jeudi 25 juin 2009

Ismail Kadare, prix Prince des Asturies

De l'interdiction à la consécration

Son premier roman s'appelait «Jours de beuverie», et fut interdit dans son pays en 1962, «après avoir été dénoncé comme une oeuvre "décadente" étrangère aux réalités socialistes», comme le racontait Ismail Kadare lui-même dans un texte exclusif publié par «le Nouvel Observateur» en 2005 [=>
Les fantômes de l'Albanie].
On entre en littérature comme on peut, il faut croire que c'était la juste manière.
Aujourd'hui, l'auteur du «Général de l'armée morte» (1963) des «Tambours de la pluie» (1970) et du «Palais des rêves» (1988), dont l'oeuvre est traduite dans une quarantaine de langues, vient de recevoir le prix Prince des Asturies des Lettres, quatre ans après avoir décroché le premier Man Booker Prize International.


Ismail Kadaré ©Facelly/Sipa

Le jury, qui depuis 1981 récompense chaque année un écrivain «dont le travail de création ou de recherche représente une contribution importante à la culture universelle dans les domaines de la littérature ou de la linguistique», a tenu à souligner cet engagement du lauréat 2009 :

«Ecrivain, essayiste et poète, Ismail Kadare, l'une des plus grandes figures de la littérature albanaise, a traversé les frontières pour s'ériger en voix universelle contre le totalitarisme.»

Après
Margaret Atwood (en 2008), Amos Oz (en 2007) et Paul Auster (en 2006), le prestigieux prix espagnol va donc à un écrivain né en 1936, qui a vu son pays occupé par l'Italie fasciste, l'Allemagne nazie et l'Union soviétique, avant de subir la dictature d'Enver Hoxha.
C'est là-bas qu'était allé le voir le jeune Eric Faye, qui raconte aujourd'hui dans un très beau livre intitulé «Nous aurons toujours Paris» (Stock), dans de quelles conditions il put le rencontrer, à Tirana :

«Dans les salons de l'hôtel qui accueillait nos entretiens, nous nous retrouvions à trois, car nous écoutait toujours un "chaperon": un Albanais ne devait jamais rencontrer seul un Occidental. [...] Sous des écouteurs [...], dans une autre salle de l'établissement, on nous entendait deviser en français de Don Quichotte, Gogol ou d'autres lascars de cette trempe. Qui nous écoutait? Quelles consignes avait cette personne? [...] Un jour, comme il le raconte quelque part, Kadare avait demandé à l'espion de permanence, aperçu dans les couloirs, si l'enregistrement était bon. Les deux hommes avaient ri.»

C'était au printemps 1990. Quelques mois plus tard, l'auteur d'«Avril brisé» (1980) prenait le chemin de l'exil et s'installait à Paris, où l'asile politique lui était accordé. Il y vit toujours. - Par Grégoire Leménager

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voir : http://fundacionprincipedeasturias.org/en/
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revue de presse : http://www.lepoint.fr/culture/2009-06-24/espagne-ismail-kadare-remporte-le-prix-prince-des-asturies-des/249/0/355305
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illustration : "la lectrice" de Albert Von Keller

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