jeudi 11 décembre 2008

Le rêve d'un "livre total"

Jusqu'où peut-on pousser le concept de "beau livre", quand savoir et savoir-faire s'unissent à la perfection pour faire d'un ouvrage une véritable oeuvre d'art ?
Peut-on encore parler de "livre" quand, interloqué et intimidé par la débauche de luxe, on découvre le dernier-né de la maison FMR, Michelangelo la dotta mano (Michel-Ange la main docte), dont le prix - 100 000 euros - l'établit comme le livre le plus cher du monde, et le réserve de fait à une petite élite de collectionneurs et de bibliophiles richissimes ?


Comme le dit Antonio Pistilli, directeur de FMR France, l'ouvrage est réservé à "des mécènes tels qu'on l'entendait à la Renaissance".
Une époque où le livre était pensé et conçu comme un objet de luxe, au même titre que tableaux, sculptures, bijoux et autres parures.
Entre-temps, Gutenberg est passé par là.
Puis, bien plus tard, la révolution industrielle a fini de démocratiser le livre pour en faire un produit culturel de grande consommation. Un produit touché comme d'autres, aujourd'hui, par la crise...
Dans un tel contexte, faudrait-il s'interdire de créer, d'exposer, de penser beauté, luxe et raffinement ?
C'est bien de cela qu'il s'agit avec ce Michel Ange la main docte : une oeuvre d'exception, héritière de la grande histoire du livre, du codex aux incunables jusqu'au "beautiful book" défini par Thomas James Cobden-Sanderson, disciple de William Morris, graveur et éditeur du XIXe siècle.

SAVOIR ET SAVOIR-FAIRE

A l'époque, celui-ci rêvait de réunir le meilleur du savoir et du savoir-faire artisanal pour élever l'objet livre en objet d'art. Un rêve que FMR a voulu non seulement réaliser mais aussi dépasser avec ce "wonderful book", qui, au-delà de son poids (20,7 kg), de son format (45 × 70,5) et de sa couverture (en marbre de Carrare et velours de soie), entend retrouver l'esprit de la Renaissance.

Un esprit repris dans le titre de la nouvelle collection "Ars et ingenium" ("La main obéissant à l'intellect", vers tiré d'un sonnet de Michel-Ange), qu'inaugure ce somptueux volume consacré aux génies de l'art et de la culture italiens. Preuve que FMR n'entend pas s'arrêter là...

Sous la forme de monographies, "Ars et ingenium" vise à explorer le monde "intime et poétique" d'un artiste du passé, à travers le regard d'un grand artiste italien contemporain - ici, le photographe
Aurelio Amendola, connu pour son travail sur la sculpture (Michel-Ange, le Bernin...).
En contrepoint des quarante-cinq clichés en noir et blanc qui restituent, par un choix judicieux d'angles et de détails, la force et la douceur du maître florentin, sont proposés plusieurs textes en italien, dont le Michel Ange Buonarrotti de Giorgio Vasari (1568).
Le tout se trouve agrémenté de documents (lettres, dessins et poèmes de Michel-Ange) reproduits en litho-sérigraphie sur parchemin et appliqués à la main.
"A l'oeil nu, impossible de distinguer l'original de la copie...", assure Antonio Pistilli.

On l'aura compris : pour atteindre l'excellence, FMR n'a omis aucun détail.
Ainsi de la couverture représentant La Vierge à l'escalier (première oeuvre réalisée par Michel-Ange à 15 ans) : pour l'occasion, la maison d'édition s'est offert le luxe de faire rouvrir les carrières de Polvaccio (Toscane), celles-là mêmes où le maître florentin s'était approvisionné en "marbre statuaire" avant de réaliser notamment le tombeau de Jules II ou la Pieta exposée à Saint-Pierre de Rome.

Sculptée dans un bloc de 41,8 × 68 (soit la taille originale), La Vierge à l'escalier est enchâssée dans une couverture de soie et velours rouge confectionnée par la
Manifattura Tessile di Nole, une entreprise qui fournit les cours royales, les demeures papales, mais également les plus grands opéras du monde - Paris, Milan, Venise ou New York.
A l'instar d'une robe haute couture, tout ici est fait main : du tissu au brochage en passant par les pages de garde, marbrées de pigments et d'or.
Quant au papier, c'est un velata de 250 grammes en pur coton, orné du filigrane "Michelangelo"...

Seul petit "défaut", le temps de réalisation : six mois environ, soit le délai de livraison d'une Ferrari...
Et, pourtant, sur les 33 premiers exemplaires de cette édition limitée à 99 exemplaires, 28 ont déjà trouvé des acquéreurs.
Parmi ces derniers, la mairie de Bologne, à qui a été offert cet ouvrage "haute couture" garanti 500 ans (!), mais aussi la New York Public Library et le Musée du Prado (Madrid), où tout un chacun pourra admirer ce "wonderful book". Et s'offrir une part de beauté et de rêve, forcément éphémère.
Christine Rousseau-LE MONDE DES LIVRES 11.12.08

Aucun commentaire: