samedi 26 juillet 2008

Catherine Siguret, une affranchie de la négritude littéraire

L’explosion du marché du livre et le nombre sans cesse croissant de parutions ont sorti du placard une figure jadis hypocritement moquée : le nègre. A l’occasion des subtiles confessions d’une « ghostwriter », tour d’horizon de la pratique.



Au royaume de l’agilité d’esprit, le nègre est roi.
Et dans le circuit du livre, sa figure est maintenant décomplexée. Ce « ghostwriter » qui écrit des livres que d’autres signent à leur place, jadis recherché et jamais cité, est aujourd’hui beaucoup plus courtisé. Car depuis l’explosion du nombre de parutions de livres, le Milieu (de l’édition) a besoin de mains.
Depuis le boom des documents politiques, des « quick books » et des livres people, le Moloch dépend de plus en plus des productions écrites «en collaboration». Une manne pour les nègres. Un gigantesque appel d’air pour les « intellos précaires ».

En France, Erik Orsenna,
Patrick Rambaud et Dan Franck sont, des romanciers primés et starisés, les nègres les plus connus. Ce dernier a écrit une soixantaine de témoignages, récits et documents pour les autres (parmi lesquels Zinédine Zidane) mais s’est toujours refusé à écrire les romans des autres.
Dans « Politiquement nègre » (avril dernier chez Robert Laffont), conseiller en communication politique, pointait l’omerta du milieu politique sur le sujet, à l’heure où les people se sont outés. Et où leurs nègres sont payés entre 20 000 et 40 000 € pour trois mois de travail et pour leur silence.

Dans « Roman nègre », paru au printemps chez Grasset, Dan Franck mettait en fiction et en poupée gigogne sa propre « négrité ».
Au même moment, dans « Enfin Nue », Catherine Siguret retournait le gant.
Plus encore qu’une confession littéraire, « Enfin nue ! » est un ouvrage très fin, où une nègre tente de s’auto-négriser. Réussi. Rue 89 a voulu en savoir encore plus.

Avez-vous eu du mal à trouver éditeur pour cet ouvrage ?
Un mal fou.
Les quelques éditeurs avec lesquels je travaille (une petite dizaine), me disaient : "Mais enfin, on s’en fout ! T’es personne !".
La plupart n’ont pas lu, ceux qui ont lu ont trouvé ça formidable (bien entendu) mais "pas pour eux". Chez deux éditeurs, j’ai frôlé le "oui" jusqu’à un veto du sommet (prétexte ou réalité ?). J’ai rangé le livre dans le tiroir et continué à œuvrer sur mes autres livres, songeant que c’était sans doute une mauvaise idée.
Deux ans plus tard, j’ai pris un agent pour y voir clair dans mes trente et quelques livres déjà parus. C’est elle qui a placé le livre chez Intervista, maison d’édition de Luc Besson que je ne connaissais pas.
Malheureusement, le livre, à qui une presse formidable était promise (et effective) a été saboté par le réseau de distribution, le CDE (filiale de Gallimard, NDLR), qui en a fait un incunable : 1500 exemplaires ! Il faudrait parler de ça, un jour, des réseaux de distribution qui font la pluie et le beau temps, décident du destin d’un livre en décidant de la mise en place.
Que pensez-vous de la profusion actuelle des « quick-book » d’actu ? En écrivez-vous ?
Que voulez-vous que je dise à part que sur le principe, je trouve ça un peu lamentable, évidemment, et que l’idée que je me fais d’un livre est plus noble.
Maintenant, est-ce que la vie de Greg le millionnaire, star pendant deux mois sur une chaîne de télé, livre que j’ai écrit, n’était pas déjà un quick book ?
Enfin, l’appellation cible les livres d’actualité dite "journalistique", et je déteste tout ce qui ressemble à un papier de presse délayé pour former 200 pages. Ils me tombent des mains parce que je ne peux pas être dupe d’un livre où il n’y a aucune matière, je sais trop bien comment on les fait, et ça me saute aux yeux !
Comme ça ne m’intéresse pas, je n’en écris pas et n’en écrirai pas. En même temps, on peut nourrir l’espoir confus qu’ils entretiennent le rapport des gens à l’objet livre, et qu’ils dynamisent un secteur qui ne va pas très bien.

