit du vieillard d’Ébalie. Et toi-même, Pontius, tu as vu expirer sous le bâton de tes légionnaires des hommes simples qui, sans dire leur nom, mouraient pour une cause qu’ils croyaient juste. De tels hommes ne méritent point nos mépris. »

Comme
Gallion, dans Sur la pierre blanche (« II. Gallion »), le personnage de France n'est pas capable de voir l'importance historique d'un homme (ici Jésus), et l'évaluation qu'il fait des Juifs se résume à un antisémitisme dont les propos génocidaires sont pour France naturels aux hommes.
L'ironie de ce conte est que Ponce Pilate est aveugle à la nouveauté religieuse et sociale, non du fait d'un esprit étroit, mais au contraire, outre son ressentiment, à cause de sa culture romaine tolérante à l'égard des croyances. Le cas est le même pour Gallion.
illustration : Ecce homo, Pilate montre à Jésus au peuple selon Antonio Ciseri

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