mardi 7 juillet 2009

Musso and co...LES LIVRES MUETS

Revue de presse... sur un phénomène de société... la culture-marketing...

Ils sont en tête de gondoles et en tête des ventes. Période faste pour les romans de Guillaume Musso, Marc Levy, Katherine Pancol, etc., qui, dépréciés par la critique ou exaltés par le public, interpellent le monde de l'édition.
Retour sur un phénomène commercial et "culturel".
Il y a une trentaine d'années, dans une interview pour la revue Minuit, Gilles Deleuze définissait déjà les symptômes d'une marchandisation de la chose culturelle :
"Ils (les nouveaux philosophes) ont traduit en France le marketing littéraire ou philosophique. Il faut qu'on parle d'un livre ou qu'on en fasse parler, plus que le livre lui-même ne parle ou n'a à dire."
Discours prémonitoire annonçant l'avènement d'un format littéraire original : le livre muet.
Ou quand l'image et la parole "médiatico-narcissico-pragmatique" de l'auteur se substituent à l'éloquence de l'écriture.
Et, conformément à l'iniquité engendrée par la profusion de livres spécifiques aux rentrées littéraires, nombreux sont les auteurs discrets, premiers romans ou petites maisons d'édition évincés par la présence suffocante des écrivains connus et des puissantes machines à publier.
En dehors de quelques perles (espérées) de grands auteurs confirmés, le marché de l'édition semble dorénavant tributaire de la communication et du business.
Ayant pour auteurs Marc Levy, Guillaume Musso ou encore Katherine Pancol, cette littérature de loisirs (plus hypocrite, déguisée, que les romans de gare) stimule les ventes, réjouit les éditeurs et régale le public.
Pendant ce temps, dans l'opacité des bureaux parisiens ou la pénombre des cafés branchés de la capitale, les critiques littéraires vocifèrent, dénoncent l'imposture.
Plus divertissant qu'épanouissant, que doit-on penser de ces livres aux allures de synopsis et aux contours mercantiles ?
Doit-on jeter Marc Levy dans un pudding ou reconnaître la réalité d'un concept qui, selon eux, légitime tout relativisme : la culture populaire ? Les conditions d'un succès.

L'an dernier Marc Levy et Guillaume Musso ont rapporté un peu moins de 30 millions aux éditeurs, avec un peu moins de 1,5 million d'exemplaires vendus pour le premier et un peu plus de 1,2 million pour le second.
Avec des tirages de 500.000 exemplaires, des traductions en plus de 20 langues, des campagnes de publicité considérables, une communication englobante, une publication annuelle (en général, estivale), impossible d'échapper aux phénomènes Levy, Gavalda, Musso, Pancol ou Werber.
Robert Laffont, Albin Michel ou XO éditions se frottent les mains et les séances interminables de dédicaces au Salon du livre confirment la tendance.
Ils ont entre 30 et 50 ans, connaissent les recettes du succès et prennent (effectivement) soin de leurs lecteurs.
Des histoires simples, mélange de sentiments suaves et d'ingrédients surnaturels, de myéline et d'intrigues faciles, proposent une lecture aisée et une écriture de divertissement plus proche du scénario de cinéma que de la littérature en pléiade.
D'ailleurs, les adaptions ne se sont pas fait attendre avec la complicité assidue des vedettes du 7e art.
- et 'Mes amis, mes amours' pour le plus londonien des auteurs français,
- ou 'Et après...' adapté du livre de Guillaume Musso, prévu le 9 décembre 2008, avec Romain Duris et John Malkovich (les droits cinématographiques de 'Parce que je t'aime' ont déjà été achetés par UGC).
Ainsi, heureux de contenter leurs lecteurs, aucun ne compte s'excuser de son succès.
- "C'est un honneur pour moi de vendre des livres. Je ne suis jamais dans une situation de m'excuser d'en vendre" affirmait Musso dans son interview à Evene.fr.
- "J'ai eu le bonheur de voir mon livre proposé en lecture dans des classes et de recevoir le témoignage de gens qui me disaient : vous m'avez redonné le goût de lire" pouvait surenchérir Marc Levy dans un entretien accordé à L'Express.
Et pourquoi dissimuler une réussite aussi éclatante semblant réjouir tout le monde, des lecteurs aux éditeurs ?

Laissons un critique littéraire - Jérôme Garcin du Nouvel Obs -, répondre à cette question :
- "Marc Levy ne se contente pas dans une prose d'aéroport et avec un vocabulaire de tour-opérateur, de débiter au mètre de la romance guimauve, de la mélofiction, il veut aussi faire de la morale.
- En bon cynique, il ajoute Paulo Coelho à Robocop et le café du commerce au musée Grévin […]
A la fin, l'auteur remercie nommément 34 personnes. Tant de monde pour une telle daube.
" Propos acrimonieux, rancoeurs ou affliction légitime contre une littérature, selon la plupart des critiques, de très mauvaise qualité ?
On pourrait moquer les réquisitoires de ces grincheux face à la preuve irréfragable du succès.
Mais encore faudrait-il entendre et reconnaître la crédibilité des arguments anti-"Musso and co".
Car, en réalité, cette littérature (mais est-ce encore de la littérature ?) a le grand défaut - qui paradoxalement fait son succès - d'aller absolument à l'essentiel.
Le "droit au but" comme caractéristique de ces auteurs modernes ou comme une nécessité de la recette marketing aux dépens du style, du sens et du contenu.
Plus clairement : efficacité et pragmatisme dans l'écriture.
L'histoire, rien que l'histoire, racontée en gros, en gras et avec beaucoup d'images.
Une objectivation de la vacuité en deux cents pages.
Et, à bien regarder les chiffres, c'est à l'évidence ce que semble réclamer le lecteur. Quelque chose de simple, complice d'une lecture nonchalante et qui, si possible, peut faire rêver ou du moins sourire.
Alors on multiplie les lapalissades, les tautologies, les évidences ridicules et la morale de bon marché.
De la culture populaire

Et on revendique son adhésion déterminée à la culture populaire. Assez caractéristique, Katherine Pancol commence son roman par cette citation de
Romain Gary : "c'est horrible de vivre une époque où au mot sentiment, on vous répond sentimentalisme. Il faudra bien pourtant qu'un jour vienne où l'affectivité sera reconnue comme le plus grand des sentiments et rejettera l'intellect dominateur."
Au-delà d'un aveu de sentimentalisme aigu, on pourrait y voir une tentative maladroite de justifier une mauvaise littérature par l'exaltation du sentiment.
Et ce sentiment aisé devient en littérature ce que le bon sens est à la philosophie, une forme de ralliement au "populaire" sous forme d'anti-intellectualisme primaire.
Ce qui n'est pas sans rappeler la mythologie bourgeoise dont parlait Barthes.
La comparaison semble audacieuse, et pourtant !
Cette réduction identitaire des personnages proche d'un essentialisme social, la logique quasi naturelle de la morale et de l'agencement diégétique, l'abus de tautologies et de lapalissades, s'inscrivent dans une représentation "bourgeoise" du monde.
Les valeurs sont bourgeoises, la cause 'libérale'.
Produit consommable, concept marketing, recette quasi objective, quand le divertissement s'impose à la littérature, la choséité de la discipline se perd sous la superficialité d'un art devenu objet consommable, c'est-à-dire exclusivement efficace.
Arendt définissait avant tout l'oeuvre culturelle comme une main tendue à l'éternité, une quête vers l'immortalité ; Musso and co la revisitent en en faisant un bâillement divertissant et jetable.
Quant à l'argument a priori irréfutable du succès, il ne peut sérieusement être une condition suffisante pour prétendre au label "culture populaire". Car il y a entre lui et la culture de masse une divergence qualitative insurmontable.
Pourrait-on au nom d'une fréquentation élevée considérer le McDonald's comme un représentant de la gastronomie populaire ?
Devrions-nous alors bouder ces auteurs ?
Et si ces ventes records permettaient aux éditeurs de publier de nouveaux talents, aux gens de lire et de prendre du plaisir, aux acteurs de travailler... Mais, plus difficile à admettre, que cette littérature pénètre dans la sacro-sainte école (comme cela arrive "grâce" à Marc Levy). Encore plus injuste : de se dédouaner en s'affirmant chantre de la culture populaire.
Il existe une bonne littérature populaire d'Eric-Emmanuel Schmitt à Laurent Gaudé en passant par Muriel Barbery ('L'Elégance du hérisson') qui ne transige ni avec le talent ni avec l'exigence d'une écriture raffinée.
Enfin, tout juste insupportable, que Guillaume Musso puisse affirmer avoir été influencé par Albert Cohen - entre autres 'Belle du seigneur'.
Pourquoi, trop souvent, le livre se tait-il au profit de son auteur ? Comme punition pour avoir dit une telle énormité : la lecture d'un livre de Marc Levy...

Thomas Yadan pour Evene.fr - Septembre 2008
http://www.evene.fr/livres/actualite/litterature-populaire-musso-levy-pancol-chattam-gavalda-1569.php

1 commentaire:

Alex, Mot-à-Mots a dit…

Bah, il a le droit d'aimer Albert Cohen aussi, même si il n'en aura jamais le talent !