Pensez-vous qu’on puisse être, sur le long terme, un bon écrivain en même temps qu’un bon nègre ? En d’autres termes, Dan Franck est-il selon vous un bon nègre et un bon écrivain ?

Je n’ai pas lu le livre de Dan Franck, au départ parce que je me suis dit : "Je ne vais pas lire un livre qui raconte ce que je sais déjà", mais en fait, je crois m’être égarée sur le contenu. Donc je vais le lire.
Qu’est-ce qu’un bon écrivain ? Quelqu’un qui sait tenir un rythme soutenu, retenir l’attention d’un façon ou d’une autre, et je pense qu’il sait le faire sinon on ne l’aurait pas fait travailler deux fois.
Ensuite, c’est quelqu’un qui envoûte, qui fait tomber amoureux son lecteur, amoureux des lignes, et ça, c’est subjectif. A mes yeux, c’est l’essentiel, mais à d’autres yeux, c’est l’intrigue.
Quand on voit les livres qui "cartonnent", les romans de "stars", ce sont des livres sans musicalité, avec une bonne intrigue de série télé, à laquelle je peux même me laisser le prendre. Aussi y a t-il de mauvais écrivains qui font en quelque sorte de bons livres.

Quelle est la fourchette de prix que vous appliquez pour les livres que vous écrivez pour les autres ?
Je gagne avec mes livres entre 10 000 €, plancher le plus fréquent mais en deçà duquel « je ne me lève pas » (pour paraphraser une célèbre top-model qui, elle, évoquait 100 000 €), et 15 000 € pour l’avance.
A terme, soit les ventes médiocres font qu’on en reste là, cas le plus fréquent hélas, soit on atteint des sommets. Le record étant de 50 000 € pour Claudia Schiffer (traduction mondiale, et malgré mon pourcentage de 1%, ce fut d’un excellent rapport). Le nègre établit des statistiques : je fais un carton tous les dix ans !

Si Cécilia Sarkozy, qui "adore Rue89", ou Carla Bruni, vous contacte en vue d’un contrat suite à cette interview, quelle sera votre réaction et la somme que vous lui demanderez ?Carla, c’est oui, et quand je suis morte de curiosité, je peux faire un prix !

Enfin nue – Confessions d’un nègre littéraire de Catherine SiguretIntervista – 223 p. – 14,90 €► En juillet, avant la prochaine rentrée littéraire, le Cabinet de lecture publiera les –nombreux…- sujets sur des livres parus ce premiers semestre, et dont il n’a eu le temps de vous parler.




Le livre à lire
Catherine Siguret, 37 ans, a écrit ou co-écrit trente-cinq ouvrages en quatorze ans.
Parmi eux, quatre romans sous son nom (le dernier est paru en juin, au Fleuve Noir : « J’aimerais vous revoir »).
Parmi eux, des romans écrits pour d’autres, qui ont tous reçu de beux accueils critiques.
Catherine Siguret a aussi été la « plume » de Claudia Schiffer, Lorie, Julien Courbet, Greg le millionnaire, Gérard Louvin, et a écrit des livres avec des personnes moins chanceuses (prostitution, drogue).
Elle a travaillé pour la télévision (rédactrice en chef de « Ciel mon mardi » ou « Y’a pas photo » ; Direct 8) travaille pour la presse féminine.
Pour écrire « Enfin nue ! », elle s’est tout simplement négrisée elle-même, s’établissant contrat et avances sur manuscrit, allant voir sa propre banque, et s’imposant une conduite –qui interdit donc des « révélations ».
Au final, un livre lourd-léger, entièrement porté sur l’addiction à l’écriture et à la littérature. Qui évoque la condition du nègre (aucun barème ni existence sociale), la relation entre monde des stars et monde réel, entre nègre et négrisé, sentiments de façade et sentiments réels, amour supposé et amour vrai, sexe et écriture, temps volé et temps donné, nègre sourd et nègre muet.
« Enfin nue » ! » est une confession de femme dans le monde précaire et moderne. Un très sain récit infra-littéraire.

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