jeudi 22 janvier 2009

Le Sarkothon 2009 - Envoyez vos livres au président de la République!

Le 28 janvier, Nicolas Sarkozy aura 54 ans, et il souffre d'une maladie, l'allergie à la littérature.
C'est pourquoi nous lançons une grande opération thérapeutique: redonner le goût de la lecture à l'ennemi personnel de Mme de La Fayette




Monsieur le Président,


Serait-ce à force d’admirer les chiffres sur le cadran de votre Breitling que vous avez pris les lettres en horreur?


Vous nous rappelez sans cesse que le but de notre vie, c’est de gagner plus.


Hélas, sous votre présidence, les Français n’ont plus d’argent.


Des «cinq ou six cerveaux» que vous prête votre moitié, aucun ne semble stimulé par la chose écrite.


La chose comptée vous importe seule, et il n’est pas jusqu’aux sans-papiers, êtres humains parmi les êtres humains, que vous ne dénombriez par paquets de mille. Un texte, semblez-vous demander, combien de divisions? Les richesses d’un livre, la multiplicité des tons et des voix sont lettre morte pour vous. Pourquoi reconduire à la frontière de votre conscience cette diversité-là?


Vous nous souhaitez bonne année dans la bibliothèque de l’Elysée, mais ses livres trop bien rangés montrent assez que vous n’en avez lu aucun; vous aimez à vous parer d’Aimé Césaire et de Claude Lévi-Strauss comme d’un people et d’un top model, et tout le monde sent bien que c’est pour le show et la chanson. Après cela, étonnez-vous, Monsieur le Président, qu’on aille vous classer dans la variét’. Et si, au lieu de «faire du chiffre», vous faisiez des lettres? D’où le Sarkothon 2009.


En guidant vos lectures, nous voudrions tempérer un peu votre «fureur d’accumuler», comme dit La Fontaine, et vous redonner le goût de notre patrie, de sa grandeur spirituelle et de son histoire littéraire. Puissent ces quelques ouvrages favoriser votre retour au pays natal.

« Surveiller et punir » de
Michel Foucault*


• 17 novembre 2008: un maître-chien, accompagné de quatre gendarmes, lâche son molosse dans les classes de l’Ecole des Métiers du Gers à la recherche d’une substance illicite. 19 novembre: deux gendarmes lâchent un chien renifleur sans muselière dans une classe de troisième d’un collège de Marciac.


Le hussard noir de votre République, c’est donc le chien. Un maître idéal. On se lève quand il entre dans la classe. Avec un pareil pédagogue, nul besoin d’IUFM. Presque aussi servile que Xavier Bertrand, il a, comme Rachida Dati, ce «bon sens» si bien partagé qui consiste à emprisonner des mineurs de 12 ans. Et puis nulle lecture dangereuse ne parasite son pur esprit.


Ce chien n’est pas homme à vous assommer avec un volume de Marcel Proust. Monsieur le Président, pour apaiser votre élan rintintinesque et sécuritaire, laissez-nous vous recommander très respectueusement «Surveiller et punir», un ouvrage où Michel Foucault déjoue les stratégies de criminalisation et d’enfermement. Parce que «l’école du respect» n’est pas l’école des chiens. Et parce que cette lecture vous changera de la conversation de Patrick Balkany.(*) Gallimard.



« Le Rire » de Bergson*


• «Il faut passer d’une politique défensive à une politique offensive en matière de diversité culturelle et de rayonnement de la culture française à l’étranger. » (Nicolas Sarkozy, à la convention UMP, janvier 2006.)

Nous voudrions attirer votre attention sur ce que vous appeliez, à l’époque heureuse où vous n’étiez que candidat, une «politique offensive»: un rapport sénatorial indique que l’on est passé de 173 centres culturels français en 1996 à 144 en 2008.


Près de 30 antennes françaises à l’étranger rayées de la carte: ce n’est pas de l’offensive, mais de l’offense – à la langue, à la culture, au patrimoine français. Et nous passons, de peur de vous gêner, sur la promesse non tenue.


L’image de la France, qui se ternit à chacun de vos déplacements à l’étranger (Grande-Bretagne, Vatican, Chine, Inde, Etats-Unis), se rétrécit à la même vitesse. Il est vrai que votre idée de la culture, qui se fonde sur le prestige médiatique de quelques amuseurs, ne s’exporterait guère. Il fut un temps où l’on envoyait un philosophe, Henri Bergson, auprès du président Wilson pour le convaincre d’entrer en guerre contre l’Allemagne. Vous y auriez envoyé Christian Clavier ou Bernard Tapie, l’Oscar de la gauche. Nous vous offrons donc «le Rire» de Bergson. Cadeau diplomatique.(*) PUF.



«La Culture générale pour les nuls»de Florence Braunstein et Jean-François Pépin*

André Santini, secrétaire d’Etat à la Fonction publique, a annoncé, en décembre 2008, qu’il projetait de supprimer les épreuves de culture générale aux concours administratifs pour les remplacer par des «questions de bon sens».

Un serviteur de la République n’a que faire d’être un citoyen, de connaître des babioles comme la théorie de l’évolution, l’Immaculée Conception, la nuit du 4-Août ou Tartuffe.
Sans doute cette idée s’inscrit-elle dans ce que vous appelez si drôlement «notre Renaissance intellectuelle, artistique et morale». Trêve de plaisanterie, Monsieur le Président, vous savez ce qu’est la Renaissance. Cela relève-t-il de votre bon sens ou de votre culture générale?
On peut être bonapartiste, autocrate, ennemi de la liberté de la presse, et n’en défendre pas moins les humanités. Voyez Napoléon, qui dévorait Corneille et Racine. Il nous semble que vous sous-estimez les bienfaits de la culture générale, cette discipline où vous êtes passé maître et qui permet aux plus hautes autorités de l’Etat d’invoquer à tort et à travers les Lumières ou Jaurès. La pratique régulière de «la Culture générale pour les nuls» saura vous y convertir.(*) Editions First.

