mercredi 29 juillet 2009

Michael Chabon - Le Club des policiers yiddish

Début de lecture ce soir... si j'arrive à tenir jusque là...
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Ce qu'en dit "chronicart" :

Le Club des policiers yiddish appartient à la catégorie des strudels littéraires, un peu informes à l'extérieur mais épicé et presque capiteux lorsqu'on y goûte.
Sucrerie juive en somme que ce roman plus ambitieux qu'il n'y paraît à première vue, qui s'assume et se déploie en versant à la fois dans la farce et le tragique.
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Pour décrire ces Juifs qui cohabitent dans l'amour, la méfiance, le respect et le dégoût mutuels, Chabon use et abuse de la métaphore, jusqu'à l'indigestion parfois.
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Le Club des policiers yiddish fourmille de descriptions cocasses d'un concentré d'humanité déplacée en terre hostile où l'on croise ici un « loubavitch » au visage « aussi pâle qu'une page de commentaire », là un rabbin qui ressemble à «une montagne informe, un dessert géant dévasté, une maison de B.D. aux fenêtres condamnées et à l'évier qui fuit » qu'un enfant « a dû modeler » en réunissant « la pâte de ses bras et de ses jambes à celle de son corps » avant de « coller sa tête par-dessus » .

Le district de Sitka, en Alaska, est le nouvel Israël. Y vivent deux millions de Juifs parlant le yiddish.

L'inspecteur Meyer Landsman, de la brigade des homicides, est chargé de faire régner la paix dans cette communauté désobéissante et encline aux mystères.
Ainsi, dans un hôtel minable, Landsman découvre un junkie assassiné qui s'avère être le fils du plus puissant rabbin de Sitka, le chef des verbovers, des Juifs ultra-orthodoxes.
Des ordres venant de l'étranger exigent la clôture de l enquête mais Landsman s'obstine : ce mort lui plaît et il refuse de laisser son assassinat impuni...
Le rabbin aurait-il commandité le meurtre de son fils ?
Dans quel but ?
Et quels liens entretient la communauté verbover avec d'étranges commandos parlant hébreu ?
Dans une tradition typiquement américaine, Michael Chabon emprunte à tous les genres avec allégresse :
- légendes des émigrés juifs d'Europe de l'Est,
- roman noir, roman d'anticipation,
- critique politique de l'après - 11 Septembre
- et réflexion morale sur les dérives religieuses.
Hommage à Chandler et à Charyn, Le Club des policiers yiddish, lauréat du prix Hugo 2008 va être adapté au cinéma par les frères Coen (The Big Lebowski, Fargo, No Country for Old Men...) et a reçu un accueil enthousiaste aux États-Unis : « Une réussite, comme si Raymond Chandler et Philip K. Dick avaient fumé un joint en compagnie d Isaac Bashevis Singer... » New York Review of Books.
Michael Chabon est un écrivain, essayiste et scénariste américain d'origine juive, né le 24 mai 1963 à Washington D.C. (États-Unis).

Michael Chabon a grandi à Columbia (Maryland) dans une famille juive, et est diplômé en art à l'Université de Pittsburgh et en écriture créative à l'Université de Californie à Irvine.

Ses parents se séparent alors qu'il n'a que 7 ans, et de fait, les thèmes du divorce et de la monoparentalité sont profondément ancrés dans ses obsessions d'écrivain.
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De la même manière, citoyen américain, il est de religion juive et le
judaïsme est ainsi au centre de nombre de ses écrits (Les Extraordinaires aventures de Kavalier & Clay notamment, qui traite indirectement de la Shoa).
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Enfin, la présence de personnages homosexuels (notamment les deux personnages principaux des
Mystères de Pittsburgh) ont amené de nombreux journalistes à s'interroger sur son orientation sexuelle.
Dans une réédition des Mystères de Pittsburgh, Michael Chabon a déclaré qu'il avait effectivement eu par le passé de telles relations. Pourtant il vit aujourd'hui avec sa femme Ayelet Waldman - elle-même écrivaine - et leurs quatre enfants, à Berkeley (Californie, États-Unis).

