mardi 9 décembre 2008

Consacré par le prix Nobel, Le Clézio exprime encore ses "doutes"


J.M.G. Le Clézio a la réputation de se trouver "plus à l'aise avec les gens modestes" - c'est en tout cas ce que dit de lui son éditeur français, Antoine Gallimard. On se demande, dans ces conditions, ce qu'a bien pu ressentir cet homme réservé lorsqu'il s'est avancé sous les ors de la grande salle de l'Académie de Suède, pour prononcer son discours de réception du prix Nobel.
Dimanche 7 décembre, à la fin d'un après-midi déjà noir comme l'encre, l'écrivain s'est présenté sans hâte au milieu d'un public très choisi : tout ce que Stockholm compte de dignitaires culturels s'était rassemblé dans ce salon ruisselant de lumière, en plein coeur de la vieille ville. Moulures, candélabres, fauteuils capitonnés, velours et lustres à pampilles de cristal, rien ne manquait à ce décor solennel, raide et vaguement désuet.

C'est cependant d'un pas serein que le Prix Nobel de littérature 2008, quatorzième récipiendaire français, a marché jusqu'à la tribune, tournant le dos à la gigantesque statue blanche du roi Gustave III de Suède. Et d'une main ferme qu'il a tenu les onze feuillets de son intervention, pendant tout le temps qu'a duré la lecture.
Rien d'étonnant : quelques jours avant de prononcer sa conférence, J.M.G. Le Clézio avait expliqué qu'il ne se sentait absolument pas "intimidé". Un peu inquiet, peut-être, en proie au "trac du comédien", mais c'est tout. "Ça ne me fait rien", affirmait l'écrivain, qui avait déjà remis, comme il se doit, son discours à l'Académie suédoise, afin qu'il soit traduit en plusieurs langues à l'usage des médias du monde entier.

Horace Engdahl, secrétaire permanent de l'Académie, a pourtant prévenu, avant de donner la parole au lauréat, que "le prix Nobel n'est pas attribué à une nation ou à une langue, c'est une récompense personnelle" qui veut introduire l'écrivain dans "une catégorie au-dessus des nations". Mais Le Clezio est un homme sage. Il préfère ne pas s'attacher au "côté individuel" du prix, avait-il souligné, avant de partir pour Stockholm.
Ce qui lui importe, c'est que la récompense "soit internationale" et qu'elle s'adresse, à travers son oeuvre, à la langue française. "Cela veut dire qu'elle est écoutée, qu'on la lit, et pour moi, c'est très positif, observe-t-il. J'aime la langue française et je suis très heureux de lui rendre un peu de la gloire que j'en ai reçue."

ECRIRE POUR LES AFFAMÉS

Après avoir remercié, comme il se doit, les académiciens et "la nation suédoise tout entière", le Prix Nobel s'est appliqué à répondre à cette question impossible et passionnante : "Pourquoi écrit-on ?" Des souvenirs d'enfance aux réflexions de l'âge adulte, il a organisé son texte autour d'une expression de l'écrivain suédois Stig Dagerman.
La "forêt de paradoxes" est la situation dans laquelle se trouve l'écrivain, qui veut écrire pour les affamés, mais n'est lu que par les ventres pleins. Un individu à la fois "confronté au réel" et souvent impuissant à le modifier. "Agir, c'est ce que l'écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner." En amont de l'hommage magnifiquement rendu à de nombreux écrivains, Le Clezio n'a pas craint d'appeler à l'action, justement : en faveur de la littérature et du livre, "outil idéal" de la diffusion des cultures.

"C'est un discours où je parle du doute", avait prévenu l'écrivain, la semaine précédente. Cette incertitude qui hante les écrivains, les ébranle et, parfois, les mine. "La plupart de ceux à qui j'ai parlé n'avaient aucune forme d'assurance, aucune certitude.
Octavio Paz, par exemple, était plein de doutes que le prix Nobel ne lui avait pas enlevés." Lui-même, a-t-il observé, se sent plus facilement envahi par le doute que par les honneurs. Quand il a reçu l'appel annonciateur du prix, le matin du 9 octobre ("Une voix dotée d'un fort accent m'a dit : "Je vous appelle au nom de l'Académie de Suède...""), il a failli croire à un canular. Il est vrai que son nom figurait depuis douze ans sur la liste examinée par les académiciens Nobel et dont des petits morceaux circulent chaque année, sous forme de rumeurs.

Faute d'absorber toutes les incertitudes, le Nobel peut constituer une sorte de "baume", a remarqué J.M.G Le Clézio - en tout cas, un formidable "encouragement". Pour l'écrivain, et aussi pour ses éditeurs qui n'ont, eux, aucune raison de douter.
Antoine Gallimard, patron de la maison qui publie J.M.G Le Clézio depuis son premier livre, en 1963 (Le Procès-Verbal, prix Renaudot), souligne ainsi que ce Nobel est une grande source de "fierté". Non seulement parce qu'il couronne une oeuvre très variée, "kaléidoscopique", mais parce que cette oeuvre s'est élaborée presque entièrement au sein d'une seule maison. C'est chez Gallimard, où il avait envoyé son premier manuscrit par La Poste, à l'âge de 23 ans, que Le Clézio a publié l'essentiel de ses livres.

Depuis l'annonce du prix, le nombre des contrats de réédition immédiate s'est envolé, constate Anne-Solange Noble, directrice des droits étrangers de Gallimard.
Déjà traduit en trente-six langues, Le Clézio sera réimprimé partout. En France, le tirage de Ritournelle de la faim, son dernier roman (sorti une dizaine de jours avant l'annonce du Nobel), est passé de 60 000 à 280 000 exemplaires, et le nombre de ventes en format de poche a bondi. De quoi ôter toute forme d'incertitude, au moins en termes de succès : le livre, cet "outil idéal", n'est pas encore mort.
Raphaëlle Rérolle-LE MONDE 08.12.08 16h54

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