mardi 22 juin 2010

Orly Castel-Bloom : Dolly City

le burlesque et le trash faisaient bon ménage, peuplés de personnages déboussolés... bien loin des clichés de la "mère juive" traditionnelle et folklorique... tout juste le contraire... c'en est même assez effrayant. Elle frôle l'absurde, la démence, un livre étonnant.
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Orly Castel-Bloom peut être considérée comme le chef de file de la nouvelle tendance de la littérature israélienne.
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Par son style dépouillé et l'univers angoissant voire apocalyptique qu'elle décrit, elle rompt les conventions de la littérature précédente.
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(Environnement hostile, 1989 ; Dolly City, 1992 ; Où suis-je ? 1990 ; Radicaux libres, 2000).
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illustration : "la liseuse" de Slava Posudevsky (Lali)
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Orly Castel-Bloom, auteur inspiré, va au plus profond de l'imaginaire et fait de la folie un délire quotidien.
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Son roman n'en est que plus troublant.Voilà un livre très fort qui n'hésite pas à briser le carcan du vraisemblable pour se mesurer à l'être le plus insaisissable, le plus étrange et le plus dangereux qui soit : l'Etre humain.
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On peut certainement déceler une trame narrative au livre de Castel-Bloom, c'est à dire organiser après elle le délire qui l'accompagne tout au long de ces deux cents pages d'une absolue clarté stylistique, mais ce n'en serait qu'une lecture superficielle.
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Les relations de Dolly avec le bébé qu'elle recueille et qu'elle nomme “Fils” le long de ses quinze premières années va bien au delà de la simple chronique. Tout dans ce livre est déjanté même la vie dans cette curieuse ville qu'est Dolly-City.
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Fils est un bébé abandonné dans un sac poubelle sur le bord de la route, Dolly, une femme-médecin diplomée de Katmandou car elle a pris au pied de la lettre les recommandations de son père sur son lit de mort : “Etudie quelque chose, étudie même la médecine à Katmandou, pourvu que tu étudies”.
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Au sens commun, Dolly est folle, c'est à dire qu'elle suit sa propre logique, ses propres pulsions sans jamais se préoccuper du bien et du mal, étant elle seule détentrice du sens de ces valeurs-là.
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Comment se manifeste sa folie ? Par la “médecinite” , c'est à dire soigner les gens à outrance, n'importe comment si possible, surtout même s'ils meurent en fin de course, la vie n'ayant pas aux yeux de Dolly une importance démesurée.
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L'arrivée de Fils va cristalliser sa folie sur lui et voilà notre Dolly en train d'opérer à tour de bras son bébé, à titre préventif, curatif et surtout obsessionnel. Pour situer un peu les connaissances de Dolly en médecine, disons qu'elle en arrive à diagnostiquer le cancer aux poteaux télégraphiques et qu'elle greffe un troisième rein sur son fils, n'étant pas sûr du nombre exact qu'il possède de cet organe-là.
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Ce serait faire affront au talent de Castel-Bloom que d'avoir une simple vue psychanalytique de son roman, l'analysant comme la métaphore de la mère possessive en général, juive en particulier, même si de temps à autre, elle nous lance quelques indices “A quoi sert la maternité si on ne peut pas surveiller parfaitement son enfant vingt-quatre heures sur vingt-quatre?” et si la fin apaisée de l'histoire nous conduit à la séparation filiale nécessaire et bénéfique.
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Ce livre est de la pure littérature, c'est à dire que toutes les facettes coexistent simultanément et sont toutes vraies en même temps. Même la facette politique, ce qui expliquerait que ce livre ait été controversé en Israël, Dolly gravant sur le dos de son fils adoptif la carte d'Israël, frontières d'avant 67.
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Il y a et surtout une lecture jubilatoire de Dolly-City, une imagination débridée qui ne s'embarrasse d'aucun scrupule, allant chercher au fond du sens et des situations un absurde qui part de l'extrême pour nous montrer qu'après tout, on n'en est pas si loin.
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Nous entrons par instant dans la narration abstraite où tout est permis, une sorte de Lewis Carrol qui aurait fait un enfant à Alice. C'est un coup de poignard, ou plutôt de bistouri, au coeur de ceux qui se réjouissent de l'agonie du Livre. Alex Besnainou - http://www.lmda.net/mat/MAT00539.html
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Orly Castel-Bloom est née en 1960 à Tel-Aviv où elle vit. Elle y étudie le cinéma à l’Université.
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Comparée à Kafka dans un portait que Le Monde lui a consacré, elle a introduit un changement incontestable dans le paysage littéraire israélien au fil de son œuvre.
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Elle est considérée comme le chef de file de toute une génération d’écrivains qui, ces vingt dernières années, ont révolutionné la littérature hébraïque contemporaine. Elle a influencé de jeunes écrivains comme Etgar Keret ainsi que toute une génération qui avait le sentiment que la cause publique avait occulté toute place à l’individu et à sa capacité de vivre, d’aimer et de créer.
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Son roman Dolly City a été adapté pour le théâtre et mis en scène au théâtre Cameri. Lauréate de nombreux prix, elle reçoit le prix français Wiso pour Parcelles Humaines en 2005 et le prix Leah Goldberg en 2007.
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Son nouveau roman, Textile, est l’incroyable histoire d’une famille bourgeoise dont l’épouse se fait hospitaliser pour subir des opérations de chirurgie esthétique, toutes plus farfelues les unes que les autres, afin d’être anesthésiée le plus souvent et le plus longtemps possible pour ne pas ressentir l’angoisse d’une mère dont le fils part faire son service militaire. A l’instar de la mère, toute la cellule familiale se désagrège.
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De notre envoyé spécial en Israël. Rencontre avec...
Orly Castel-Bloom: à la recherche du «code israélien»
Ce grand entretien avec Orly Castel-Bloomest le neuvième d'une série de treize, consacrée aux écrivains israéliens présents au Salon du Livre 2008 .
A lire sur BibliObs: Aharon Appelfeld, Ron Barkaï, Ron Leshem, Michal Govrin, David Grossman, Amir Gutfreund, Alon Hilu, Etgar Keret, Sayed Kashua, Boris Zaidman, Igal Sarna et Eshkol Nevo.

Voir également l'article de la lettrine sur la littérature israélienne :

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