vendredi 4 juin 2010

Marek Halter - Le Kabbaliste de Prague

Fin de lecture...

À l'entrée du ghetto de Prague se dresse une statue que ni les nazis ni les Soviétiques n'ont osé détruire : celle du MaHaRal, le plus grand kabbaliste de tous les temps, qui créa le Golem, un être de boue à l'image de l'homme.
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À la fin du XVIe siècle, le ghetto de Prague est une fois de plus réduit à feu et à sang lors d'un pogrom.
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Ayant vu son mari dépecé sous ses yeux, la petite-fille du MaHaRal supplie son grand-père de créer une force capable de sauver les juifs de l'anéantissement.
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La Kabbale, chemin de la secrète sagesse, affirme qu'un homme pur peut, ainsi que Dieu, engendrer la vie par la seule puissance de son verbe.
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Le MaHaRal accepte à son corps défendant de façonner le Golem, être de boue d'une force extraordinaire.
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Mais l'usage de la force peut-il réellement conduire à la paix ? Une fois vivant, le Golem se révèle pétri de sentiments. Et quand il prend conscience de sa condition, il se retourne contre ceux qui l'ont sorti du néant.
Mêlant fiction et réalité, Marek Halter nous fait vivre de l'intérieur les mystères de la Kabbale en un roman foisonnant d'érudition et d'émotions.
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C'est d'une lecture agréable, mêlant fiction et réalité, bien que peu de pages soient consacrées au Golem ni même au MaHaRal...
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Plutôt l'histoire d'amour compliquée de David Gans et de Eva, petite fille du MaHaRal... et de la Communauté juive de Prague...
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une histoire aussi sur la tolérance, sur l'acceptation de celui qui est différent... donc, assez moralisateur, comme d'habitude avec l'auteur... c'est d'ailleurs ce que je lui reproche le plus souvent... reste qu'il est un habile romancier et que j'aime bien ses histoires...
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Plus de la fable épique traversée par toutes les grandes questions philosophiques, scientifiques et religieuses du XVIe siècle. Le drame des guerres de religions qui soulève des questions toujours d'actualité : les relations intercommunautaires et le dépassement de l'altérité.
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Curiosité de lecture : (wikipédia)
David Gans né en 1541 et décédé en 1613, était un penseur, mathématicien et astronome juif ashkénaze qui a étudié à Bonn et notamment à Prague avec le Maharal. Il s'est intéressé aux sciences de son époque et a été l'un des premiers à mentionner Copernic. Il a écrit Tsémah David traduit par Germe de David qui s'attache dans une partie à commmenter des textes bibliques et rabbiniques et, dans une autre, qui rejoint des préoccuppations plus universelles dont la science.
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Loew ben Bezalel (1512 - 1609), dit « Notre enseignant, le Rav Loew » (Morenou HaRav Loew), abrégé en MaHaRaL (dénomination par laquelle il est le mieux connu) est l'un des plus grands Aharonim.
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Né en 1512 à
Posen, il est longtemps rabbin de Nikolsburg. Il pose plusieurs fois sa candidature au poste de Grand-Rabbin de Prague, mais n'est élu qu"en 1606, à l'âge de 80 ans ! Il y meurt presque centenaire, entouré d'une légende de rabbin miraculeux. Sa tombe est au Cimetière juif de Prague.
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Il était versé aussi bien dans les grands textes du
judaïsme que dans les sciences profanes, en particulier les mathématiques. Il entretenait des liens étroits avec l'astronome Tycho Brahe, dont l'élève, David Ganz, fut son assistant. Ce fut suite aux découvertes de celui-ci qu'il exprima la fameuse formule, qu'en aucun cas la Torah et la science ne peuvent être en conflit, puisque leur domaine n'est pas le même.
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Il fut également un grand défenseur de la
littérature rabbinique allégorique, le Midrash, notamment dans son livre Beer hagola, traduit en français sous le titre Le puits de l'Exil Il est connu pour avoir donné un système complet de compréhension de la Haggadah (partie "histoire" du Talmud). La plupart des commentateurs préférant ne pas dévoiler cette partie "cachée" du Talmud.
