mardi 3 février 2009

Haruki Murakami - Saules aveugles, femmes endormies

livre de chevet... après avoir abandonné lachement Védrines...

En attendant de voir ce qu'en disent les lecteurs compulsifs... coup d'oeil sur le blog de Frédéric Ferney...
Toujours curieuse de savoir ce qu'en pense les professionnels de la littérature...
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Murakami avec un fil de soie

Frédéric Ferney a LU :
"Saules aveugles, femme endormie" d'Haruki MURAKAMI,
traduit du japonais par Hélène MORITA (Belfond).
3 février

C'est un recueil de nouvelles, 23 si j'ai bien compté - avec Murakami, le mot recueil prend tout son sens spirituel , intense, tacite, de repli sur la vie intérieure. Certaines datent de plus de vingt ans, la plupart sont parues dans des revues américaines: le New Yorker, Harper's, McSweeny's.
Chez Murakami, le temps est un petit dieu qui dort, et le monde est son rêve. Un monde à la sensualité troublante, insolite, où les corps flottent comme des algues. On s'y enfonce, on s'y noie. Tout est fatidique, élémentaire, spectral. On se frotte les yeux, trop tard, le marchand de sable est passé.

Murakami déduit par un fil de soie ce que chaque instant contient de plus doux, même le plus morbide, même le plus tragique, la mort d'un fils par exemple. On a parlé parfois d'une "écriture hypnotique" à son sujet: on résiste d'abord, et puis on s'abandonne, même si nos craintes ne vont pas fondre. Pour comprendre un écrivain, il faut savoir ce qu'il a d'extrême, de non-négociable: chez Murakami, c'est la suavité. Il sème la terreur avec ça.

Murakami a l'art d'abolir les frontières entre les sexes, entre les espèces, entre les époques: on circule librement dans l'étrangeté, à la limite du surréalisme. A la limite seulement: il ne va pas vous peindre des cornes à la place des yeux; je crois Murakami bien trop rêveur pour sombrer dans l'onirisme. Tout est relié, les astres, les créatures, les dieux, comme dans le bouddhisme. Avec une voie ferrée, un vieillard, une jeune fille, il fabrique des saisons, des heures, des destins. Ses personnages sont des silences oubliés, moins des créatures que des atomes qui se croisent ou se heurtent, en pure perte, comme chez Lucrèce.

On pense parfois à un Maupassant avec une fleur de cerisier à la bouche ou au Henry James du "Tour d'écrou" pour la densité de l'inquiétude. Il aime les chats, il en met partout comme des miroirs; il aime le blanc, qui est la couleur du deuil, il en met partout aussi; il aime le vide. Là où on ne voit rien, il décèle un présage , une ride sur l'eau, un nuage dans le ciel - il a traduit Raymond Carver et Scott Fitzgerald en japonais, ce n'est pas étonnant. Il ressent, il pressent, sans jamais s'émouvoir.

Il ne dessine pas, il peint, au lavis. Il soigne un détail, il laisse le reste dans le flou, il détecte l'impalpable péril dans la fêlure d'un compotier ou dans une aile de papillon. C'est une technique très particulière, quand on est accoutumé aux crayons noirs du roman contemporain. Pas de morale, pas de chute, pas de leçon. On est dans l'implicite, dans le latent, dans le songe. Une fois passé le pont, les fantômes viennent à vous. Brrr!

2 commentaires:

Bon sens ne saurait mentir a dit…

Ca fait longtemps que j'ai envie d'essayer ce Murakami... Il faudrait que je saute le pas.
Merci pour cet article.
:)

mazel a dit…

deuxième que je lis. J'ai commencé par "Kafka sur le rivage" a force d'en entendre parler. etrange, mais bien aimé.
Pour celui-ci, des nouvelles, donc difficile de comparer. Mais vraiment très agréable à lire où plutôt a savourer.
Je pense que je lirai autre chose de lui en cours d'année... l'impression de devenir fan.
bonne journée