dimanche 13 septembre 2009

En attendant la gloire

en lisant la presse (Le Monde)... un article sur les oubliés de la rentrée littéraire... doit être terrible l'angoisse de l'écrivain... il n'y a pas que la page blanche...
.
A la fin août, Laurent Bénégui était en vacances à la campagne. Il a pris sa voiture, est allé à la ville la plus proche pour faire une tournée des librairies.
"Les plus grosses, rigole-t-il, je ne prends pas de risques."
.
Il a contourné les piles les plus en vue, les Amélie Nothomb, Frédéric Beigbeder ou Marie Ndiaye,


et ouf, SMS, son dernier livre, était là, plus loin, plus discret mais bien là.
.
Critique humoristique de la modernité, Sms (éd. Julliard) est son quatrième roman en quatre ans, le huitième depuis qu'à l'âge de 23 ans, après ses études de médecine, il s'est lancé dans l'écriture. Laurent Bénégui sait faire rire son lecteur, mais il n'a pas le cœur à rire en ce moment : il est de ceux qui avouent leurs insomnies en cette rentrée littéraire.
.
Annelise Roux , elle, ne met pas un pied dans une librairie ces temps-ci.
.
Terrée dans sa retraite bordelaise, elle n'en est sortie que pour "monter" à Paris le temps d'un entretien pour France Culture.
La solitude de la fleur blanche (éd. Sabine Wespieser) est le premier roman, après trois polars, de cette jeune femme aux allures frêles, partagée entre le "plaisir fou" d'être publiée à la rentrée et "un stress incroyable". Annelise Roux a une manière singulière de résumer son état : "Je suis en plein post-partum."
.
Ils ont sué sang et eau, y ont mis toutes leurs tripes, ont attendu un long été avec pour seuls retours ceux des proches, forcément suspects, et voilà "leur bébé" en rayons, à portée de mains de milliers - de dizaines de milliers ? - de lecteurs.
.
illustration : Calliope, détail du « sarcophage des Muses », œuvre romaine du IIe siècle ap. J.-C.
.
Tant de labeur vaut bien reconnaissance.
.
Mais "le jour de sa sortie en librairie, le livre est un enfant mort-né", tranche l'éditrice Anne Carrière qui vit dans une terreur : gérer les frustrations des auteurs dont les livres ne se vendent pas, l'éditeur étant, évidemment, jugé responsable.
.
illustration : lalibrairie immaginaire - desordre.net


Des 430 romans français publiés en cette rentrée, combien survivront ?

Que restera-t-il après le ressac ?
.
illustration : de Maria Rosa Vidal Tosas
.
Etre publié en septembre est un bonheur d'écrivain : les médias accordent plus de place aux livres, les libraires les laissent plus longtemps sur leurs tables - un bon roman peut tenir jusqu'à Noël.
.
Mais c'est aussi le temps des vedettes, de la course aux prix littéraires, "un grand barnum", résume l'éditrice Sabine Wespieser.
.
Une épreuve pour les auteurs, surtout les "petits", les "sans nom", contraints d'attendre le reflux de la première vague, celle des locomotives de l'édition, avant d'espérer une petite apparition dans les médias malgré la profusion.
.
"Frédéric Beigbeder a besoin qu'on lui fasse de la pub ?",