Michael Chabon collabore depuis quelques années avec le monde du cinéma.
Un de ses romans, Des Garçons épatants, a déjà été adapté pour l'écran en 2000 par le scénariste Steven Kloves, et réalisé par Curtis Hanson, sous le titre Wonder Boys.
Michael Chabon a participé directement à l'écriture de Spider-Man 2 (2004), dont environ un tiers de l'histoire serait de son ressort.
Enfin, il a lui-même adapté Les Extraordinaires aventures de Kavalier & Clay pour le grand écran, et le tournage devrait commencer sous peu sous la direction de Stephen Daldry.

Le personnage de l'Artiste de l'évasion super héros de bande dessinée créé par Kavalier et Clay dans
Les Extraordinaires aventures de Kavalier & Clay, a donné lieu à la création de véritables bande dessinées narrant ses aventures.
Celles-ci ont reçu de nombreux prix aux États-Unis, notamment un Eisner Award de la meilleure anthologie en 2005.
Ce qu'en disent les autres...


À l'instar de l’enquêteur archétypal du roman noir, Meyer Landsman est un flic têtu, solitaire et meurtri par l’existence.
La carcasse percluse de douleurs, l’haleine parfumée à l’alcool, il crèche dans une chambre anonyme d’un hôtel qui a connu son heure de gloire, il y a bien longtemps.
Meyer est juif, libre-penseur, laïc et athée.
Assurément, un marginal aux yeux de tous en ce début de XXIe siècle. Le genre de type à considérer qu’il n’y a pas de bien ou de mal ; juste des gens, à son image, qui disent non, et qui boivent un coup parce que, quand même, c’est dur.
Le genre de noz [un flic en yiddish] à ne connaître que deux états : le travail et la mort.
Seul, Meyer l’est incontestablement depuis qu’il vit séparé de sa femme et que sa sœur, pilote chevronnée d’hydravion, est décédée dans un accident aérien.
Ne lui reste comme famille que celle de son coéquipier, Berko Shemets, un métis, indien par sa mère et juif par son père.
En somme, une autre anomalie dans le paysage mais une anomalie taillée dans un roc et qui fait montre d’une générosité désarmante en toutes circonstances. Car il en faut beaucoup de la générosité pour supporter la vie à Sitka, Alaska.
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Sur ce bout de territoire concédé, en guise de terre promise, par le gouvernement de Franklin D. Roosevelt afin d’accueillir les Juifs d’Europe de l’Est, le climat est rude, la promiscuité permanente et le voisinage avec les tribus indiennes, pollué par le souvenir d’émeutes déclenchées jadis par les plus extrémistes des Yids.
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Et puis, il y a ce spleen institutionnalisé, caractéristique essentielle de l’âme juive, que des millénaires de pogroms et de diaspora ont contribué à façonner.
Difficile de résister à cet atavisme ancestral surtout lorsqu’il est réactivé par une rétrocession territoriale imminente.
Pourtant, alors qu’il n’est même pas sûr, ni d’être encore flic dans deux mois, ni d’être autorisé par les anciens propriétaires à demeurer sur place, une fois la rétrocession effectuée, Meyer s’entête à faire son boulot.
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Un inconnu a été exécuté d’une balle dans la nuque dans une autre chambre de l’hôtel où il réside.
Une illustration de la violence ordinaire pour Meyer si ce n’est que cette fois-ci, c’est un voisin. Et lorsque l’identité du pisher s’avère être celle du fils du rebbè des verbovers, une des plus puissantes communautés fondamentalistes juives, Meyer revit par bribes son passé familial ; véritable condensé de l’histoire du peuple juif en Alaska.
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En dépit des apparences, Le Club des Policiers Yiddish n’est pas un banal roman policier élaboré comme un hommage talentueux à Dashiell Hammett ou à Raymond Chandler.
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Non, le roman de Michael Chabon transcende la routine des codes du roman noir pour finalement revenir à sa source : la description du monde sous l’angle de la critique sociale. Il en restaure même toute la charge politique.
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Toutefois, ce monde décrit par Michael Chabon n’est pas exactement le nôtre. Une divergence historique, introduite aux alentours des années quarante, l’a fait bifurquer sur une ligne alternative.
Pour reprendre la terminologie de Eric B. Henriet, l’uchronie est ici pure et elle s’apparente à un biais dont les effets se conjuguent à ceux du roman noir pour en renforcer l’impact.
En effet, impossible de faire l’impasse sur le sous-titre politique qui sous-tend l’intrigue.
Impossible de ne pas reconnaître derrière les agissements du gouvernement des États-Unis dans le roman, l’idéologie néo conservatrice à la manœuvre.
Difficile également d’ignorer cette collusion entre la communauté juive d’Amérique et les fondamentalistes chrétiens ; collusion qui a fondé toute la politique états-unienne depuis au moins les années quatre-vingt-dix.
Face à cet Empire qui crée sa propre réalité, modifie celle-ci pour la faire correspondre à sa volonté et se proclame acteur d’une histoire qu’il donne à étudier, il fallait bien opposer le procédé de l’uchronie.
Ainsi, Le Club des Policiers Yiddish apparaît comme le récit fait par une conscience révoltée et désillusionnée d’un monde où, quelles que soient les voies suivies par l’Histoire, l’ordre qui règne est haïssable.
Fort heureusement, la pesanteur de la charge est délibérément désamorcée par un humour aigre-doux omniprésent.
Car Le Club des Policiers Yiddish est un roman formidable, chaleureux et emprunt d’une grande dignité.
La narration prend le temps d’installer une atmosphère et des personnages qui se distinguent de la simple épure archétypale pour revêtir la chair d’êtres humains en proie au doute, à la fatigue et au sentiment de ne rien pouvoir changer à la marche du monde.
Le contexte uchronique se révèle par allusions successives au travers des souvenirs familiaux de Meyer, au point de se faire littéralement oublier.
Et puis, il y a ces termes d’argot dérivés du yiddish, dont Michael Chabon avoue avoir puisé l’idée de départ dans un guide de conversation. Loin de nous égarer ou de constituer un quelconque obstacle à la compréhension de l’intrigue, il renforce la vraisemblance de l’histoire et participe à l’humour délicieusement décalé du roman.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, Le Club des Policiers Yiddish est assurément le roman du début de l’année 2009 à ne pas rater.


