Bientôt, la rentrée littéraire.
L’avalanche de livres a déjà commencé sous forme d’épreuves, parfois dans les deux sens du mot.
On ne plaindra pas les critiques car il est pire fléau que d’être obligé de lire un crayon à la main, mais tout de même, l’exercice est souvent accablant. Il est peu de rituel de la vie culturelle française aussi figé que la rentrée littéraire.
Toujours les mêmes questions, toujours la même absence de réponses, mais ça n’empêche pas de recommencer l’année suivante.
Quels thèmes se dégagent ?
Quels sont les transferts d’une maison à l’autre ?
Qui sont les favoris du Goncourt ?
Quels animateurs réanimeront des émissions inanimées pour des chaînes de télévision qui ont encore (un peu) honte de se débarrasser complètement du boulet des programmes culturels ?
Et d’abord combien y aura-t-il de nouveaux romans ? 547 ? 621 ? 683 ?
Tous comptes faits, 676. Peu importe diront certains, persuadés qu’on publie trop, sans jamais préciser selon quel critère quantitatif il convient de juger que c’est assez.
Les mêmes jugent généralement que la rentrée est encore plus médiocre que l’année précédente.
Or une rentrée littéraire en France n’est jamais médiocre : d’abord parce qu’on trouve toujours des pépites à la surface du tamis, manuscrits inattendus d’auteurs inconnus ; ensuite parce que nos éditeurs traduisent tellement et tous azimuts que leur rentrée étrangère (210 romans traduits pour cette rentrée 2008) est toujours riche et de qualité : par définition, le filtre a agi puisqu’ils ont puisé dans le meilleur qui a déjà été lu, publié, critiqué, encensé et lauré un peu partout dans le monde.
Sauf à penser que la littérature mondiale est nulle depuis quelques années, mais ce genre d’affirmation renseigne surtout sur les problèmes personnels de celui qui l’énonce.
Il existe toutefois un phénomène récurrent que l’on tait avec constance. Non qu’il soit tabou, mais il gêne. Car le fait est que la critique se consacrant à quelques dizaines de titres en raison de la place qui lui est accordée dans les médias, d’une vraie absence de curiosité et d’une panurgique paresse intellectuelle, l’immense majorité des livres publiés à la rentrée n’auront pas le moindre écho.
On le sait par avance mais on les publie tout de même, sait-on jamais. La plupart n’auront rien du tout.
Pas un article, pas la moindre mention sur les ondes, même pas pour en dire du mal, rien.
Une indifférence plus mortelle que la méchanceté.
Pour l’auteur, c’est comme si son livre était considéré comme nul et non avenu. Il est paru, on l’a parfois trouvé en librairie mais comme il n’a pas laissé de traces visibles, c’est comme s’il n’avait pas existé.
N’allez pas croire que cette infortune ne touche que les inconnus, les exclus du système, les sans-grade et sans réseaux. Nous connaissons d’excellents journalistes, occupant des postes de responsabilité parfois même au centre de la nébuleuse culturelle, et dont le roman, publié chez tel ou tel prestigieux éditeur de littérature générale, n’a pas suscité une seule ligne de commentaire. Comme si on refusait de les adouber. De quoi paralyser leur plume durablement.
En les rendant tous égaux sur ce plan-là, cette justice dans l’injustice ne consolera ni les uns ni les autres.
Comment ne pas songer au temps où Claude Michelet, cultivateur et romancier à grand succès, menaçait son éditeur Robert Laffont de le quitter s’il ne le faisait pas enfin inviter à Apostrophes : ne l’y ayant jamais vu, ses voisins doutaient de sa qualité d’écrivain…
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(Dessin de Saul Steinberg) *
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