vendredi 25 juillet 2008

Vols de plumes dans l'édition



LE FIL LIVRES - Les affaires de plagiat sont fréquentes.

Mais peu aboutissent à une condamnation, car il n'est pas si facile de distinguer simple ressemblance et contrefaçon.

Rappelez-vous, c'était en septembre dernier : l'écrivaine Camille Laurens déclarait avoir détecté, dans le roman de Marie Darrieussecq, Tom est mort, des ressemblances troublantes avec son propre récit, Philippe, écrit en 1995, autour de la mort de son enfant.
Et l'accusatrice d'employer alors l'expression un rien nébuleuse de « plagiat psychique » pour qualifier les emprunts qu'elle reprochait vertement à sa consœur...
De fait, il faut différencier juridiquement plagiat et contrefaçon.
Le premier pousse la ressemblance sans verser du côté de l'infraction, et n'a pas d'existence juridique.
La deuxième, elle, est affaire de justice. Et la peine est sévère - jusqu'à trois mois d'emprisonnement et de fortes sommes à payer.
L'histoire de Camille Laurens et de Marie Darrieussecq ne relève clairement pas de cette seconde catégorie. Et, selon l'avocat Emmanuel Pierrat, elle se révèle presque « prévisible ». Le sujet, la mort d'un enfant, est douloureux sans être « singulier ».
Quand deux écrivains traitent de ce thème, des « passages obligés » se dessinent, dans le style comme dans l'intrigue, scènes ou phrases-clés qui appartiennent au « fond commun du genre ».
« Imaginez une histoire de pyromane, donne en exemple l'avocat. Peut-on parler de plagiat si, dans deux romans, vous retrouvez une scène spectaculaire avec une grande échelle, un pompier pyromane, un sauvetage miraculeux ?
Même chose pour une histoire d'amour à Venise... » Il est clair qu'on évolue ici dans le domaine des émotions, et surtout dans celui des familles littéraires aux sensibilités communes. La justice peut difficilement trancher.

Tout écrivain est un lecteur, voire un coucou, qui se glisse dans les œuvres des autres pour mieux nicher la sienne.
La question est de savoir si l'auteur parvient à dépasser l'imitation pour faire œuvre originale.
On sait que, dans l'Antiquité, puis au Moyen Age, avant la diffusion de l'imprimerie, il n'était pas question de respect du texte original : le copiste se révélait coauteur, apportant des modifications aux textes qui lui étaient dictés.
A ces époques, où l'œuvre n'était pas figée, la signature était « une réalité mouvante », explique l'universitaire Hélène Maurel-Indart, dans l'essai Plagiats, les coulisses de l'écriture.
Il faudra patienter jusqu'à la naissance du texte imprimé pour entendre parler de la notion de propriété d'une œuvre.
Aujourd'hui, si le sujet reste sensible et les accusations nombreuses, on va rarement jusqu'au tribunal pour les régler.

Un auteur qui vend à plus de cinquante mille exemplaires est la cible idéale des accusations de plagiat, les enjeux financiers étant lourds.

Pour certaines, un arrangement est trouvé. Pour d'autres, on calme le jeu et on sort les instruments de mesure : tableaux comparatifs des extraits supposés frauduleux et des originaux, listes des concordances, des recopiages et des points communs, des similitudes d'expression, des ressemblances entre les personnages...
Les grosses maisons d'édition habituées aux best-sellers sont les plus accusées.
Un auteur qui vend à plus de cinquante mille exemplaires est la cible idéale des accusations de plagiat, les enjeux financiers étant lourds.
Ainsi Marc Levy a-t-il été attaqué deux fois en justice pour Et si c'était vrai, mais les plaintes ont été rejetées, la justice considérant que ses thèmes appartenaient à une sorte de fond commun : un titre sans originalité (déjà utilisé dès 1934), le motif guère original d'une jeune femme inconsciente... « On rêve de posséder un logiciel de détecteur d'emprunts suffisamment fiable pour reconstituer le processus d'écriture avec une mise en valeur des sources utilisées et un indice de leur degré de reproduction, précise Hélène Maurel-Indart, mais il y a encore loin du rêve à la réalité. »

Peu à peu, pourtant, les logiciels d'analyses textuelles se perfectionnent (Hyperbase, Lexico, Toposator...). Mais l'examen à l'œil nu peut parfois suffire à reconnaître le vol à l'étalage.
C'est le cas de Calixthe Beyala. Voici une dizaine d'années, les curieuses pratiques de cette au­teure étaient dévoilées par Pierre Assouline dans le magazine Lire, qui plaçait face à face les passages de la romancière franco-camerounaise et les originaux.
La jeune femme était ainsi allée grappiller chez Howard Buten, Romain Gary, Charles Williams, Alice Walker, Ben Okri et Paule Constant.
En devenant une récidiviste de la kleptomanie littéraire, Calixthe Beyala se ridiculisait aux yeux des lecteurs avant même d'être condamnée pour « contrefaçon partielle ».
Les cas d'emprunts, plus ou moins importants, sont malheureusement nombreux et l'on a vu notamment Irène Frain, Jean Vautrin ou Thierry Ardisson pris la main dans le sac.
Les uns réalisant de larges emprunts dans des travaux historiques, les autres s'inspirant lourdement de thèses universitaires publiées.
Le cas d'Henri Troyat est douloureux. Lui qui, en 1942, avait écrit un roman sur un plagiaire, se retrouve cinquante-cinq ans plus tard dans ladite situation, à propos de sa biographie de Juliette Drouet, inspirée du Juliette Drouet ou la dépaysée de Gérard Pouchain et Robert Sabourin, publiée cinq ans avant la sienne.
Dans un premier temps, les deux biographes sont déboutés mais, en appel, ils gagnent leur procès. Ce revirement montre à quel point les critères d'analyse sont complexes. Finalement, la cour d'appel ordonnera le retrait du livre de Troyat et plus de 50 000 euros de dommages et intérêts. Henri Troyat renoncera à se pourvoir en cassation.

« Avec l'utilisation d'Internet, on assiste aujourd'hui à une “wikipédisation” à outrance des textes. » Emmanuel Pierrat, avocat

C'est dans le domaine de l'essai et de la biographie que la tentation du plagiat est la plus forte.
Jacques Attali et Alain Minc en sont de beaux exemples.
Jacques Attali, pour écrire ses Histoires du temps, avait emprunté des paragraphes à Jean-Pierre Vernant, Ernst Jünger et Jacques Le Goff. Pris sur le fait, il prétexta que la faute en revenait à l'éditeur qui avait... oublié les guillemets.
Dans Spinoza, un roman juif, d'Alain Minc, le philosophe Patrick Rödel recensa trente-six emprunts à son Spinoza, le masque de la sagesse.
Mais le plus indéfendable fut la reprise d'une anecdote inventée par Rödel : dans sa « biographie imaginaire », il avait créé une recette de confiture de rose destinée à soulager les diarrhées. Prenant l'information pour argent comptant, Alain Minc l'inscrivait dans son livre sans rien vérifier.
Il fut condamné, avec sa maison d'édition, à des dommages et intérêts par le tribunal et évita de faire appel.
Quant à la plus flagrante inconséquence, elle vient de Mgr Gaillot.
Accusé d'avoir plagié l'universitaire Paul Ariès pour écrire sa Dernière Tentation du diable, il se défendit en accusant ses documentalistes. Se disculper en dénonçant ses « nègres », est-ce la bonne argumentation ?

Les plagiats sont-ils plus courants qu'avant ?
Avec l'utilisation d'Internet, on assiste aujourd'hui à une « wikipédisation » à outrance des textes, explique Emmanuel Pierrat. Les universités américaines et canadiennes commencent tout juste à prendre des mesures et n'hésitent pas à engager des sanctions envers des étudiants fraudeurs tentés par le « copier-coller ».
Il existe même un site Internet (plagiarism.org) qui analyse les recopiages suspects, extrêmement fréquents dans le milieu scientifique.
Mais dans le domaine littéraire, la notion d'auteur reste aussi complexe qu'une formule d'alchimie. Et elle ne cesse de varier selon les époques, les évolutions historiques et celles des mentalités.
Un écrivain est toujours un « cannibale », rappelle Hélène Maurel-Indart, mais « encore faut-il que, passé la phase du cannibalisme, survienne celle du greffage ». Par peur du plagiat, Marcel Proust pratiquait quant à lui l'art du pastiche pour, disait-il, se « purger »... .
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Christine Ferniot
Télérama n° 3054

A LIRE“Plagiats, les coulisses de l'écriture”, d'Hélène Maurel-Indart (éd. de la Différence) ; “Les Plagiaires, nouveau dictionnaire”, de Roland de Chaudenay (éd. Perrin) ; “Le Droit d'auteur et l'édition”, d'Emmanuel Pierrat (éd. du Cercle de la librairie).
Un site à consulter :
www.leplagiat.net


source : http://www.telerama.fr/livre/vols-de-plumes-dans-l-edition,31809.php#xtor=RSS-18

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