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De manière simplifiée on peut expliquer que sa méthode consiste à retranscrire les mots de la Haggadah sous forme de "concept" . Ce ne sont pas les "paroles des sages" mais des "paroles sages" disait-il.
En France, le grand spécialiste du Maharal de Prague est
Benjamin Gross.
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illustration : La statue monumentale de Rabbi Low sur la façade de l'hôtel de ville de Prague
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Son nom a été associé à la légende du Golem, célèbre dans la culture juive d'Europe de l'Est, créature humanoïde d'argile qui se meut si l'on lui appose le nom ineffable de Dieu.
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Selon les uns, il aurait été créé par le Maharal afin de protéger les juifs du ghetto contre les trop nombreux pogroms ou, selon les autres, suite aux demandes pressantes de son ami Mordecaï Meisel, fort chagrin de n'avoir pas d'enfant.
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Ce dont on est sûr aujourd'hui, c'est que les deux sources principales de cette histoire sont des faux (sources: chercheurs du musée de Prague). La légende est cependant associée à l'histoire de la ville, les "petits golem souvenir" y sont légion.
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Soixante ans plus tard, l'histoire fut reprise et popularisée par Yudl Rosenberg.
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On en trouve des échos dans les contes des frères Grimm, et moins directement dans le Frankenstein de Mary Shelley ou dans le Fantasia de Walt Disney (L'Apprenti sorcier).
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illustration : Rabbi Loew et son golem (en hébreu : גלם).
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Tycho Brahe (Tyge Ottesen Brahe), dit Le noble Danois ou L’homme au nez d’or (14 décembre 154624 octobre 1601), est un astronome danois originaire de Skaneland région historique du Danemark qui fait maintenant partie de la Suède.
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Il est connu pour avoir établi un catalogue d’étoiles précis pour son époque, ainsi que pour avoir produit un modèle d’univers cherchant à combiner le système géocentrique de Ptolémée et héliocentrique de Nicolas Copernic.
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Tycho Brahe a pu mener ses travaux en astronomie grâce à l’octroi d’un domaine sur l’île de
Ven où il fit construire un observatoire astronomique qu’il appela Uraniborg et une pension annuelle accordés par le roi Frédéric II de Danemark.
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De 1600 jusqu’à sa mort survenue en 1601, il fut assisté par
Johannes Kepler, qui allait plus tard utiliser ses données astronomiques pour développer ses propres théories sur l’astronomie et formuler les trois lois du mouvement des planètes dites lois de Kepler.
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Johannes Kepler (ou Keppler), né le 27 décembre 1571 à Weil der Stadt dans le Bade-Wurtemberg et mort le 15 novembre 1630 à Ratisbonne en Bavière, est un astronome célèbre pour avoir étudié l’hypothèse héliocentrique (la Terre tourne autour du Soleil) de Nicolas Copernic, et surtout pour avoir découvert que les planètes ne tournent pas en cercle parfait autour du Soleil mais en suivant des ellipses.
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Kepler est parfois considéré comme un précurseur des romans de science-fiction avec l'écriture de Somnium, seu opus posthumum de astronomia lunari.
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Dans cet ouvrage publié à titre posthume en 1630 par son fils Ludwig, Kepler essaie de diffuser la doctrine copernicienne en détaillant la perception du monde pour un observateur assis sur la Lune.
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Il explique que « le but de [son] Songe est de donner un argument en faveur du mouvement de la Terre ou, plutôt, d'utiliser l'exemple de la Lune pour mettre fin aux objections formulées par l'humanité dans son ensemble qui refuse de l'admettre. »
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illustration : Statue de Tycho Brahe et Johannes Kepler à Prague, République tchèque.
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Littérature