« L’Age d’or » de Pierre Herbart*

• «On peut aimer
Céline sans être antisémite comme on peut aimer Proust sans être homosexuel.» (Nicolas Sarkozy, lors d’une conférence de presse en Inde, le 29 janvier 2008.)

En somme, vous assimilez l’homosexualité à une doctrine raciste. Justement, les antisémites nazis mettaient les homosexuels dans les mêmes chambres à gaz que les juifs. Vous le saviez, pourquoi feindre de l’ignorer?
Parce qu’au fond les homosexuels, pour vous, c’est folles, fiottes et compagnie. Mais vous ne pouvez pas le dire tout haut. Alors votre inconscient a parlé pour vous.
Votre conscient aussi le fait parfois. «Je suis né hétérosexuel», avez-vous dit le 5 février 2007 sur TF1. Il n’y a pas de quoi être fier. On en a connu de peu ragoûtants, des hétérosexuels. Et puis qui sait ce que nous réserve l’avenir?

Vous ne seriez pas le premier à changer de cap en cours de route. Mais vous avez raison: Proust, si ce n’est pas de la littérature pour les pédés, c’est de la littérature de pédé, au singulier. Même si, comme vous, il se prétendait hétérosexuel-né.
Nous vous offrons donc non pas du Proust, mais un des plus beaux livres d’amour qu’on ait jamais écrits, «l’Age d’or» de Pierre Herbart, «un livre, disait Jacques Brenner, qu’on ne voudrait mettre qu’entre des mains nettes». Nous prenons ce risque.(*) Le Dilettante.

« La République » de
Platon et « la Guerre des Gaules » de César*

• «Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuable n’a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne.» (Nicolas Sarkozy, le 16 avril 2007.)

Vous n’aimez pas, n’est-ce pas, le latin et le grec? Cela coûte cher, cela ne sert à rien, il n’y a pas de débouchés. Vous êtes le premier président de la Ve République à le dire. Le premier à ne pas avoir honte de le penser.
Ce que nous serions, sans Rome et sans Athènes, n’est pas votre souci. Le latin, le grec, oublions tout cela; faisons de l’informatique. «L’Etat n’est pas obligé de financer les filières qui conduisent au chômage», disiez-vous ce jour-là. Vous avez bien raison: les 20 millions de chômeurs supplémentaires que Juan Somavia, directeur général du Bureau international du Travail, prévoit pour 2009 ont manifestement gâché leur belle jeunesse à traduire Juvénal et Euripide.
Même les hellénistes et les latinistes de chez Lehman Brothers n’ont plus de job. Bien fait pour ces bénédictins.Plongez dans «la Guerre des Gaules» de votre collègue César (Jules); et, pour le grec, «la République», parce que Platon y décrit un pays où, pour reprendre une expression qui vous est chère, les artistes et poètes, chômeurs professionnels, « n’ont pas vocation » à vivre.(*) Les Belles Lettres.

« La Princesse de Clèves » de
Mme de La Fayette*

• «L’autre jour, je m’amusais à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur
la Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de “la Princesse de Clèves”.» (Nicolas Sarkozy, février 2006.)

Que votre volonté soit faite, Monsieur le Président. Du passé faisons table rase. Kärchérisons toutes les fables qui façonnent notre grand récit national. Haro sur les «sadiques» et les «imbéciles».
Vive les nihilistes! Discréditons l’effort, l’exigence, la subtilité. Claquons la porte des grands textes au nez de la petite guichetière. Vive notre président pilon! Gloire à l’autodafé d’Etat! Et disons à Mme de La Fayette, cette sœur spirituelle de Corneille: «Casse-toi, pauvre c…» «La Princesse de Clèves»? «J’ai beaucoup souffert par elle», avez-vous déclaré, en juillet 2007.
Dans la peur d’être accusés de torture par Amnesty International, nous vous en adressons, non le texte intégral, mais le «Profil d’une œuvre». En vous souhaitant une prompte résilience.(*) Edition établie par Myriam Dufour-Maître et Jacqueline Milhit (Hatier).
Jacques Drillon et Fabrice Pliskin

VOUS AUSSI, donnez au SARKOTHON

Bruno Coutier/YanVOUS AVEZ DES LIVRES, Nicolas Sarkozy n’en a pas.Vous les avez lus, pas lui. Soyez solidaires et citoyens: offrez un livre à notre président!

AGISSEZ maintenant pour vivre mieux dema
in.Faites un choix judicieux et utile. Et un beau paquet.

N'OUBLIEZ PAS d’inscrire sur votre envoi: «Sarkothon 2009 du Nouvel Observateur». Adressez-le à:Monsieur le Président de la République, 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris.Un petit mot d’accompagnement n’est pas superflu. L’anniversaire du président ne se fête qu’une fois par an.

Vous pouvez également faire vos promesses de don sur
BibliObs.com en cliquant ici
=>
Revenir à la Une de BibliObs.com
Source: Le Nouvel Observateur, 22/1/09.- Par Jacques Drillon et Fabrice Pliskin


illustrations :
1- la lectrice ded Jack Barry
2- caricature de Max Legende

Aucun commentaire: