samedi 13 décembre 2008

littérature mexicaine : Sergio González Rodríguez

Sergio González Rodríguez est né à Mexico en 1950.
Critique, romancier, nouvelliste, essayiste, historien de la littérature et scénariste.
En 1993, il a obtenu le première place de scénariste, dans la catégorie vidéo documentaire, pour la vidéo Los bajos fondos (réalisée par l’UNAM) au Troisième festival et exposition nationale de télévision et de vidéo des institutions d’enseignement supérieur du Mexique.
Prix Anagrama de l’essai 1992 (finaliste ex-aequo)
et Prix du journalisme culturel Fernando Benítez 1995,
finaliste du Prix Herralde du roman 2004.
Parmi ses œuvres, mentionnons les essais Los bajos fondos.
El antro, la bohemia y el café (1988)
et De sangre y de sol (2006) ;
la chronique Huesos en el desierto (2002) ;
les romans :
La noche oculta (1990),
El triángulo imperfecto (2003)
et El vuelo (2008).
Des os dans le désert

C’est peut-être l’affaire la plus abominable de l’histoire criminelle de tous les temps. A Ciudad Juárez, ville frontière du nord du Mexique, jumelle d’El Paso (Texas), plus de 300 femmes ont été assassinées selon un rituel immuable : enlèvement, torture, sévices sexuels, mutilations, strangulation.

Depuis dix ans, au rythme moyen de deux cadavres par mois, des corps de femmes, d’adolescentes et de fillettes, nus, meurtris, défigurés, sont découverts dans les faubourgs de la ville maudite.

Les enquêteurs les plus sérieux pensent qu’il s’agit de l’oeuvre de deux « tueurs en série » psychopathes. Mais qui demeurent introuvables...

La trame du monde se tisse dans la pénombre. À l’instar du romancier new-yorkais Don DeLillo, maître du genre, Sergio González Rodríguez fait de la conspiration le noyau herméneutique d’une réalité qui se dérobe ; fuyante et spectrale, nous ne la comprendrons que si nous nous glissons sous l’apparence des choses et des événements.

Comme dans la géométrie fractale, on ne découvrira la configuration du tout et sa similitude avec les parties que lorsque des itérations suffisamment nombreuses auront fait surgir la structure complète de l’équation.

À la façon d’un « néopolar » de James Ellroy ou d’un magistral récit de paranoïa post-moderne de Don DeLillo, Des os dans le désert présente le filigrane pervers de la conspiration, l’autre face du monde, la dimension parallèle où tout succombe à un tourbillon de cruauté, impunité et efficacité : l’exercice du pouvoir dans sa plus haute expression.

Avec une différence cependant : l’œuvre du Mexicain ne relève pas de la fiction, mais de la réalité. Une sorte de roman non fictionnel d’un Mexique bien réel : magnanime avec la criminalité, déchaîné contre la civilisation, prisonnier et orgueilleux de sa barbarie, ignorant l’état de droit et un respect minimum pour la vie humaine, bref atroce.

Le livre de González Rodríguez est éblouissant, courageux et précis. Il réussit tout particulièrement à transmettre et à faire ressentir par la peau et la rétine l’ambiance anormale de Ciudad Juarez, sa dangerosité extrême, la « volatilité » de ses femmes, l’évidence d’une conjuration.

De même, bien que le journaliste insiste à plusieurs reprises sur l’aspect sexiste de l’avalanche d’assassinats commis dans la ville frontière (il les qualifie de « crimes misogynes »), il n’adopte jamais une posture pamphlétaire de type féministe.

Au contraire, cette donnée est prise en compte dans son acceptation la plus froide et scientifique, « c’est-à-dire la plus importante et significative » : comme relevant d’un environnement psycho-social enclin à diminuer l’impact public de ces crimes et même à en favoriser d’autres, semblables à ceux sur lesquels porte l’enquête.

Cependant, comme le montre l’ouvrage, il y a plus important et impérieux à faire que s’attarder sur cette donnée clinique et statistique : percer à jour la conspiration, éventrer le monstre aux mille têtes, se libérer du dragon, jouer les Saint Georges.

Face au tourbillon des événements, la patience d’un regard perspicace et une vocation courageuse ont permis l’émergence de quelques grandes thèses.

Le système général d’interactions caractéristique des assassinats de Ciudad Juárez reflète une trame complexe, intentionnelle et planifiée. Il ne faudra pas s’étonner à l’avenir de découvrir que tout ce qui semblait particulièrement invraisemblable, extravagant et fantaisiste, était vrai.

Durant presque dix ans, une conspiration a déployé sa phénoménologie secrète et mortelle dans la ville frontière. Toutes les spéculations apparemment tirées d’un roman ou d’un film ont leur chance, ici et maintenant ; la probabilité qu’elles soient vraies est, qu’on puisse les vérifier ou pas, infiniment plus élevée que dans le cas contraire.

Prospère industrie du snuff movie (« enfantillages », pour Robert K. Ressler), plaisirs macabres de jeunes Mexicains fortunés, orgies frénétiques orchestrées par des narcotrafiquants, à la fin desquelles on se débarrasse des femmes obligées à y participer, complicité et participation active et passive de la police locale, suivis d’un long « et cetera » : la débauche incontrôlée des personnages impliqués n’est qu’un reflet de l’aphasie de la justice et de la loi dans ces terres stériles.

Le diagnostic du chercheur met en évidence les paramètres d’un inframonde vivant et rutilant, où les paradigmes du Mexique noir sont érigés en véritables modèles d’action et d’émotion, c’est-à-dire en styles de vie.

Parce qu’il donne des noms et des prénoms, manie des probabilités justifiées et tire des conclusions audacieuses mais à l’évidence recevables, le livre est à la fois une thèse en criminalistique, un outil indispensable et un répertoire de motifs d’assassinats.

En effet, lorsque la chronique (l’énumération des faits) devient essai (proposition d’hypothèses), et celui-ci conjecture (thèse), nous constatons que l’intelligence journalistique a été mise au service de l’investigation policière. Les responsables officiels de l’enquête (nationaux et internationaux) auraient tort de ne pas prêter attention aux spéculations documentées de l’analyste public. -Traduit de l’espagnol (Mexique) par Isabelle Gugnon.

Autopsie d’une frontière inhumaine
Le journaliste mexicain Sergio Gonzalez Rodriguez met en perspective, dans son enquête-roman époustouflante, les crimes industriels et impunis de centaines de femmes dans la ville-frontière de Ciudad Juarez.

D’entrée de phrase, l’inquiétude s’y accroche comme la poussière. Une poussière sale et rouge sombre pellicule l’enquête du journaliste mexicain, Sergio Gonzalez Rodriguez.

Pour s’en sortir, il faut utiliser les ressources de l’auteur. Rompre le cycle infernal d’une ville « pareille à la quatrième dimension » qui a vu, depuis quinze ans, un demi-millier de jeunes femmes mourir de façon atroce. Réfléchir comme lui sur le cadastre des mortes violentées. Réfléchir sur la nouvelle topographie de Ciudad Juarez, à la frontière nord du Mexique, qui, entièrement dédiée à la sous-traitance industrielle depuis les années 90, est devenue un nerf essentiel de la mondialisation économique et de l’immigration mexicaine.

Réfléchir toujours et encore sur les racines du machisme et de la misogynie, de la religion catholique stricte et du syncrétisme cubain de la Santa Maria, sur l’économie de la drogue et sa puissante géopolitique, sur les flux migratoires, l’influence électrique des frontières et la dépression du désert.

Réfléchir sur le mal. ON ne sait toujours pas si ces crimes industriels sont l’œuvre de tueurs en série, de prédateurs sexuels, de gangs territoriaux, de sectes sataniques ou du très puissant cartel de narcotrafiquants de Ciudad Juarez, par ailleurs amateur d’orgies.

Ces femmes aux destins de marchandises démarquées rappellent un monde qui aspire et qui brasse des milliers de vies silencieuses, celles spécifiques des filles ouvrières, célibataires et isolées, des maquiladoras (entreprises de sous-traitance).

Rodriguez est plus net : « Les meurtres de femmes en série sont directement liés au trafic de drogue local et à son immense pouvoir corrupteur, économique et politique, qui pratique le blanchiment d’argent, industrie annexe à son activité principale. En 2003, 24 000 millions de dollars liés à des opérations illicites ont été transférés au Mexique. »

OSSUAIRE

Face aux autorités locales et à la corruption surréaliste qui inventent de faux coupables mais réfutent les vraies victimes, le journaliste de Reforma s’appuie sur son travail d’enquêteur, sur les confidences de criminologues et d’experts exaspérés en privé par cette impunité, mais également sur le matériau des associations de victimes, des anthropologues et sociologues de la violence mexicaine qui sidère tant Ciudad Juarez.

Sur les rapports de l’Onu et d’Amnesty International, également, qui pointent depuis des années ce scandale du « féminicide », sans oublier ceux des députés européens. Car Ciudad Juarez est devenue, depuis les années 90, l’affaire du monde entier, mais beaucoup moins du gouvernement mexicain entré dans l’œil du cyclone.

Rodriguez constate cruellement que le venin de Ciudad Juarez frappe d’embolie le pays tout entier désormais. L’enquête classique est devenue le roman fou et poignant d’une ville dilatée. Un soir d’enquête en 1999, Rodriguez s’est fait embarquer dans un taxi, menacer et frapper à coups de poings et de pic à glace. Il a eu plus de chance que bien d’autres collègues, une dizaine en 2006, massacrés d’avoir trop posé de questions.

Des troubles de la mémoire, un grave hématome au cerveau et un stress post-traumatique l’ont mis de côté durant quelques mois, avant qu’il ne reprenne l’enquête et reçoive de nouvelles menaces de mort. Son livre a la ressource d’une mémoire parce que « me souvenir est devenu pour moi un impératif ». Sergio Gonzalez Rodriguez est un journaliste de fond, un laboureur de désert, mais plus encore un romancier lumineux et, définitivement, le gardien récitant de la litanie des mortes d’un « immonde ossuaire, visible malgré la complaisance des autorités ».