Roman avec Golem, de Jean Villemin paru en 2010.
1915. Tandis que la Première Guerre mondiale ensanglante l'Europe, un auteur quasiment inconnu publie son premier roman, qui connaît un succès foudroyant.
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Placé sous le signe du Golem, cette créature d'argile façonnée jadis par un rabbin, et qui revient hanter la ville tous les trente-trois ans, le livre ressuscite la Prague du tournant du siècle : Prague et son ghetto, rasé quelques années avant la guerre par des autorités soucieuses d' " assainissement ".
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Dans ses rues tortueuses où sont tapis des êtres fantastiques, dévorés par la passion et la haine, des crimes se commettent, tandis que les couples dansent dans des cabarets sordides.
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La folie sourd des vieilles pierres... elle poisse les songes et les souvenirs, elle sème sous les pas des passants des arcanes indéchiffrables. jusqu'où le narrateur ira-t-il pour se libérer de son emprise et connaître enfin son destin ?
A la fin du XVIe siècle, dans le ghetto de Prague, le rabbin MaHaRal, le plus grand kabbaliste de tous les temps, façonne un être de boue à la force illimitée qui doit apporter la sécurité à son peuple... le Golem. Avec Le Kabbaliste de Prague Marek Halter nous plonge dans La Mémoire d'Abraham et l'univers des Juifs de l'Europe centrale de son enfance. Il nous entraîne dans le monde mystérieux de la Kabbale et celui de la Renaissance, avec ses découvertes sidérales, ses bouleversements scientifiques et ses guerres de religion. Mêlant fiction et réalité, hanté par les questions les plus contemporaines, Le Kabbaliste de Prague est un roman envoûtant, foisonnant d'érudition et d'émotion.
" Longues et nombreuses furent les conversations entre Lord Byron et Shelley, conversations que j'écoutais avec ferveur mais sans presque jamais y prendre part.
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Au cours de l'une d'entre elles, il fut question de diverses doctrines philosophiques et parmi celles-ci de la nature du principe de vie, de la possibilité qu'il soit un jour découvert et divulgué [...]
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On disait qu'il [le Dr Darwin] avait conservé un morceau de vermicelle dans un bocal en verre et qu'un beau jour, par quelque moyen extraordinaire, ce vermicelle s'était mis de lui-même en mouverment.
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Ce n'était pas ainsi, en tout cas, que la vie se transmettrait. Peut-être parviendrait-on un jour à ranimer un cadavre. Le galvanisme portait à y croire. Peut-être serait-il possible de fabriquer les différentes parties d'un être, de les assembler et de leur insuffler la chaleur vitale. "
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Golem, des frères et sœurs
Murail.
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La Procédure, de Harry Mulisch.
L'action de ce roman débute le 3 Adar 5 352 selon le calendrier juif, c'est-à-dire aux alentours de février 1592.
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Un rabbin plus très jeune, puisqu'il est âgé de 68 ans, gravit à pied la pente assez raide qui mène au château de Prague. Maharal Yehouda Loew Bezadel (mais on l'appellera Loew) a consacré toute son existence d'érudit à la Torah, à la morale et aux mathématiques. Il y a puisé un art de vivre et un humour qui en font un homme de qualité.
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Aujourd'hui, Sa majesté royale et impériale résidant à Prague l'a convoqué. Loew se présente humblement.
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Reçu au château, Loew découvre qu'un banquet est offert. Il en croit à peine ses yeux. Le philosophe Giordano Bruno, l'alchimiste John Dee, le peintre Arcimboldo, le physicien Kepler, médecins, mathématiciens ou astronomes les plus renommés, tout le fleuron de l'Europe intellectuelle du XVIe siècle est présent.
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Mais c'est le rabbin Loew qu'on attend...
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Les deux premiers chapitres de La Procédure, du néerlandais Harry Mulisch, sont consacrées au livre de la Genèse et au tétragramme YHWH. Lisez-les de près. Et entrez avec un plaisir grandissant dans ce roman d'aventure spirituelle dans la droite lignée d'un Volpi ou d'un Umberto Eco.
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La première version du film de Paul Wegener aurait inspiré le livre de Gustav Meyrink, Der Golem, considéré comme l’un des maîtres du fantastique européen.
