lundi 8 décembre 2008

Le Clézio dans la forêt des paradoxes

Les prix Nobel sont traditionnellement remis un 10 décembre, date anniversaire de la mort d’Alfred Nobel mais, selon le même rituel, Jean-Marie Le Clézio, prix Nobel de la littérature 2008, a prononcé son discours devant l’Académie suédoise, dans la grande salle du Palais des concerts, ce dimanche en fin de journée à Stockholm


. L’exercice de style est très attendu et les heureux élus s’en tirent avec plus ou moins de bonheur.
Difficile de venir après Albert Camus dont le discours est resté comme une pierre blanche dans son oeuvre, et plus récemment après Orhan Pamuk qui lut un texte magnifique sur son père et sa vocation d’écrivain.
Le Clézio a donc fait du Le Clézio, ce dont on ne saurait le blâmer.
Mais du Le Clézio dernière manière, même si l’on retrouvait dans ces douze pages intitulées “Dans la forêt des paradoxes”, quelques lueurs de l’auteur du Procès-verbal et de La Guerre. Appliqué, didactique, aussi boutonné que son auditoire et par moment inspiré.

L’incipit est banal : “Pourquoi écrit-on ? J’imagine que chacun a sa réponse à cette simple question. Il y a les prédispositions, le milieu, les circonstances. Les incapacités aussi. Si l’on écrit, cela veut dire que l’on n’agit pas. Que l’on se sent en difficulté devant la réalité, que l’on choisit un autre moyen de réaction, une autre façon de communiquer, une distance, un temps de réflexion”.
Le développement sur la guerre est poignant mais bref : “Pas un instant elle ne m’a paru un moment historique. Nous avions faim, nous avions peur, nous avions froid, c’est tout”.
On y trouve des formules (”L’humour, parfois, qui n’est pas la politesse du désespoir mais la désespérance des imparfaits, la plage où le courant tumultueux de l’injustice les abandonne”),
des lieux communs (”La communication rend le progrès plus rapide, en médecine, ou en sciences”),
des lapalissades (”la littérature est faite de langage. C’est le sens premier du mot : lettres, c’est-à-dire ce qui est écrit”),
des étrangetés historiques (”S’il y avait eu internet, il est possible que Hitler n’eût pas réussi son complot mafieux – le ridicule l’eût peut-être empêché de naître”),
des contradictions (”La culture à l’échelle mondiale est notre affaire à tous. Mais elle est surtout la responsabilité des lecteurs, c’est-à-dire celle des éditeurs”),
des retards à l’allumage (”Nous vivons, paraît-il, à l’ère de l’internet et de la communication virtuelle”)...
Toutes choses qui en font un discours déconcertant sous cette plume tant il est parfois gauche, assez ennuyeux et politiquement correct très “united colors of litterature”.
Jusqu’à l’intitulé, et le leitmotiv sylvestre qui en découle, emprunté avec force hommages au suédois Stig Dagerman, ce qui n’était pas fait pour déplaire en ces lieux.
Dans cette figure imposée, Le Clézio, arpenteur des forêts mais certainement pas écrivain voyageur, ne touche que lorsqu’il évoque sa passion pour les mythes ou lorsqu’il se livre à “Ce que je dois”, égrenant une abondante bibliographie dans laquelle des auteurs méconnus ou inconnus écrivant ou urdu ou kanak se mêlent au Sartre de Morts sans sépulture “pour les larmes que sa pièce contient”, à Jack London, aux grands Africains (Kourouma, Soyinka, Beti), aux latino-américains héritiers de Juan Rulfo, et surtout à Elvira la conteuse des Emberas dédicataire de son prix.

Un écrivain se rehausse quand il paie ses dettes. Et Le Clézio le fait superbement. Dommage que sa reconnaissance de dettes n’occupe qu’une partie de son discours, bien trop consensuel et débordant de bons sentiments. La vocation de la littérature est de déranger : ce texte sur la vocation de l’écrivain ne dérangera personne. Comme l’eau tiède. Dommage, vraiment, car cela risque de détourner de nouveaux lecteurs de son oeuvre.

Son discours, écrit dans sa maison de Bretagne dès les premiers jours de novembre, est une apologie de la vie appréhendée dans toute sa lenteur, une défense et illustration de cette solitude minérale dont toute sa personne est le reflet granitique.
Plus on l’écoute parler, plus on se convainc que rien n’exprime mieux cet homme-là que ses silences.
Là gît son intime paradoxe. En suivant sa conférence, les académiciens suédois ont dû se dire qu’ils ne s’étaient vraiment pas trompés. Pas seulement parce que Le Clézio est un authentique écrivain, qu’il n’est que cela et rien d’autre, qu’il a une oeuvre cohérente et pleine derrière lui et un monde en lui. Mais parce que s’inscrit en lui une ambiguïté … nobélissime.
En effet, depuis un siècle qu’existe la récompense suprême, les linguistes suédois se disputent régulièrement autour d’une phrase du testament holographe de l’inventeur de l’huile explosive dite nitroglycérine, tel qu’il l’avait rédigé en suédois à Paris en 1895.
Il s’agit du passage où il est question de distinguer l’ouvrage littéraire le plus remarquable d’inspiration “idealistisk”. Cela signifie-t-il “idéal” ou “idéaliste” ?
Grâce à Le Clézio, la polémique devrait être close puisqu’il est l’un des rares écrivains à conjuguer ces deux vertus en son oeuvre et sa personne.

P.S. : Ce lundi à partir de 12h sur France-Culture, le discours de JMG Le Clézio sera commenté et analysé par Arnaud Laporte et ses invités dans le magazine Tout arrive !

(Photos Marc Le Chelard/Afp, Paris-Match, Franz Bouton/Nice-Matin/Maxppp)

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