revue de presse
Michel Houellebecq
peut-il rater le Goncourt ?
Le prix Goncourt est décerné lundi à 13 heures (en même temps que le Renaudot). Quatre finalistes sont en lice : Maylis de Kérangal, Virginie Despentes, Mathias Enard et Michel Houellebecq. Ce dernier est archifavori :
- Maylis de Kérangal a déjà obtenu le Prix Médicis, ce qui rend assez improbable un nouveau grand prix.
- Imaginer un Goncourt aller à Virginie Despentes (qui, comme Houellebecq, est aussi en finale du Renaudot) serait signe d'avancée sociale dans l'académie Goncourt. Mais « Apocalypse bébé » n'a pas la puissance littéraire des trois autres, et ses préoccupations semblent trop loin du conservatisme de l'académie.
- Enfin, il y a Mathias Enard. « Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants » est un très beau livre, qui emporte depuis la rentrée un succès critique et public (43 900 exemplaires vendus selon Edistat).
Convenons aussi qu'il témoigne d'un jalon dans une œuvre forte, mais qu'il n'a pas de la trempe de son prédecesseur, « Zone ». Lui donner le Goncourt dès maintenant le muséifierait trop tôt, et il n'en a pas l'âge.
Le consensus Houellebecq
Houellebecq, quatrième finaliste, apparaît donc comme un choix qui serait celui de la raison et de la logique. Les critiques litéraires interrogés par Le JDD l'ont plébiscité : sept voix sur huit.
D'autres signes font pencher la balance en faveur de Houellebecq. Notamment ce consensus global chez de nombreux éditeurs concurrents.
Joint vendredi, Manuel Carcassonne, directeur général des éditions Grasset et éditeur de Virginie Despentes, était fataliste : « De toute façon, les jurés semblent avoir dit leur préférence depuis longtemps », pointant deux articles très tôt écrits par des jurés : l'éloge par Bernard Pivot dans le Journal du Dimanche, et l'article plus mesuré d'Edmonde Charles-Roux dans La Provence en septembre.
La semaine dernière, invité avec moi et d'autres dans l'émission « Bienvenue chez Basse », Jean-Marc Roberts, le directeur heureux des éditions Stock, servait sa préférence par doses chevalines : « Comme nous l'espérons tous », « et j'espère que vous êtes d'accord avec moi ». Même si c'est ici une caractéristique de Roberts, qui a la sportive habitude d'applaudir la concurrence lorsqu'il l'aime, qu'il fasse ainsi étalage décomplexé de sa préférence en dit long sur le consensus du milieu.
Un Flammarion sinon rien ?
Quand Roberts se prononce ainsi, ce sont aussi les liens du coeur qui parlent. Son dernier roman a été publié en 2008 chez Flammarion. Une maison qui, dans le passé, a remporté le Goncourt à quatre reprises, bien loin de la quarantaine de médailles du même nom chez Gallimard (où travaillait jusqu'en 2005 l'actuelle PDG du groupe Flammarion, Teresa Cremisi).
Pour elle, faire revenir Houellebecq chez Flammarion, maison d'origine de l'auteur, était forcément synonyme d'une revanche. Une revanche habillée en prix Goncourt. Réputée faiseuse de prix, connue comme une patronne qui entretient des rapports des plus cordiaux avec Bernard Pivot et les autres jurés, elle a publié cette année un essai de Jorge Semprun, membre du jury depuis 1996. Néanmoins, en interne, on calme les esprits. Lors d'une récente réunion éditoriale, un éditeur de la maison, disant tout haut que les choses semblaient plier, s'est vu vertement contredire par Gilles Haeri, numéro deux de Flammarion : « Non, rien n'est jamais joué à l'avance ». Cette remarque feint peut-être de ne faire de la place au trophée avant de l'avoir ramené, mais elle montre une volonté de ne pas communiquer de triomphalisme.
Houellebecq et le Goncourt : amour-haine
En 1998, « Les Particules élémentaires » de Houellebecq était le favori du Goncourt, mais a été doublé par Paule Constant. Il s'est alors répandu dans la presse en termes peu amènes, sur la lauréate autant que sur les jurés. Les débuts d'une relation d'amour-haine entre Houellebecq et l'académie Goncourt.
L'écrivain s'est excusé par la suite car il s'est de nouveau retrouvé en finale pour « La Possibilité d'une île » en 2005. Mais cette année-là, Grasset a dégainé son Weyergans contre Houellebecq et contre son éditeur d'alors, Fayard. Amer, Houellebecq a dû se contenter d'un prix qui en rien ne lui correspondait : l'Interallié.
Juliette Joste, éditrice durant des années chez Flammarion, a travaillé sur trois livres avec l'écrivain et correspond toujours par e-mails avec lui. Comme tout le monde, elle constate que l'écrivain a poli son image. Mais elle ne pense pas qu'il ait « fait un livre assagi pour se réconcilier avec l'humanité », ni pour « se faire bien voir des jurés ». C'est pour elle « un parcours de vie. Il souhaitait moins d'agressivité, envers lui-même comme envers les autres ».
Eclectisme et renouvellement du Goncourt
Droit de réserve. On ne dit rien, quasiment rien. Ce week-end, Tahar Ben Jelloun maintenait les propos tenus à la fin de l'été, voyant toujours en « La Carte et le territoire » un roman « mou, aseptisé, où l'auteur a gommé tout ce qui faisait sa particularité ».
Secrétaire de l'académie Goncourt, Didier Decoin pense au contraire que « Houellebecq s'est acheté une conduite » avec ce livre, pour lequel il ne cache pas son soutien. Il admet que l'ouvrage rend la finale 2010 plus tendue que de nombreuses finales précédentes, et qu » « il est difficile de nier qu'il est bien placé ».
Etre archifavori le dimanche n'a certes jamais garanti le Goncourt le lundi, l'académie se piquant parfois de quelques petits tours d'honneur finaux tout à fait sciants. Ce qui est certain, c'est que le quatuor final témoigne d'éclectisme, de qualité… et de renouvellement.
Imaginer Despentes et Kerangal à ce stade était tout bonnement impossible il y a cinq ans encore. Aussi, après Marie NDiaye l'an passé et Atiq Rahimi en 2008, couronner Houellebecq confirmerait que les jurés se sont, pour de bon, mis à écouter leur époque.
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