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Isaac Bashevis Singer (1904-1991), écrivain Yiddish, et prix Nobel de littérature en 1978, est également l’auteur d’une très belle version de l’histoire du Golem.
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Au XVIe siècle, à Prague, le banquier juif Reb Eliezer Polner est accusé à tort par le comte Jan Bratislawski, à qui il a refusé un prêt, d'avoir sacrifié sa fille au cours d'un meurtre rituel.
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Pour le sauver, et pour défendre le peuple juif menacé par ces fausses accusations qui se multiplient, Dieu donne au Rabbin Leib le pouvoir de créer un géant d'argile à forme humaine : le golem.
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Créature fantastique dotée d'une force hors du commun, le golem échappe bientôt à son créateur. Désormais soumis aux passions et aux émotions des hommes, sa puissance et sa naïveté le rendent dangereux. Rabbi Leib doit à tout prix trouver un moyen de lui ôter la vie.
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Pieds d’argile, roman des Annales du Disque-monde de Terry Pratchett, met en scène des golems qui créent eux-mêmes un golem pour en faire leur roi.
A Ankh-Morpock, le Guet a de nouveau fort à faire. Deux vieillards ont été assassinés tandis que le Patricien est victime d'un empoisonnement.
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Pour l'équipe de police (troll, nain, louve-garou et autres non-humains), le mystère est total, le coupable insaisissable.
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Les différentes guildes de la ville profitent de la panique générale pour comploter... Et chose étrange, les golems se mettent soudain à se comporter d'une drôle de manière. Comme s'ils étaient vivants. Et contrôlés par un mystérieux maître... Mais le commissaire Samuel Vimaire en a vu d'autres et son équipe a fait de remarquables progrès...
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Golem est également une série de 5 livres écrits par
Elvire, Lorris et Marie-Aude Murail.
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Le Golem joue un rôle central dans toute la première partie du roman de
Michael Chabon Les Extraordinaires aventures de Kavalier & Clay.
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Dans son roman Golems (2004), Alain Delbe imagine que des occultistes nazis (Otto Rahn, Wiligut) vont sur l’ordre de Himmler arracher aux Juifs de Prague le secret du Golem.
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Prague, fin des années 30. Depuis des siècles. un unique membre de la communauté juive de la vieille cité détient le pouvoir de fabriquer. grâce. aux formules magiques de la Kabbale, la parfaite imitation d'un être humain : le Golem, une créature capable d'échapper à l'emprise ordinaire du temps.
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Dépositaire de ce pouvoir, le grand rabbin Fischel décide de le transmettre à Nathan Eisner. un jeune étudiant prometteur... qui aura l'imprudence de partager son secret avec celle qu'il aime.
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Une histoire qui ne s'achèvera pas avec la trahison de l'infortuné Nathan. poussé par son imprudence à attirer l'attention de quelques érudits dévoyés au service du nazisme... puisque l'évoque un grand demi-siècle plus tard un narrateur de notre temps à nous, appelé à la revivre à sa drôle de façon...
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Mélancolie et ironie, ces sœurs jumelles qui gouvernèrent - hier ou avant-hier - l'âme du romantisme allemand, conduisent ce récit qui nous rappelle que nos légendes ont souvent quelques longueurs d'avance sur l'Histoire.
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Le Golem est un personnage des albums de bandes-dessinée du scénariste/dessinateur
Joann Sfar. Il apparaît entre autres dans l’album du Grand Vampire Le peuple est un golem paru aux éditions Delcourt en 2005.
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Le second tome de
la trilogie de Bartiméus, l’Œil du golem tourne entre autres autour de la menace d’un Golem qui sème le chaos et la panique dans Londres. C’est une créature magique faite d’argile, animé par un parchemin placé dans sa bouche et contrôlé à distance via l’Œil ornant son front. À l’instar de la légende, le secret de fabrication des Golems provient de Prague.
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Le cinquième tome Anna et Zaccharia (2007) de
Le Legs de l’alchimiste (bande dessinée) de Bachelier et Hubert (édition Glénat) parle aussi d’un golem. Le contexte est la Seconde Guerre mondiale.
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Le principe du Golem ainsi que la légende du Golem de Prague sont réutilisé dans la tétralogie de
fantasy, L’Âge de la Déraison, écrite par Greg Keyes : il aurait alors été créé par Isaac Newton grâce à l’alchimie.
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Le mythe du Golem occupe une place importante dans La Procédure, de
Harry Mulisch, où la légende est rapportée, et où le narrateur, biologiste, a réussi à créer à notre époque un être humain.
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Le Maître des Golems apparait également dans
Le Concile de fer de China Miéville. Il y présente un homme aux pouvoirs puissants lutter pour la survie du train mythologique face aux armées de Nouvelle-Crobuzon, la tentaculaire et cruelle cité.
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Dans la collection grand détectives (
10/18), le thème central du livre Les pièges du crépuscule de Franck Tallis est la reproduction d’un golem dans la Vienne de la fin du XXe siècle.
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Dans les
aventures de Bob Morane, L’Arbre de l’Eden, (texte Vernes, Dessin Coria, Édition Le Lombard). Une communauté juive est protégée par les Golems traquant les partisans de l’« Ordre Noir ».
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revue de presse
Façonné par un rabbin du XVIe siècle, Le Golem, cette créature mythique, protégeait la communauté juive. Marek Halter la ressuscite dans « Le kabbaliste de Prague »
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Prague, devant l’hôtel de ville, trône l’imposante statue du haut rabbin Yehouda Loew ben Bezalel (1512-1609), dit le MaHaRal, le kabbaliste. Cette sculpture a plus d’un siècle.
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Nul n’osa la détruire, ni les nazis, ni les staliniens qui, aux heures les plus sombres, y postèrent des gardes, pour la préserver d’éventuelles agressions antisémites. « Les oiseaux eux-mêmes, remarque avec humour Jiri Danicek, le président des communautés juives de la République tchèque, évitent de se poser sur la tête du MaHaRal. »
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illustration : Le vieux cimetière juif de Prague. On y compterait quelque 12 000 sépultures, les unes recouvrant les autres. Parmi elles, la tombe du MaHaRal, père du Golem, et celle du savant David Gans, mort en 1613, dont Marek Halter a fait le narrateur de son dernier livre. Photo Thierry Esch
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Pourquoi cette exception ? Par crainte d’une malédiction.
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C’est là que serait né, des mots et de la boue, le premier humanoïde de l’Histoire : le Golem. Bien après sa mort, son créateur inspire toujours la crainte.
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Les Pragois racontent qu’en 1941 Heydrich, gouverneur adjoint du Reich en Bohême-Moravie, aurait proposé à Himmler d’utiliser le ­Golem pour gagner la guerre. Féru d’ésotérisme, Hitler approuva. Encore fallait-il décoder les formules kabbalistiques qui permirent, un soir de l’an 1600, devant la foule massée au pied de la synagogue Vieille-Nouvelle de Prague, l’apparition du prodige.
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Le monstre de glaise rétablit paix et bien-être dans la ville
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A l’époque, l’Europe flambait. Les persécutions se multipliaient contre les Juifs. Leur rabbin se fit ­livrer des milliers de seaux de terre glaise tirée de la rivière Vltava, ­modela une énorme forme aux contours presque humains et lui insuffla la vie. Ce fut le Golem, une pure force sans bouche, parce que le verbe n’appartient qu’aux hommes. Cette sorte de bombe atomique ­décontenançait les antisémites mais pouvait, d’un jour à l’autre, se ­retourner contre son créateur.
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Le monstre de glaise rétablit la paix et le bien-être dans la ville juive, puis cessa d’avoir une quelconque utilité. On l’employa aux tâches vulgaires. On l’insultait. N’était-il pas un étranger ? Un jour, conformément aux prévisions du MaHaRal, le Golem se révolta et détruisit tout sur son passage. Alerté, son créateur, le haut rabbin Loew, dut ôter la vie à son œuvre : le Golem redevint boue. Les habitants de la ville juive, pris de remords, transportèrent cette boue dans le grenier de la synagogue.
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C’est pour redonner vie à ce tas de glaise que des siècles plus tard Heydrich constitua le « commando Golem ». Son ­objectif : retrouver les derniers ­officiants de la synagogue et, si ­besoin, les torturer pour obtenir les ­formules de sa résurrection. Selon les Pragois, le commando aurait obtenu l’information recherchée. Mais, m’explique rab Haïm, le gardien de la synagogue, il ne put réaliser le rêve d’Hitler « parce qu’il n’avait pas retrouvé la mélodie qui accompagnait les mots prononcés par le MaHaRal ».
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MaHaRal, le haut rabbin Loew, est né en 1512 à Worms, sur le Rhin. Il est arrivé à Prague à un âge avancé, à la demande de la communauté juive et de l’empereur romain germanique Rodolphe II. Il y resta comme grand rabbin jusqu’à sa mort, en 1609. Il avait alors 97 ans.
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Kabbaliste renommé, il était aussi passionné de philosophie et d’astronomie. A Prague, il se lia d’amitié avec Tycho Brahe et ­Johannes Kepler, les deux fameux ­astronomes qui, en même temps que Galilée et à la suite de Copernic, prouvèrent non seulement que la Terre tournait autour du Soleil, mais aussi qu’une multitude de systèmes solaires et de planètes peuplaient le ciel infini.
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Pour les kabbalistes, ce n’était pas une révélation. Le « Zohar », le « Livre de la splendeur », ouvrage phare de la kabbale, en parlait déjà. Pour les non-juifs, en revanche, cette découverte fut foudroyante.
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Entre Dieu et les hommes, il s’agissait d’un simple rapport vertical : l’homme était en bas, le Seigneur aux cieux. Mais si l’espace au-dessus de nos têtes, cet espace réservé à Dieu, comptait réellement une infinité d’astres et de planètes, où se trouvait donc Sa demeure ? MaHaRal répond : dans le langage. N’est-il pas dit qu’au commencement était le Verbe ?
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Tout le monde se met à l’hébreu pour lire la kabbale
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Tout le monde se mit alors à la kabbale. Son étrange anticipation sur cette découverte essentielle lui valut un intérêt soudain qui dépassait de loin les milieux juifs. Le pape, Michel-Ange, Galilée, ­l’empereur Rodolphe II, Brahe et ­Kepler, tous apprirent l’hébreu pour accéder au texte original. Mais si Dieu s’incarne dans le langage, les mots de tous les jours ne peuvent que désigner les apparences au-delà des significations cachées. C’est pour les découvrir que sont nées la recherche linguistique et, plus tard, la psychanalyse.
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Pour moi, natif de Varsovie, ce fut une aventure rare que de fouler les pavés où le Golem s’était animé. En mettant mes pas dans les pas du MaHaRal, j’exauçais le rêve de mon enfance, rare privilège. Mais j’ai découvert avec surprise que l’antique quartier de Prague demeurait intact, que ses synagogues, son hôtel de ville et ses cimetières étaient toujours là. J’en fus abasourdi : ma ville, la ville juive de Varsovie, elle, avait entièrement disparu.
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Heydrich était fasciné par les Juifs
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Pourquoi les nazis ont-ils épargné Prague ? Est-ce par crainte du MaHaRal et du Golem ? Goethe lui-même visita la synagogue Vieille-Nouvelle avant d’écrire son « Apprenti sorcier ». « Le Golem », de Gustav Meyrink (1915), fut l’un des premiers best-sellers de la littérature mondiale. Des centaines de milliers d’Allemands l’ont lu.
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Par ailleurs, la fascination que les Juifs exerçaient sur Heydrich était telle qu’il se fit faire une attestation par la Commission d’évaluation raciale prouvant son origine allemande et la pureté de son sang : « Ni de sang de couleur ni de sang juif. » Il portait ce document sur lui quand la résistance tchèque parvint à l’abattre le 4 juin 1942.
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Il avait eu pourtant le temps, avant cette date, de présenter son projet à Hitler : faire du quartier de Josefov à Prague le « musée exotique d’une race éteinte ».
