Comme toujours, un magnifique roman sur l'esclavage. A lire absolument !
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Dans cette parabole d’une rare densité symbolique, où le naturel se fond avec le surnaturel, où les thèmes de la servitude, de la féminité, de l’amour maternel et de la quête de soi sont articulés avec une puissante subtilité, Toni Morrison use d’une imagerie et d’une langue aux accents bibliques pour dire un paradis perdu.
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Dans cette parabole d’une rare densité symbolique, où le naturel se fond avec le surnaturel, où les thèmes de la servitude, de la féminité, de l’amour maternel et de la quête de soi sont articulés avec une puissante subtilité, Toni Morrison use d’une imagerie et d’une langue aux accents bibliques pour dire un paradis perdu.
Sa chute est causée par deux péchés originels : l’extermination des Native Americans, dont la tribu de Lina est exemplaire, et la tentation de l’esclavage à laquelle Jacob finit par succomber, malgré sa répugnance pour le commerce des hommes – il décide en effet d’investir dans des plantations de canne à sucre avec cette idée qu’« il y [a] bel et bien une profonde différence entre la proximité intime des corps des esclaves [du domaine Ortega] et une main-d’oeuvre lointaine à La Barbade ».
La corruption de ses idéaux, à l’image de la maladie qui le dévore, sera le début de la fin, et il n’est pas anodin que le portail de fer forgé ouvrant sur sa demeure rêvée – et maudite – soit constitué par deux serpents dont les crocs ont été remplacés par des pétales de fleurs : dans cette Amérique en devenir, l’enfer découle du paradis, beauté rime avec cruauté, et splendeur avec horreur.
Seule lueur d’espoir, ou presque, le « don » du titre, cette miséricorde terriblement humble et humaine (le roman s’intitule A Mercy en anglais) dont Florens, traumatisée comme tous ses compagnons, a été témoin sans la comprendre, et que le fantôme de sa mère tente vainement de lui révéler, dans un ultime et déchirant effort d’apaisement.
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"Situé deux cents ans avant Beloved, Un don évoque, dans la même prose lyrique et verdoyante qui caractérisait son précédent roman, le monde beau, sauvage et encore anarchique qu'était l'Amérique du XVII' siècle.
Toni Morrison a redécouvert une voix pressante et poétique qui lui permet d'aller et venir avec autant de rapidité que d'aise entre les mondes de l'histoire et du mythe, entre l'ordinaire de la vie quotidienne et le royaume de la fable...
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Un don, le récit déchirant de la perte d'une innocence et de rêves brisés, est dès à présent à ranger, au côté de Beloved, parmi les écrits les plus obsédants de Toni Morrison à ce jour. " (Michiko Kakutani, The New York Times)
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"La force épique avec laquelle Toni Morrison rend compte de l'espace et du temps surpasse encore le talent avec lequel elle décrit ses personnages. Elle excelle à trouver une forme de poésie dans ce monde colonial brutal et décousu, amenant son oeuvre au-delà de la simple dénonciation des infamies de l'esclavage et des difficultés d'être afro-américain." (John Updike, The New Yorker)
Avec Un don, qui ressemble à un prequel de Beloved, Toni Morrison revient sur le basculement de l'esclavage à l'institutionnalisation du racisme.
A travers les récits croisés de personnages en proie à l'extrême violence de la conquête du Nouveau Monde, le roman exalte la brutalité d'une nature sauvage, et celle des rapports entre des humains en quête de survie.
Born in the USA
Born in the USA
Toni Morrison occupe une place auréolée de respect, qui en fait en quelques sortes la "boss" de la littérature américaine. Prix Pulitzer pour Beloved, puis nobélisée en 1993, l'écrivain incarne, à 78 ans, la matriarche adorée d'une nation réconciliée autour d'un messianique président métis.
Et c'est bien à la naissance de l'Amérique dans ce qu'elle a de plus sublime et pervers à laquelle elle s'attaque inlassablement tout au long de son œuvre.
Dans Un don, elle évoque le péché originel du massacre des Indiens : c'est dans la douleur que la glorieuse nation s'est imposée au reste du monde. Entre l'extrême rudesse d'une nature à peine déflorée et l'incroyable violence des rapports humains, le roman montre l'immense fragilité de vies sans cesse menacées : celles des riches comme celles des pauvres, des blancs comme des noirs, des hommes comme des femmes.
Damnés
Si, au XVIIe siècle, naître femme, pauvre et noire prédestine à une courte vie faite de dur labeur et de souffrance, tous les personnages de Morrison semblent damnés d'avance.
Il y a Florens, l'esclave à la peau d'ébène abandonnée par sa mère à un maître jugé bon et juste par cette dernière - c'est à cet abandon que renvoie "le don" évoqué par le titre.
Pressentant la chute du maître sudiste surendetté, cette mère n'a pour seul espoir que de voir sa fille partir vers un Nord plein de promesses, aux côtés de Jacob le libre penseur, abolitionniste avant l'heure. Mais au fur et à mesure que la terrible variole décime des villages entiers, le poison du matérialisme s'instille dans l'esprit modeste du simple marchand.
Entre puritanisme et folie de la possession, l'essence même du dilemme américain prend corps.
Pour enraciner son nom dans cette terre vierge, Jacob a besoin d'une femme. Il la trouvera en la personne de Rebekka qu'il fait venir de l'ancien monde pestilentiel. Pour elle, blanche mais non dotée, peu de choix : elle sera épouse, prostituée ou servante.
Même sort pour toutes les femmes qui accompagnent son atroce périple vers une nouvelle vie :
« L'une d'elles, Anne, était envoyée au loin en disgrâce, par sa famille.
Deux autres, Judith et Lydia, étaient des prostituées auxquelles il avait été demandé de choisir entre la prison et l'exil. Lydia était accompagnée de sa fille, Patty, une petite voleuse de dix ans.
Une autre, Abigail, fut rapidement transférée dans la cabine du capitaine et une autre encore, Dorothea, était une vide-gousset condamnée au même choix que les prostituées.
Seule Rebekka, dont le passage était payé d'avance, allait se marier. Les autres seraient accueillies par des parents ou des artisans qui paieraient pour leur voyage - sauf la vide-gousset et les prostituées dont les frais et l'entretien seraient remboursés par des années et des années de travail non rémunéré. »
Don de sagesse
Toni Morrison revient sur une page d'histoire fondatrice : celle du moment où l'Amérique, pays de cocagne et de liberté, de violence mais de solidarité, bascule dans le racisme d'Etat dont elle porte encore des cicatrices.
Elle raconte la possibilité - effleurée puis abandonnée - d'une communion harmonieuse, respectueuse, d'une famille recomposée entre croyants et athées, blancs et noirs, hommes et femmes.
Sa plume, virtuose et réaliste, dépeint le quotidien d'orphelins trop petits, trop faibles face aux dangers qui les entourent : l'intolérance religieuse, la peur de l'autre, une nature immense et hostile.
En rappelant à bon escient que le racisme est une construction intellectuelle et qu'on ne naît pas esclave, Toni Morrison nous fait assurément un don précieux : celui de la mémoire avisée d'une grande dame résolument optimiste, mais qui ne crierait pas trop vite victoire.
source : Mélanie Duwat-Le 05 mai 2009- http://livres.fluctuat.net/toni-morrison/livres/un-don/5561-chronique-Misericordieuse-Amerique.html
source : Mélanie Duwat-Le 05 mai 2009- http://livres.fluctuat.net/toni-morrison/livres/un-don/5561-chronique-Misericordieuse-Amerique.html
http://gangoueus.blogspot.com/2009/05/toni-morrison-un-don.html
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illustration : "la lectrice" deLéopold françois Kowalski
1 commentaire:
Bonjour,
Il s'agit d'un très bel article sur un roman qui vaut le détour.
Merci d'avoir mentionner mon modeste de blog aux côtés de ces illustres sites!
Bien à vous,
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