Le jury Goncourt, réuni lundi 10 novembre chez Drouant, a attribué son prix à Atiq Rahimi pour Syngué sabour. Pierre de patience (POL).
Au deuxième tour de scrutin, le romancier l'a emporté par sept voix contre trois à Michel Le Bris.
Après Gilles Leroy en 2007 avec Alabama Song (Mercure de France), c'est à nouveau l'une des filiales de Gallimard qui est couronnée, POL, qui n'avait jusqu'alors jamais décroché ce prix.
Ecrivain et cinéaste, Atiq Rahimi est né en Afghanistan en 1962.
Elevé dans une famille "libérale et occidentalisée", il fait ses études au lycée franco-afghan de Kaboul.
En 1973, à la suite d'un coup d'Etat son père, juge d'instruction monarchiste, est emprisonné ainsi que son oncle.
A la suite de cet événement, le jeune garçon, passionné de littérature et de cinéma français, commence à écrire.
Après trois années de prison, ses parents quittent l'Afghanistan pour l'Inde où, Atiq Rahimi les rejoindra après le coup d'Etat communiste. Il y restera six mois. Faute de visa, il est contraint de regagner l'Afghanistan où, à l'hiver 1980-1981, il travaille dans des mines qui lui inspireront Terre et Cendres, son premier roman.
En 1984, la situation dans son pays devenant intenable, il décide de partir pour le Pakistan, puis pour la France où il s'inscrit à l'université et obtient un doctorat de communication audiovisuelle.
La mort de son frère, tué pendant la guerre en Afghanistan, est un choc qui le pousse à écrire.
Après Terre et Cendres, écrit en persan, qu'il adapte au cinéma en 2004 (il obtient au Festival de Cannes le prix "Regard d'Avenir"),
il composera Les Mille Maisons du rêve et de la terreur (POL, 2002) et Le Retour imaginaire (POL, 2005).
Avec Syngué sabour, Atiq Rahimi offre son premier livre en français.
Bien que jamais nommé, son pays natal sert de décor à ce huis clos entre un homme, "héros de la guerre" agonisant, et son épouse, qui le soigne. Passé le temps des prières pour ce mari, qu'en dix ans de vie commune elle n'aura fait que croiser, vient celui de la colère, de la révolte et aussi de l'éveil d'un corps bafoué, humilié, blessé. Immobile comme cet homme, comme aussi cette pierre de patience sur laquelle, selon la légende, on déverse ses heurs et malheurs, le lecteur recueille ce monologue empli de gémissements, de souffrances, de crudité, de silence et de folie.
source : Christine Rousseau - http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/11/10/le-goncourt-a-atiq-rahimi-le-renaudot-a-tierno-monenembo_1117065_3260.html#xtor=RSS-3260
source : Christine Rousseau - http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/11/10/le-goncourt-a-atiq-rahimi-le-renaudot-a-tierno-monenembo_1117065_3260.html#xtor=RSS-3260
Une afghane se libère à travers des mots brûlants de rage et de désir Une femme veille son mari.
Elle cale sa respiration sur celle de l'homme blessé. Ses lèvres tremblent. Elle prie, égrène son chapelet, scande quatre-vingt-dix-neuf fois l'un des noms de Dieu, « Al-Qahhâr, Al-Qahhâr, Al-Qahhâr », souffle, recommence. Elle se berce au son de sa propre litanie, veut croire, espérer.
Elle craint ce corps inerte, lui murmure des choses insensées, jamais prononcées, fragments de tendresse, d'illusions enfuies. Jusqu'alors clandestine, une audace la tenaille. L'impatience monte en elle. Elle s'insurge et laisse des paroles âpres, folles, terrées depuis trop longtemps s'échapper de ses entrailles.
Un flot – toute sa vie – franchit sa bouche soumise. Lui viennent alors des mots interdits, des mots rebelles. Elle apostrophe Dieu et son enfer, insulte les hommes et leurs guerres, maudit son époux, soldat d'Allah, héros vaincu par sa fierté de mâle, son obscurantisme religieux, sa haine de l'autre. Elle prie, elle crie.
Elle était silence, abnégation. Elle devient femme. Atiq Rahimi a mis toutes ses tripes de poète afghan dans ce quatrième livre, mais premier écrit en français. Peut-être lui fallait-il abandonner sa langue maternelle, le persan, s'approprier le français pour s'immiscer dans la peau de cette femme courage, se laisser couler dans ses souffrances, écrire pour elle la dignité en lui offrant des paroles de rage, crues, provocantes, chargées de désirs inassouvis – amour, sexe et plaisir proscrits.
Un jour, hors d'elle, comme pour se venger de cet époux tyrannique, elle provoquera des hommes en armes, se fera putain. Elle devient violence, se met en guerre contre l'hypocrisie, tient sa revanche : « Je vends ma chair, comme vous vendez votre sang. » Syngué sabour signifie en persan « pierre de patience ». Là-bas, on raconte que jadis existait une pierre magique à laquelle on peut se confier : « La pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines. »
Atiq Rahimi s'est fait pierre de patience, a recueilli et réinventé les douleurs et les espoirs des martyrs, toutes femmes de l'ombre, comme pour leur offrir une mémoire, que leurs luttes soient à jamais synonymes de vérité, de liberté. Cette femme, à qui il donne un rôle de tragédienne antique, devient symbole : « Cette voix qui émerge de ma gorge, c'est la voix enfouie depuis des milliers d'années. » Dans une chambre, « quelque part en Afghanistan ou ailleurs », une femme veille son mari. Est-il mort ? en vie ?
Dehors, des coups de feu, des pas précipités, des gémissements, puis à nouveau le silence. Dans une solitude de fin de monde, la femme se dévoile, se révèle à elle-même, prend conscience de son corps, égrène non plus le nom de Dieu mais ses souvenirs, ses rêves avortés, son mariage forcé, sa sœur vendue à un vieillard, l'honneur de la famille fondé sur l'intransigeance, l'arbitraire, et puis ces guerres fratricides qui n'en finissent jamais... Hymne à la liberté et à l'amour, Syngué sabour enfle comme un requiem, incantatoire, obsédant. Magique comme une pierre de patience.-Martine Laval, Télérama, 20 août 2008Au loin, le bruit des bombes
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Pour son troisième roman, Atiq Rahimi délaisse la langue persane et opte pour le français.Il reste fidèle à son écriture dépouillée et forte pour décrire la découverte de soi d'une femme dans la guerre.
Pour son troisième roman, Atiq Rahimi délaisse la langue persane et opte pour le français.Il reste fidèle à son écriture dépouillée et forte pour décrire la découverte de soi d'une femme dans la guerre.
Depuis Terre et cendres (2000), Atiq Rahimi choisit toujours l'après-déflagration. Ou le plan d'à-côté, là où les yeux ne se posent que discrètement ou pas du tout. Et l'écrivain sonde loin alors, dans la poussière et les événements minuscules, tous ces signes de la douleur incandescente et de la vie qui perdure malgré tout. La focale minimale, tel est son choix toujours pour faire résonner l'énormité du drame.
Il opte pour le silence pour que résonne, au loin, plus distinctement, le bruit des bombes. [...] Syngué sabour, Pierre de patience se déroule en Afghanistan, mais pourrait aussi se poser ailleurs, partout où la guerre tonne. Pour ce troisième roman, Atiq Rahimi a délaissé pour la première fois le persan pour le français. Et l'on retrouve immédiatement ce style économe qui ne craint ni les silences, ni le blanc des instants suspendus peuplés d'insectes besogneux, ni la répétition des gestes. Une chambre, une seule. Une femme dont on n esaura jamais le nom. Comme d'aucuns autres personnages d'ailleurs, qui traversent la pièce, le livre. Elle veille inlassablement sur son mari, plus du côté de la mort que de la vie, blessé à la guerre, une balle dans la nuque.
On sent, on entend, on écoute la guerre par la fenêtre de la pièce. Diffuse puis cinglante d'un coup. Massive mais indéfinie, elle n'en est que plus absurde, plus folle, plus sale. Toute l'écriture est concentrée sur les gestes de la femme qui égrène son chapelet, encore, encore, encore. Met du collyre dans les yeux de son époux. Change le goutte-à-goutte. C'est le tu, le non-dit qui influent un souffle étonnant dans tant d'immobilité.
Et puis cette femme va se mettre à parler, persuadée que son homme l'entend. Elle va lui dire ce qu'elle n'a jamais dit. Sa révolte contre son père, contre lui, ses désirs intimes jamais pris en compte, son amour quand même. Le mari agonisant devient ainsi une syngué sabour, une pierre de patience qui, selon la mythologie persane, détient le pouvoir d'absorber les malheurs et les souffrances, les secrets les plus enfouis. Magique, on la pose devant soi et l'on parle, parle encore. Puis vient le jour où la pierre éclate et l'on est libéré de tous ses malheurs. Au milieu des bombes, dans cette chambre nue, oubliée de tous, battue par des rideaux aux motifs d'oiseaux, la femme, lentement, se libère.-Lisbeth Koutchoumoff, Le Temps, 30 août 2008Rancœurs de pierre
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Afghane. Atiq Rahimi révèle la parole d'une femme. « Le pas vert des gouttes de pluie », c'est l'ordalie au quotidien des femmes afghanes contraintes au tchadri, à la soumission et à l'humiliation. L'expression est d'une jeune poète d'Herat, Nadia Anjuman. « Ni sourire au recueil de leurs lèvres. Ni larme pointant du lit tari de leurs yeux. Dieu ! Je ne sais si leur cri lourd peut atteindre les nuages. Ni même le ciel ? » écrivait-elle, peu avant d'être sauvagement battue, jusqu'à la mort, par son mari.
