dimanche 13 juillet 2008

Cormac McCarthy : la route

Livre de chevet
Science-fiction
L'apocalypse a eu lieu.
Le monde est dévasté, couvert de cendres.
Un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites et de vieilles couvertures.
Ils sont sur leurs gardes car le danger peut surgir à tout moment. Ils affrontent la pluie, la neige, le froid.
Et ce qui reste d'une humanité retournée à la barbarie.
Cormac McCarthy raconte leur odyssée dans ce récit dépouillé à l'extrême.
Prix Pulitzer 2007, La Route s'est vendu à plus de deux millions d'exemplaires aux États-Unis.



Cormac McCarthy en route vers l'apocalypse
Par Hubert Artus Rue89 03/01/2008 13H30




Quelques mois après "Un homme", de Philip Roth -autre géant vivant des lettres yankee-, Cormac McCarthy propose lui aussi une réflexion sur la mort. Et, un an après avoir revisité le western ("Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme"), revisite le roman apocalyptique. Roman le plus étrange de son auteur, "La Route" obtint le Pulitzer 2007. Et est le premier coup de coeur du Cabinet de lecture en cette rentrée 2008.

Depuis
la disparition de Norman Mailer, Philip Roth et Cormac McCarthy sont -avec Thomas Pynchon- les derniers géants de leur génération.
Deux écrivains reclus, introuvables, quasi impossibles à interviewer. Aussi, en juin, quand le dernier accepta l’invitation télévisée d’Oprah Winfrey, ce fut le tonnerre. C’est que le roman venait de recevoir le Prix Pulitzer 2007. Quelques semaines auparavant, les frères Coen avaient projeté à Cannes l’adaptation de "Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme".

Ainsi, après une décennie de silence, l’auteur du capital "Méridien de sang" (1985) refaisait donc bel et bien surface. Et montrait à quel point ses fictions étaient utiles.
Le monde d’hier, le monde de demain: un roman de transition

"La Route" est un vrai roman de transition. Idéal pour passer d’un monde à l’autre. Les ombres y sont aussi vivantes que les hommes, et on ne sait pas où on est.

Nous voici dans un pays où les cendres fument encore, un pays que vient de traverser une tragédie (laquelle? nous ne saurons jamais). Ne subsistent que des routes, des ruines, des palissades, des restes d’incendies.

Un homme et son petit garçon semblent être seuls survivants de la tragédie. En pleine apocalypse, ils marchent, avancent vers les côtes du Sud. Ils poussent un caddie orné d’un rétroviseur chromé, où est stocké le strict nécessaire. Ils croisent nombres de cadavres, de ruines, de carcasses. Tel un prédateur, le père quête les conserves pourries et les ramène comme nourriture à son fils. Le parcours est lent, très lent, dans la peur, la pluie, le vent, la neige, la nuit.

L’un comme l’autre vivent surtout la peur au ventre. Peur de la mort, certes, mais aussi peur d’eux-mêmes: quand l’adulte voit son reflet dans la glace, son premier réflexe est de pointer le revolver. Les dialogues sont rares. Ils matérialisent trop la peur. Et pour survivre ici, il faut marcher. Ils croiseront quelques "survivants", êtres non-définis d'un monde en recomposition.

C’est que le couple est pisté. Sont-ils les derniers hommes du monde connu? L’existence même de l'enfant devient une énigme: il est le futur incarné… Mais il reste quelques autres hommes qui ont survécu. Rares. Peut-être notre duo est-il, seulement, le dernier spécimen de "gentils", de "ceux qui portent le feu". Aussi doivent-ils échapper aux pillards.

Roman réaliste et new age
Dans "Le Méridien de sang", dans "Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme" -deux westerns-, comme dans ce dernier livre, McCarthy revisite des genres littéraires. Dans ces derniers -polar, western, SF-, il est souvent question de la fin d’un homme, de la fin d’un monde. D’une civilisation. Le genre a ceci de particulier qu’il angle, qu’il métaphorise. Qu’il offre la matière et l’anti-matière.

“La Route” est comme une métaphore plurielle. Globale. A l’heure où, allongement de la durée de vie et clonage faisant, l’homme a un rapport de moins en moins rationnel à sa vie et à sa mort, le livre de McCarthy agit comme le roman d’une autre rationalité. D’un monde où l’homme n’est plus seul, mais où il n’a pas conscience de ce qui l’accompagne. Il n’a plus conscience que de sa survie.

Ici, le père "ne savait qu’une chose, que l’enfant était son garant. Il dit: 'S’il n’est pas la parole de Dieu, Dieu n’a jamais parlé'". Ici, les survivants sont "assis au bord de la route comme des aéronautes en détresse".

McCarthy, dans son style toujours très resserré, allie roman réaliste et récit new age. Un livre narratif et puissamment philosophique. Qui unit le défini et l’indéfini: ici, peu de faits, peu d’histoire, seulement le souffle pur de ce qui fait survivre.

De McCarthy à Spielberg en passant par les Pink Floyd

Cela donne un livre où les deux garçons semblent fuir leur propre mort comme leur propre vie. Où tout ce qu’ils croisent (objet comme signe comme homme) semble symboliser la mort. En lisant "La Route" on pense beaucoup à
"Duel", le premier téléfilm de Spielberg (1975), à cette course à la mort entre la voiture et le titanesque camion.

En lisant "La Route", on se dit que "Wish you were here", l’album de Pink Floyd sortit la même année que "Duel" -l’album de "Welcome to the Machine" et de "Shine on you Crazy Diamond", l’hommage à Syd Barrett- a trouvé son histoire.

"La Route" se lira avec "Un homme" de Roth, paru en France à l’automne. Deux auteurs qui n’avaient jamais si profondément évoqué la mort. Roth est un urbain, et "Un homme" est un livre psychologique. McCarthy est un nomade, et ses romans sont des romans d’espaces.

Le souffle et la perspective qu’on trouve dans la dernière partie de "La Route" est titanesque. C'est le roman le plus dépouillé de McCarthy, un vrai roman car il est un espace-temps.

► La Route de Cormac McCarthy - trad. François Hirsch - éd. L’Olivier - 256p., 21€.
L’avant-dernier roman de Cormac McCarthy, "Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme" ressort en format poche en ce début d’année (Points/Seuil, 300p., 7€).
L’adaptation cinématographique, signée par les frères Coen et interprétée par Tommy Lee Jones, Woddy Harrelson et Javier Bardem sortira en salles le 6 février
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Note :
On en a tellement parlé... que je me suis laissé convraincre de le lire... bien que pas très fan de SF... donc, je commence ce soir !

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