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Puisqu’il était périlleux de toucher à la Prague juive à cause du MaHaRal, démiurge du Golem, pourquoi ne pas la transformer en une sorte de Jurassic Park où les générations futures pourraient revoir ces dinosaures disparus, les traces d’un peuple maléfique à jamais ­effacé de la surface de la terre ?
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Au numéro 1 de la rue Staré Skoly, dans un bel immeuble Art nouveau de l’ancien quartier juif de Prague, se trouve le Musée juif. Son historien, Arno Parik, m’explique que « sous le contrôle des nazis, quarante employés travaillèrent, douze heures par jour, pour rétablir un musée en lieu et place du nôtre, fermé en 1939, et qui ouvrit le 3 août 1942. Ils répertorièrent sur des catalogues plus de 200 000 objets ».
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La première exposition, dans la synagogue dit Haute, portait sur les écrits hébreux et des manuscrits que les nazis firent venir de toute l’Europe. A cette date, près de 120 000 Juifs vivaient à Prague.
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Aujourd’hui, ils sont à peine 1 700. Leur quartier n’a pas changé, avec ses « recoins obscurs, passages secrets, fenêtres aveugles, cours malpropres, brasseries bruyantes, auberges sinistres », comme le décrit Kafka. Sauvé par la peur qu’exerça et qu’exerce encore aujourd’hui le ­kabbaliste de Prague ?
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Un tableau du XIXe siècle représente le grand rabbin et sa créature (DR).
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A l’ombre du Klaus, l’école d’étude du MaHaRal, je découvre le vieux cimetière juif. Des milliers de tombes, plus de 12 000, dit-on, certaines multicentenaires, s’épaulent mutuellement pour ne pas s’écrouler.
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Dans l’imposante pierre montée sous laquelle reposent le haut rabbin Loew et sa femme Perl, le temps a creusé de multiples fissures où, comme dans celles du Mur des ­lamentations, les visiteurs déposent leurs messages.
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En sortant du cimetière, je tombe sur un bâtiment biscornu de deux étages en brique brune. C’est là, comme l’indique une inscription au-dessus de la porte, que fut fondée, en 1664, la Confrérie du dernier devoir (Hevrah Kadicha), qui prenait en charge démunis et malades. A l’entrée, une file de quelques centaines de visiteurs.
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Je n’aurais pas aimé quitter Prague sans avoir revu le MaHaRal. N’appartient-il pas à mon monde d’hier ? Mais voilà, je me perdis. Je tournai par erreur le dos à la statue du haut rabbin Loew et me retrouvai devant la maison de Kafka, au 2b de la rue Cihelna. Rien, paraît-il, n’y a changé. A l’exception, au rez-de-chaussée, du Café Franz Kafka, bien entendu, et, dans l’entrée de l’immeuble, d’une boutique où l’on vend des stylos à l’effigie de l’écrivain et de petites figurines en terre cuite du Golem.
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Un vieux couple hésite entre le stylo et la statuette. Pour finir, ils achètent vingt Golem d’un coup, « pour offrir en cadeau », explique le monsieur aux cheveux blancs dans un anglais teinté d’un fort accent germanique.
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Puis, se tournant vers moi, le petit Golem à la main : « Ce sera mon porte-bonheur. » Je me dis qu’il n’avait peut-être pas tort et en achetai moi aussi quelques-uns. - http://www.parismatch.com/Culture-Match/Livres/Actu/A-la-recherche-de-la-kabbale.-Par-Marek-Halter-181532/

3 commentaires:

Luls a dit…

Ouah quelle critique !

Merci pour toutes ces découvertes ;)

Concernant le livre en lui même, il a l'air intéressant mais pas trop dans mes goûts.

Merci encore pour ces éclairages historiques !!!

Bonne soirée.
Bises

mazel a dit…

bonjour Luls,

parfois, pas trop envie de faire des commentaires mais plutôt rassasier ma curiosité... là je m'en suis donné a coeur joie...

Sinon, bien aimpé mais pas mon préféré sur le sujet du golem... plutôt celui de Gustav Meyrink.

et j'en ai repérer quelques autres...

Pour le moment, j'attends 15h00 pour rendre visite à blog-o-book... curieuse de voir le partenariat d'aujourd'hui, mais normalement, bien décidée a résister...

puis je replonge dans "le sang du christ" (partenariat livraddict)...

bonne journée
bises

Luls a dit…

Bonjour Mazel,

Je me suis laissé tenté par François Lays d'Anne Quéruel :)

Ca me rappellera mes cours d'histoire du lycée :)

Pas trop saugrenu le sang du christ ?

Bonne journée,
Bises