dimanche 18 juillet 2010

Portrait : Le comédien et écrivain - Par Jérôme Garcin

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Depuis que sa maladie l'avait éloigné des plateaux et rapproché de la page blanche, il écrivait pour aimer encore et voyager toujours. Jérôme Garcin l'avait rencontré, à l'occasion de la sortie des « Dames de nage », en 2007. Portrait
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Cloué sur un fauteuil roulant à l'hôpital Saint-Jean, Roland, myopathe, rêvait de découvrir les îles Marquises. «Je t'emmènerai partout où j'irai», lui promit alors
Bernard Giraudeau, seul comédien français titulaire d'un brevet «turbine-diesel-chaudière».
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C'est pour son pote immobile, son «général éclopé», que l'acteur baroudeur écrivit, en 2001, «le Marin à l'ancre», un recueil de lettres, force 10, adressées des quatre coins du monde à ce garçon paralysé qui eut le bonheur illusoire de connaître, avant de mourir, les vraies couleurs de Gauguin, les caprices du fleuve Sénégal, les sauts en parachute dans le ciel malgache et les raids dans l'océan Indien.
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(c)RONCEN/TF1/SIPA
Le comédien et écrivain Bernard Giraudeau est mort ce samedi 17 juillet 2010, à l'âge de 63 ans.
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Depuis, six ans ont passé, pendant lesquels Bernard Giraudeau a combattu la maladie. La sienne, cette fois. Un cancer du rein, dont il parle sans trembler ni faiblir, comme des tempêtes que l'ancien marin de la «Jeanne» affronta autrefois en haute mer, debout. Il avait commencé à jouer «Richard III» de Shakespeare à La Rochelle, sa ville natale, il dut déposer les armes.
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Dans sa maison forestière entourée de jonquilles, sa fleur préférée et le symbole de la lutte contre le cancer, il s'est alors remis à écrire, la seule manière de bivouaquer sans quitter la chambre, de crapahuter en soi, de voyager par la fenêtre. «J'attends sans impatience, en vivant l'instant comme une éternité», écrit l'ancien alpiniste et karatéka aux yeux bleu lagon. L'ivresse du grand large que, avec «le Marin à l'ancre», ce petit-fils de cap-hornier avait procurée à Roland, avec
«les Dames de nage», il se l'offre à lui-même, afin de restituer au corps fatigué son insolente santé d'avant-hier.
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Dans ce roman plein à craquer de souvenirs et d'odeurs, il ressuscite le petit aventurier du Marais poitevin à qui sa grand-mère assurait qu'il ne faut pas avoir peur de la mort, qu'il convient de croire à la «ronde éternelle des âmes»; l'adolescent fugueur, dont le père militaire était trop absent (Indochine, Algérie) et qui voyait les grumes de bois dériver dans le feu tournant des phares ; le mataf de la Royale, qui faisait du sacrifice une vertu et fréquentait, crâneur, les bordels des ports; le réalisateur de «la Transamazonienne», qui filmait le bout du bout du monde ; et l'insatiable amant des belles d'un jour. Il ne les a pas oubliées. Ni Amélie, qu'il a «aimée comme un enfant» et qui, la première, l'a initié au plaisir sans limites. Ni Joséphine, une grande Peule déliée, «sans le moindre angle vif». Ni Jamila, la petite Tunisienne de Sfax qui se déguisait en homme pour venir le voir. Et tant d'autres, à la nuque fine et aux chevilles légères :
«Il n'y a que les débuts qui m'intéressent, je me lasse et on se lasse de moi. Je ne sais faire que des ébauches...»
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Giraudeau, ce Gémeaux bousculé par le cancer
Parce qu'il est désormais un comédien d'escales et un écrivain au long cours, ce Gémeaux bousculé par le cancer prend le temps de musarder dans le passé. Il raconte comment, fuyant Paris sans regret, il a déchiré ses semelles sur la lave noire des volcans, foulé le mica des terres brûlées, traversé le Tocantins, navigué sur le Xingu, participé à des cérémonies chamanistes près de la frontière bolivienne, à des fêtes dogons au Mali, marché contre le simoun d'Iran et le khamsin d'Egypte, mangé du caldou au Sénégal et de la cazuela dans les Andes.
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Partout, il a favorisé le hasard, qu'il aime «comme la lumière», et comparé la canopée à une mer sombre. Il n'a jamais réussi à lire Proust, il lui a préféré Cendrars, Conrad, Melville, Segalen, Yoshikawa et Bouvier. «L'Ile au trésor» plutôt qu'«A la recherche du temps perdu». Il a rencontré, sur son chemin, des gens qui lui ont raconté des histoires magnifiques ou tragiques - ainsi celle de Marco, jeune matelot de la marine chilienne, baptisé «le suceur des gradés», qui se transforme en Marcia, et que sa mère éplorée, dont elle est le fils unique, ne reconnaît pas...
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« Les Dames de nage », c'est la chronique vagabonde d'une existence où les femmes ressemblent à des continents, et les pays lointains, à des corps de femmes parfumés aux essences florales. C'est le livre rond d'un homme maigre. Un chant du départ qui sent le vieux chanvre et le calfat des navires. C'est ce qu'on s'écrit pour se donner de la force, et une dernière salve de désir. L'acteur colérique est devenu un raconteur généreux.
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Parrain de l'opération « Une jonquille pour Curie », il va désormais dans les hôpitaux pour offrir aux enfants malades ses histoires de marin, ses rêves de métissage, ses souvenirs gorgés d'espoir. Et c'est ainsi qu'il se ressemble vraiment. - http://bibliobs.nouvelobs.com/20100717/362/bernard-giraudeau-le-voyageur-solitaire-sen-est-alle

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