ironise Hayat El El Yamani, auteur de Rêve d'envol (éd. Anne Carrière).
.
Cette ingénieure, spécialiste des cartes à puces dans une multinationale, l'admet : ce moment est celui "de l'attente, de l'espoir et de l'envie".
.
Depuis qu'à l'âge de 20 ans, elle a décidé d'écrire, dans la journée, au travail, elle "met (ses) idées sur des Post-it". Le soir et le week-end, elle s'installe dans sa cuisine, devant sa baie vitrée, en région parisienne, et elle écrit. Elle a plusieurs manuscrits dans ses tiroirs. Un jour, elle a mis Rêve d'envol dans une enveloppe, l'a envoyé à quatre éditeurs, "un geste d'humilité, d'orgueil et d'espoir".
.
Anne Carrière a réagi en dix jours. "J'ai pris ce livre parce que je l'aime", explique l'éditrice.
.
Trois semaines après sa sortie, huit radios, six magazines et deux quotidiens régionaux en ont parlé. Hayat El Yamani espère que ce n'est pas fini, mais l'essentiel est là, ce Rêve d'envol se concrétise : "Je suis visible", dit-elle.
.
Au pire, cette rentrée aura permis à Hayat El Yamani d'être "repérée" : les libraires, les critiques et le monde de l'édition sauront qu'elle existe.
.
Dans le jargon professionnel, il y a aussi les "orphelins", déjà publiés dans cinq ou six maisons différentes, ils tentent leur chance ailleurs.
.
Yves Pagès, le nouveau patron de "Verticales", la petite collection chic de Gallimard, en reçoit beaucoup.
.
"Certains auteurs ont un ou deux romans à faire et devraient s'arrêter là, mais ils continuent avec des livres inutiles", juge-t-il. Mais même vendu à quelques centaines d'exemplaires, un roman n'est pas forcément "inutile" :
.
"Nous avions publié six livres d'Olivia Rosenthal à moins de 1 000 exemplaires, se souvient l'éditeur-romancier.
.
Le septième, On est pas là pour disparaître , est parti à 10 000."
.
Joëlle Losfeld, des éditions du même nom, avait publié cinq romans de Michel Quint "à 300-400 exemplaires" quand elle a sorti le sixième, Effroyables jardins. Elle n'en attendait ni plus ni moins que les précédents. Il s'en est vendu... 400 000 !
.
L'édition a ses mystères que les éditeurs ne s'expliquent pas, si ce n'est en trois mots : "l'air du temps". Une alchimie qui autorise tous les espoirs. Du volatil, de l'imprévisible. De l'irrationnel, à double tranchant.
.
Pour une Muriel Barbery et son Elégance du hérisson (plus de 1 million d'exemplaires pour un tirage initial de 4 000), pour une Claudie Gallay et ses Déferlantes (255 000 exemplaires pour un premier tirage de 7 500), combien de bons auteurs restés dans l'ombre ?
.
"J'ai le regret de livres que j'ai trouvés extraordinaires et qui n'ont pas marché", soupire Joëlle Losfeld.
.
Au printemps, elle a publié Le nez à la fenêtre, de Jean-Noël Blanc, "un livre plein d'esprit, émouvant, les critiques ont été formidables". Les 4 000 exemplaires tirés ont été vendus, mais "ça aurait dû aller au-delà".
.
En attendant la reconnaissance, Nathalie Azoulai écrit un scénario pour un téléfilm.
.
Après avoir travaillé pendant dix ans dans l'édition, cette normalienne de 42 ans a décidé de se vouer à l'écriture, encouragée par le succès de Mère agitée (éd. du Seuil, 2002, 30 000 exemplaires), son premier roman.
.
Las ! Les trois suivants ont rencontré beaucoup moins d'écho dans la presse. "On se demande à quoi ça rime, mais on continue, soupire-t-elle.
.
C'est tellement difficile de dire "c'est mon métier". Il faut que quelqu'un d'autre le dise."
Le pire, c'est le regard des autres. "On vous dit : "Tu fais quoi dans la vie ?" et il faut bien répondre.
La plupart du temps, je réponds "j'écris des bouquins". "Ah bon ! Quel genre de bouquins ?"
"Des romans." "Tu es romancière, alors ?"
Mais dans la tête des gens, si vous êtes romancière, vous êtes connue, et si vous n'êtes pas Amélie Nothomb, vous n'existez pas."
*
Laurent Bénégui, lui aussi, ne veut faire que ça. L'auteur de SMS, 50 ans, aurait pu être un médecin-écrivain. Il a été un cinéaste-écrivain.
Depuis quatre ans, il est écrivain tout court. "J'aime la vie que ça me fait", dit-il.
Il aime travailler chez lui, tapi dans le bureau qu'il a aménagé dans le sous-sol de sa maison de banlieue, faire les courses, éplucher les carottes en pensant à l'un de ses personnages, écrire tous les jours, samedis, dimanches, vacances compris, critiquer le monde qui l'entoure par le biais de l'écriture.
.
L'un de ses romans, Au petit Marguery, dont il a fait un film avant de devenir écrivain tout court, a été traduit en japonais. Il vend quelques milliers d'exemplaires de chacun de ses livres.
.
De quoi vivre ? "Difficilement." Dans ses insomnies de rentrée, il se rassure : "Tous les éditeurs vous le disent : un jour ça vient."
*
L'essentiel, c'est de durer.
Après tout, Nathalie Sarraute avait plus de 50 ans quand elle a commencé à connaître le succès,
Albert Cohen 73 ans quand Belle du Seigneur a été publié.
.
Aux auteurs qu'elle édite, Claire Delannoy, directrice littéraire chez Albin Michel, donne un conseil : "Au moment de la publication, soyez déjà sur le livre suivant." "C'est une cote de mailles, ça protège de la souffrance", explique-t-elle.
.
Le silence des médias dévalorise, déstabilise, pour aider les auteurs face à cette "remise en question terrible", elle leur dit qu'ils n'ont tout simplement pas été lus.
.
D'autant, assure Sabine Wespieser en citant Muriel Barbery et Claudie Gallay, qu'un livre peut très bien se vendre sans le soutien des médias. Mais quel auteur est prêt à y croire ?
.
Laurence Plazenet n'écrit "ni pour la gloire ni pour l'argent". Elle "ne (se)demande pas si un jour(elle aura) le succès d'une
Anna Gavalda ou d'un Marc Lévy".
.
Mais elle avoue qu'elle sera déçue si elle ne voit aucune ligne sur son roman, La blessure et la soif (Gallimard).
.
Un pavé d'érudition, trois ans et demi de travail, des levers à 5 heures pendant les vacances, des couchers à 2 heures le reste de l'année, des recherches dans les bibliothèques entre les cours, les enfants, les copies à corriger...
Ce travail, "c'est un énorme orgueil tempéré par la lucidité".
.
A 12 ans, on la surnommait Marguerite "parce que Yourcenar". Elle écrit depuis l'âge de 6 ans, a toujours eu "cette certitude absolue de l'écriture, d'un héritage à assumer et à transmettre".
.
Mais à 41 ans, elle s'estime "trop vieille pour le succès". Et en tant que maître de conférences à la Sorbonne, spécialiste de la littérature du XVIIe siècle, elle sait bien que "seule une infime minorité de textes passe l'épreuve du temps".
.
Son éditeur, le poète
Guy Goffette, se souvient qu'un jour, à Bruxelles, il est entré chez un bouquiniste qui ne vendait que des livres parus chez Gallimard. Ni Camus ni Sartre, mais des écrivains qu'il ignorait. Il s'est demandé comment autant d'auteurs inconnus avaient pu être lus, a acheté quelques livres, les a trouvés remarquablement écrits.
.
Puis il s'est interrogé. Les relirait-il ? La réponse était non. -

Aucun commentaire: