dimanche 9 novembre 2008

Maj Sjöwall & Per Wahlöö - Vingt-deux, v'la des frites


livre de chevet,
polar nordique
Un polar pour me changer des thrillers... plus de goût pour ce genre.
En fin de lecture... du très bon !


Alors qu'il réunit ses principaux collaborateurs dans le meilleur restaurant de Malmö, un célèbre et richissime entrepreneur est abattu d'une balle en pleine tête par un homme qui s'échappe tranquillement par l'une des fenêtres du restaurant.
Après de nombreux cafouillages, l'enquête échoit à Martin Beck car l'homme d'affaires a surtout construit sa fortune sur le trafic d'armes avec les colonies portugaises d'Afrique et l'on soupçonne en haut lieu un meurtre politique.
Cela n'empêche pas les enquêteurs de fouiller la vie des proches du défunt : une jolie veuve, un bras droit aux dents longues et un fondé de pouvoir véreux auraient-ils pu commanditer le meurtre ?
Comme souvent, la très prosaïque solution de l'énigme apparaîtra presque par hasard et les vrais méchants ne seront pas forcément punis.
La toile de fond de cette enquête est principalement l'incurie policière et la dégradation sociale induite par un affairisme aveugle uniquement préoccupé de ses profits, dans une société qui n'est solidaire que d'apparence. Avec leur économie de moyens habituelle, Maj Sjöwall et Per Wahlöö se contentent de nous montrer, dans la réalité de la vie des gens ordinaires, les conditions d'existence qui leur sont faites par ceux qui, dans le même temps, s'empiffrent au Savoy.
A l'autre bout de cette injustice, ceux qui s'en mettent plein les poches n'obtiennent même pas le brevet de respectabilité, le prestige qu'ils escomptaient, de la part de ceux qui pensent bien sûr être au-dessus du lot (comme le confirme avec mépris l'aristocratique sœur de Larsson).
En quelques images brèves et efficaces est tracée sous nos yeux une société de classes hermétiquement closes à l'Autre et prospérant sur le plus faible...
La violence faite aux hommes par le modèle social trouve parfois comme exutoire une violence réciproque que Martin Beck, et par delà nos deux auteurs, ont du mal à condamner totalement.
Quant à l'impéritie policière, abordée ici sur un mode drôlatique, elle est autant le fait du flic de base (le duo Kvant-Kristiannson, l'inspecteur Buckland) que des grands chefs stockholmois, la Sécurité intérieure (SEPO) étant, dans ce roman, savoureusement épinglée.
En savoir plus
Maj Sjöwall et Per Wahlöö sont un couple d'écrivains détectives suédois.

Per Wahlöö (né le 5 août 1926 à Göteborg et mort le 23 juin 1975 à Stockholm), diplômé de l'Université de Lund en 1946 consacra ses dix premières années de vie professionnelle au journalisme (il fut notamment reporter criminel) tout en publiant à partir de la fin des années 1950 quelques romans relevant pour l'essentiel du genre politique-fiction.

Maj Sjöwall (née le
25 septembre 1935 à Stockholm), était éditrice pour la maison d'édition suédoise Wahlström & Widstradt lorsqu'en 1961 elle rencontra Per Wahlöö qu'elle épousa l'année suivante.

Intéressés l'un et l'autre par la
criminologie, et animés par de fortes motivations politiques, ils décidèrent très rapidement d'investir le genre du roman policier, qui permet assez facilement de capter l'attention du lecteur tout en développant une argumentation plus intellectuelle. Par le truchement d'histoires policières classiques, mais néanmoins caractérisées par une vraie science de l'intrigue, le couple, dès Roseanna en 1965, a tenté d'exprimer sa vision du monde en général et de la société suédoise de l'époque en particulier.

Le constat implacable qu'ils ont fait de cette société suédoise déliquescente finit par trouver un écho éclatant à la fin de la décennie 1980 lorsque le fameux modèle social commença à voler en éclats sous les coups de boutoirs du
libéralisme économique.

Contexte socio-politique
Au milieu des années 1960, quand débute la saga des enquêtes de l'inspecteur Martin Beck, la Suède est un pays prospère. C'est même, juste derrière la Suisse, la nation européenne offrant le meilleur niveau de vie par habitant.
C'est un État largement industrialisé, importateur de matières premières et d'énergie, et exportateur de produits manufacturés.
Sa neutralité pendant la Seconde Guerre mondiale a profité à l'économie, qui non seulement n'a pas été détruite ou convertie en économie de guerre, mais s'est développée et modernisée.