Afghane. Atiq Rahimi révèle la parole d'une femme. « Le pas vert des gouttes de pluie », c'est l'ordalie au quotidien des femmes afghanes contraintes au tchadri, à la soumission et à l'humiliation. L'expression est d'une jeune poète d'Herat, Nadia Anjuman. « Ni sourire au recueil de leurs lèvres. Ni larme pointant du lit tari de leurs yeux. Dieu ! Je ne sais si leur cri lourd peut atteindre les nuages. Ni même le ciel ? » écrivait-elle, peu avant d'être sauvagement battue, jusqu'à la mort, par son mari.
Sans doute Nadia Anjuman hante-t-elle ce quatrième livre, à la fois roman et récit, d'Atiq Rahimi, qui, avec sa pudeur habituelle, a seulement cité les initiales de la jeune femme dans sa dédicace. Elle et beaucoup d'autres, toutes sœurs dans le désespoir de leurs vies éteintes, dont les voix ne sont jamais entendues, dont les révoltes demeurent enfouies, dont les plaintes n'ont jamais franchi le bord des lèvres. Moribond.
Ce « cri lourd », qui n'atteint ni ciel ni nuages, Rahimi va s'employer à le remonter jusqu'à sa source. Point de départ de l'histoire : un moudjahid blessé d'une balle dans la nuque pour une injure jetée à la figure d'un autre, vivant mais inconscient, et sa femme, à son chevet, qui s'occupe de la perfusion.
Les jours s'écoulent au rythme des respirations de l'agonisant, des grains du chapelet qu'elle égrène tout en récitant les 99 noms de Dieu, ce qui est censé fait revenir le moribond à la vie. Dehors, la guerre rôde jusqu'à la porte de la maison du couple, située sur la ligne de front.
Les combattants font de temps à autre irruption dans la rue. Ils volent, violent, tuent des civils à l'occasion, tandis que, depuis la mosquée voisine, le mollah débite inlassablement ses fadaises. C'est face à ce « héros » devenu muet, probablement sourd, que la parole muette de sa femme va peu à peu se libérer. Le corps blessé va ainsi devenir la « syngué sabour », la « pierre de patience », qui, dans la mythologie perse préislamique, est une pierre magique à qui l'on confie malheurs, souffrances, misères.
Elle entend tous les secrets, les absorbe comme une éponge, et un jour elle éclate, délivrant celui qui lui a fait confiance. Grâce à ce corps transmué en pierre, tout va remonter à la surface, le vécu, le refoulé, les peurs, les humiliations, l'enfance aussi, douloureuse, à cause d'un père prêt à vendre ses fillettes pour s'acheter des cailles de combat.
Toutes les rancœurs explosent, même la nuit de noce ratée et les frustrations sexuelles. Et la parole, comme la musique appelle la danse, va ensuite entraîner le corps qui, à son tour, bravera les interdits. La femme ira jusqu'à faire l'amour avec un jeune combattant devant le « cadavre vivant » de son mari. Puis lui lancera : « Tiens, voilà ton honneur baisé par un jeune de 16 ans ! [...] Ton honneur n'est plus qu'un morceau de viande ! Toi-même tu employais ce mot.
Pour me demander de me couvrir, tu me criais : cache ta viande ! En effet, je n'étais qu'un morceau de viande où tu enfonçais ta sale bite. Rien que pour la déchirer, la faire saigner ! » « Blessures ». Au bout de sa quête d'elle-même viendra la révélation, dans son sens le plus religieux : celle de son corps. « Oui, le corps est notre révélation [...]. Nos corps à nous, leurs secrets, leurs blessures, leurs souffrances, leurs plaisirs... »
Une nouvelle fois, Atiq Rahimi part à la recherche de ce qui nourrit la tragédie de son pays. Dans ce qui est son plus beau livre, écrit pour la première fois en français, il fouille dans le nu de l'âme afghane, loin de tous les clichés exotiques de la littérature occidentale sur la beauté des cavaliers, la geste des guerriers, la majesté des paysages... Ce corps mourant et cette femme qui s'illumine à ses côtés sont aussi une métaphore de l'Afghanistan, aujourd'hui entre tonnerre et ténèbres.-Jean-Pierre Perrin, Libération, 18 septembre 2008
contente que "mon candidat" ait été choisi...
voir les nouveautés chezéditeur : http://www.pol-editeur.fr/catalogue/livres.asp
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