La grande réussite de ce livre tient à la l'invention de toute une Histoire, un folklore, un argot -un langage même- d'un Etat imaginaire mais rendu parfaitement plausible. Avec ses sectes-mafias ultra-orthodoxes, ses flics et ses espions, son histoire marquée par l'exil et les souffrances, et la tragique incertitude d'être encore et toujours un "peuple sans terre"...
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C'est aussi brillamment écrit, avec un humour irrésistible et un don de l'image surprenante et drôle : "Alors pourquoi son coeur cogne-t-il sur les barreaux de sa cage thoracique comme le quart métallique d'un récidiviste ? Pourquoi le lit parfumé de Bina lui fait-il soudain l'effet d'un caleçon qui remonte ou d'un costume de laine par un après-midi torride ?"
Bon, voilà, il faut le lire, quoi.

Voir également :

http://didier-jacob.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/05/27/michael-chabon-le-juif-delirant.html
http://www.chronicart.com/livres/
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Quelques envies de lire...
Les extraordinaires aventures de Kavalier & Clay
New York, 1939 : Josef, jeune Juif ayant fui Prague occupée par les nazis, et son cousin de Brooklyn, Sammy, unissent leur talent pour inventer un héros de bande dessinée : l’Artiste de l’évasion.
Pourfendeur des forces du mal, spécialiste des évasions, celui-ci combat le nazisme sous toutes ses formes. Il incarne ainsi la tentative désespérée de Joe de libérer sa famille restée à Prague, en même temps qu’une dérisoire volonté de réveiller la conscience des jeunes Américains.

Profondément attachants, les deux cousins de génie, si différents l’un de l’autre et si complices, embrassent toute une page de l’histoire du monde.
Avec un talent époustouflant, Chabon nous emmène d’un univers à l’autre à travers le regard d’un jeune Juif éloigné de sa famille.
À la frénésie de consommation de la jeunesse américaine répond l’angoisse des populations victimes de la guerre en Europe, à la légèreté religieuse américaine les risques que prennent les Juifs de Prague pour sauver le Golem, au sadisme ou à l’indifférence des responsables politiques du pays libre l’héroïsme de ceux qui risquent leur vie pour faire sortir les Juifs d’Europe.
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Chabon allie avec délectation fiction et réalité, romanesque pur et documentaire sur les années 1940-1950, sur la naissance d’un nouvel art qui fit fureur auprès des jeunes générations : les Comics.
Joe et Sammy sont des personnages fictifs qui évoquent Siegel et Schuster, les créateurs de Superman, ainsi que Simon et Kirbey, ceux de Captain America.
L’Artiste de l’évasion est une pure invention de l’auteur, inspiré de Flash Gordon, Super Man, Batman.
Les références aux faits historiques parsèment le récit : apparition de Orson Welles et de Salvador Dali, par exemple.
Le livre soulève des problèmes historiques rarement abordés dans le roman américain : l’extrême droite américaine pendant la guerre, qui soutient activement Hitler, les difficultés des réfugiés dans un pays en pleine effervescence consumériste, le rôle des BD dans la représentation de la seconde Guerre Mondiale aux États-Unis…
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Les Extraordinaires Aventures de Kavalier et Clay a été récompensé en 2001 par le plus prestigieux des prix littéraires américains : le Pulitzer.
Avec ce roman captivant, débordant d’imagination et de rebondissements l’auteur, atteint à sa pleine maturité. Les aventures de l’Artiste de l’évasion vont être adaptées sous forme de BD.

Les Mysteres de Pittsburgh
Cet été-là, le dernier de ses quatre années passées sur le campus de l université de Pittsburgh, Art Bechstein avait bu, fumé, écouté de la bonne musique, couché avec un homme qu'il aimait et appris à en aimer un autre si fort qu'il ne lui serait jamais venu à l'idée de coucher avec lui.
Entre d'un côté le triangle amoureux qu il forme avec Arthur Lecomte le dandy ainsi que la jolie Phlox Lombardi et, de l'autre, son amitié naissante avec le charismatique criminel en devenir Cleveland Arning, le narrateur Art Bechstein magnifie ses amis, ses amours et en fait des légendes vivantes.
Mais pourra-t-il longtemps repousser l'inévitable collision avec le monde en apparence raisonnable et respectable des adultes ?
Avec la publication des Mystères de Pittsburgh, écrit en 1987 pour son mémoire de maîtrise alors que Michael Chabon étudiait à l'université Irvine de Californie, les lettres américaines ont trouvé leur nouveau prodige.
Instantanément propulsé en tête des listes de best-sellers, ce premier roman suscite toujours un fort engouement puisqu un film adapté des Mystères de Pittsburgh est sorti aux États-Unis en janvier 2008.
La Solution finale

Linus Steiman, petit garçon juif ayant fui l'Allemagne nazie, est accueilli dans une famille anglaise.
Il n'a qu'un seul ami : Bruno, un perroquet merveilleusement doué, qui chante en allemand d'une bouleversante voix de femme et récite de longues séries de chiffres mystérieux.
Ces chiffres sont-ils les clefs d'un code ultra-secret de l'armée allemande?
Ceux des comptes bancaires suisses de la famille de Linus, disparue dans les camps d'extermination?
Les secrets dont Bruno est le dépositaire déchaînent les curiosités. Bientôt un crime a lieu, et l'oiseau disparaît.
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Pour l'amour du petit garçon solitaire, un vieux détective, célèbre en son temps pour son flair infaillible et ses méthodes peu orthodoxes, accepte de se charger de l'enquête.
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Michael Chabon rend ici un hommage aussi savoureux qu'émouvant à Conan Doyle.
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Profondément attaché à la mémoire de l'une des plus grandes tragédies du XXe siècle, il lie l'enquête policière au drame des enfants exilés durant la dernière guerre. Il dote ainsi d'une dimension historique poignante les brillantes investigations de son vieux détective.
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illustration : "la liseuse" de Janice Webb

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