Au plan politique le pays est dominé depuis les années 1930 par le Parti Social-Démocrate, champion toutes catégories de l'
État-providence. Les inégalités sociales sont faibles et la population immigrée est quasi inexistante (à l'exception d'une immigration finnoise).

C'est dans ce cadre idyllique en apparence, que dix ans durant — et dans autant de romans écrits à quatre mains — Maj Sjöwall et Per Wahlöö vont s'ingénier à montrer l'envers du décor, toutes les déviances traditionnellement passées sous silence, mais dont l'existence même prouve, à leurs yeux, que le fameux « modèle suédois » n'est qu'un leurre à bien des égards.

Pour reprendre une expression de
Robert Deleuse in Les maîtres du polar (Bordas, 1991), l'œuvre du couple scandinave est une « scannerisation de la société suédoise ». Per Wahlöö définissait le travail de son épouse et de lui-même comme « un scalpel ouvrant le ventre d'une idéologie appauvrie et exposant la morale discutable du pseudo bien-être bourgeois ».

Les romans :

Les dix romans formant la série des enquêtes de Martin Beck ont été publiés en Suède entre 1965 et 1975, et se sont arrêtés à la mort de Per Wahlöö. Les six premiers livres ont été publiés en français au début des années 1970 par les éditions Planète, puis la totalité de la série a été reprise au milieu des années 1980.
La série complète est en particulier parue dans la collection de poche 10/18 entre 1985 et 1987. La traduction des six premières enquêtes, jusqu'à et y compris 22, V'là des Frites, a été faite à partir de la traduction anglaise, tandis que la traduction des quatre enquêtes suivantes a été directement faite à partir de la version suédoise d'origine.
Ces derniers épisodes y gagnent encore en authenticité, en particulier grâce à l'utilisation fréquente du tutoiement, très répandu en Suède.

Roseanna
— Il s'agit du premier des dix romans de la série. On y fait la connaissance de presque tous les personnages récurrents de la série, et naturellement celle de Martin Beck.
Celui-ci, alors inspecteur principal de la police nationale affecté au bureau des homicides, est chargé d'enquêter sur la mort d'une inconnue retrouvée dénudée dans un canal.
Première parution française : éditions Planète (1970).

L'Homme qui partit en fumée
— Un homme est retrouvé mort dans un appartement des plus miteux la veille du départ en vacances de Martin Beck ; le lendemain, celui-ci doit quitter sa famille sur la petite île où il viennent d'arriver, car il est rappelé de toute urgence à Stockholm où un fonctionnaire du ministère des Affaires Etrangères lui demande d'abandonner sa villégiature et d'enquêter immédiatement sur la disparition d'un journaliste, de l'autre côté du Rideau de fer, en Hongrie.
(1966).

L'Homme au balcon
— Ce roman traite d'un sujet peu abordé dans la littérature policière de l'époque : la pédophilie.
Martin Beck et son équipe traquent un violeur meurtrier de petites filles dans un Stockholm écrasé par la chaleur du début d'été.
Au plan personnel, on voit les rapports du couple Beck se distendre de plus en plus sans que l'on sache très bien si cela est dû à l'hyperactivité de Martin au travail, ou bien s'il cherche à compenser par cette hyperactivité le désastre affectif qu'est sa vie privée.
Premier titre français : Elles n'iront plus au bois (Planète, 1970).

Le Policier qui rit
— Alors que toute la police de Stockholm est mobilisée pour faire face à une manifestation contre la guerre du Viêt Nam, deux de ses membres découvrent un autobus rempli de passagers arrosés à coup de pistolet mitrailleur.
Parmi les victimes se trouve un policier de la brigade criminelle : Åke Stenström.
Ainsi commence l'un des meilleurs romans de la série dans lequel, outre l'aspect enquête comme d'habitude impeccable, Sjöwall et Wahlöö nous donnent à voir une Suède où, sous des dehors de démocratie presque parfaite, se dissimulent les mêmes turpitudes policières et politiciennes que partout ailleurs en Europe occidentale (nous sommes en 1968)
Premier titre français : Le massacre de l'autobus (Planète, 1970).
Adaptation cinématographique américaine par Stuart Rosenberg en 1973 : The Laughing Policeman (en français : Le flic ricanant).