En 2006, 22 jeunes femmes ont été assassinées à Ciudad Juarez, et au premier semestre de cette année, on en dénombre 14. -Emmanuel Lemieux Témoignage chrétien, 27 septembre 2007

LA VILLE MAUDITE
Le livre de Sergio González Rodríguez sur le féminicide de Ciudad Juárez (Mexique) est à la fois une radiographie du mal et un réquisitoire contre l’impunité.

L’affaire aura fait le tour du monde, mobilisé les forums et les ONG. Le juge anterroriste espagnol Baltasar Garzón parla de crimes contre l’humanité. L’auteur de ces pages, écrivain et journaliste mexicain, d’un des plus « stupéfiants » mystères criminels de tous les temps. Bienvenue dans l’enfer. Bienvenue dans « la quatrième dimension », dira l’ex-agent du FBI Robert K. Ressler, spécialiste des meurtres en série (il servit de conseil pour le film Le Silence des agneaux) convié sur place.

De 1993 à 2007, près de 500 jeunes femmes ont été assassinées à Ciudad Juárez, 1,4 million d’habitants, ville-frontière du nord du Mexique, en face d’El Paso (Texas), sans compter des centaines de disparues.

Le mode opératoire était souvent identique : enlèvement, séquestration, viol, strangulation, tortures, avant que les corps mutilés ne soient retrouvés dans des terrains vagues.

La plupart des victimes étaient pauvres, et travaillaient dans les maquiladoras, ces usines d’assemblage à capitaux étrangers qui emploient une main-d’œuvre bon marché. Située aux portes du désert, Ciudad Juárez est une ville « à la splendeur révolue ».

Celle qui inventa le cocktail Margarita et où les vedettes de cinéma, les toreros et les coureurs automobiles venaient s’y amuser est devenue une enclave surpeuplée de l’économie mondialisée – avec ses migrants, ses fêtards, ses gangs, ses trafiquants de drogue.

« Comme dans d’autres pôles frontaliers de la planète, exploiter le corps apparaît comme un besoin pressant », avance le journaliste. C’est donc dans cette « arène de la violence » que s’inscrit la méticuleuse enquête de González Rodríguez.

Alimentée de témoignages, de rapports, d’études, d’informations médico-légales, elle forme un puzzle éprouvant à reconstituer, mais où chaque pièce éclaire la face cachée du féminicide. Car pour l’auteur, la question du mal n’est pas métaphysique, mais politique, sociale, culturelle.

Rituels sataniques, snuff movies, assassins soucieux de divertissement (spree murders), prédateurs imitateurs ? On ne saura pas. Mais des corps ont été découverts près de ranchs de grands propriétaires où des narcotrafiquants organisaient des orgies.

Et peu à peu, dans cette épaisse confusion, un tissu de complicités apparaît entre le crime organisé et les différentes institutions, expliquant l’impunité dont bénéficieraient les auteurs. Car la corruption, à Ciudad Juárez, fait office de lien social. C’est une ville où la police élucide 2,58% des affaires criminelles, où le baron d’un cartel peut être le frère du procureur général, où les trafiquants de drogue, ici plus qu’ailleurs, sont des investisseurs comme les autres, et « reçoivent protection » en retour de leurs investissements.

« Tous tirent des avantages de secrets partagés », résume l’auteur, du monde de l’entreprise jusqu’au sommet de l’État. La police locale retiendra ainsi longtemps sa version de l’affaire : les victimes menaient « une double vie », et les faits sont imputables à leurs « mœurs dissolues ».

Les services judiciaires, quant à eux, ont déclaré sans rire qu’il s’agissait davantage de « problèmes (…) d’éducation et d’un manque de respect vis-à-vis d’autrui », préférant le terme de violences domestiques. D’où des enquêtes bâclées, arrestations arbitraires, négligences à la chaîne, « propagande dénigrante », mensonges : il faut pour les autorités « trouver des coupables, ou alors en inventer ».

Un chimiste égyptien, Sharif Sharif, sera ainsi condamné à trente ans de prison, sans qu’aucune preuve ne soit établie.

Des os dans le désert, qui est aussi un livre sur l’exercice du pouvoir, excède le simple cadre du document d’investigation. Sans pathos, avec une façon quasi-clinique, obsessionnelle et circulaire de présenter les faits, González Rodríguez plonge le lecteur dans un monde autre.

C’est que le mystère de Ciudad Juárez où les femmes « trouvent la mort en attendant l’autobus » relève autant de la fantasmagorie que de l’étude des gouffres. L’écrivain chilien Roberto Bolaño, pour qui « la mémoire est sans limite. Le désespoir, la douleur sont l’unique limite humaine », s’en inspirera d’ailleurs dans 2666, roman posthume à paraître l’an prochain chez Christian Bourgois.-Philippe Savary Le matricule des anges, septembre 2007
Sergio González Rodríguez Des os dans le désert Traduit de l’espagnol (Mexique) par Isabelle Gugnon, préface de Vincent Raynaud, Passage du Nord-Ouest, 378 pp., 23€

source - www.lekti-ecriture.com/contrefeux/Le-pouvoir-de-la-litterature.html

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