La Voiture de pompiers disparue
— Quand une banale voiture de pompiers peut en cacher une autre, tout aussi banale mais qui finalement va s'avérer le nœud tenant tous les éléments de l'intrigue !
Alors qu'il est en planque devant l'appartement d'un certain Malm, ignorant totalement pourquoi on l'a placé là par une nuit glaciale, l'immeuble explose littéralement à la figure de l'inspecteur Gunvald Larsson.
Les journaux témoignent que celui-ci s'est comporté en héros pour sauver le vie de plusieurs personnes.
Mais voilà... si la voiture des pompiers n'avait pas temporairement disparu en cours de route, il n'y aurait probablement eu que des blessés... mais plus de roman.
Premier titre français : Feu à Stockholm (Planète, 1972).

22, v'là des frites
— Un grand ponte de l'industrie est abattu dans la salle de restaurant de l'Hôtel Savoy à Malmö et le tueur peut prendre la fuite sans que personne n'ait le temps d'intervenir.
Martin Beck, à présent chef de la brigade criminelle - et en instance de quitter sa femme - se rend dans le sud de la Suède prêter main forte à son ami l'inspecteur-chef Per Mansson, le mâchouilleur de cure-dents parfumés à la menthe.
Outre les personnages habituels, on retrouve ici les inénarrables Kvant et Kristiansson, duo plus bête que méchant et la jolie Asa Torrel, jadis fiancée du policier Åke Stenström mort dans l'attaque de l'autobus (cf. Le policier qui rit), laquelle ne va pas laisser Martin Beck complètement indifférent...
Premier titre français : Le meurtre du Savoy (Planète, 1972).

L'Abominable Homme de Säffle
— Un assassinat à la baïonnette est commis dans un hôpital.
Or le mort n'est pas n'importe qui : c'est un flic, le commissaire Nyman. Qui plus est un flic gravement malade dont l'espérance de vie était des plus réduites.
Au fil de son enquête, Martin Beck et ses hommes vont découvrir que le commissaire Nyman avait l'habitude d'utiliser des méthodes très... spéciales avec les suspects.
Des méthodes qui cadrent mal avec l'idéologie soft de la social-démocratie suédoise, en apparence tout du moins.
(en français : Un flic sur le toit).
Adaptation cinématographique suédoise par Bo Widerberg en 1976 : Mannen på Taket

La Chambre close
— Une femme blonde coiffée d'un grand chapeau braque une banque ; l'affaire tourne mal : elle tue accidentellement un client.
Quelques jours avant, un vieil homme avait été retrouvé mort dans le petit appartement qu'il occupait.
Suicide, sans le moindre doute, d'autant que la chambre du mort était fermée de l'intérieur.
Sauf que Martin Beck a un doute...
Et quand un élément vient relier les deux événements, le doute se transforme en évidence.Un roman dense, à la conclusion teintée d'amoralisme renforçant un peu plus encore le côté profondément humain des personnages.

L'Assassin de l'agent de police
— Une femme est assassinée dans des conditions sordides et son corps jeté dans une mare.
Quelque temps après, des policiers en patrouille surprennent une bande de petits voleurs. Un fusillade éclate et un flic reste sur le carreau.
Manque de chance, l'un des voleurs, pour s'enfuir, dérobe la voiture qu'il ne fallait pas.
Où l'on voit le grand retour d'un personnage déjà rencontré par Martin Beck au détour de sa carrière ; où l'on voit aussi toute l'imbécillité de la hiérarchie policière, son goût exacerbé pour le pouvoir et sa soif de vengeance dès lors qu'un membre de l'institution a laissé sa peau pendant le service.
Un livre féroce, où Maj Sjöwall et Per Wahlöö mettent en pièce le mécanisme policier ; de plus en plus pessimiste
Les Terroristes
— Un important personnage d'un État sud-américain se rend en visite officielle en Suède ; un commando de terroristes internationaux s'y trouve au même moment ; une jeune fille idéaliste et naïve découvre soudain que son pays n'est pas le pays de cocagne dont on lui a rebattu les oreilles...
À partir de ces trois éléments, Maj Sjöwall et Per Wahlöö effectuent une autopsie brillante d'une société pas encore morte, mais pourtant déjà dans un état avancé de putréfaction.
C'est sans conteste le chef-d'œuvre de la série, comme si Per Wahlöö au commencement de ce roman savait que ce serait son dernier.
Les principaux personnages, sans exception, évoluent sur le fil du rasoir, prêts à basculer dans le néant. De la grande littérature.

illustrations:

1 - la liseuse de Renée Jullien

2 - Modigliani

3 - David Hamilton
sources : polars-cottet et wikipédia

Aucun commentaire: