vendredi 18 septembre 2009

Vos suggestions de lectures par temps d'épidémie

Pas très en avance pour lire la presse...
je commence comme d'habitude par le Monde...et un article séduisant...
.
illustration : "la liseuse" de Zoé Hadley
.
Après avoir interrogé le rapport entre littérature et épidémies, Le Monde.fr a demandé à ses lecteurs d'envoyer leurs suggestions d'œuvres de fiction traitant de ce thème et d'expliquer en quoi ces ouvrages éclairaient notre compréhension des réactions humaines en temps d'épidémie.
.
Voici les recommandations des internautes.
*
La Guerre du Péloponnèse (Ve siècle avant J.-C.), de Thucydide
.
Danièle Achach : Ce texte fondateur a nourri toute la lignée d'écrivains et romanciers qui depuis l'Antiquité ont construit une œuvre autour d'une épidémie : Lucrèce,
.
Manzoni avec Les Fiancés,
.
Thomas Mann avec Mort à Venise,
.
Giono,
.
Camus, etc.
.
Ce texte marque d'abord le lecteur par la précision et la cruauté du tableau clinique de la peste d'Athènes, dont l'horreur est rendue par une technique quasi cinématographique (descriptions de plans d'ensemble, gros plans).
.
Il rend aussi remarquablement le caractère exponentiel de la diffusion de l'épidémie, décrivant d'abord des cas isolés, bien identifiables, puis de plus en plus de cas, encore distincts, avant de passer enfin à des "statistiques".
.
Mais ce que ce texte révèle surtout, ce sont les effets sur les esprits et les comportements du climat moral créé par la peste et la terreur collective qu'elle suscite : "ensauvagement" de la population qui oublie le respect dû aux morts, qui ne sait plus se projeter dans l'avenir et se vautre dans la jouissance présente, qui puise dans les rumeurs la source d'un climat de haine et de stigmatisation de certains groupes sociaux.
.
C'est aussi le retour de la "pensée magique" : l'épidémie est vue par le plus grand nombre comme une punition collective envoyée par les dieux, comme la sanction d'une prophétie non respectée.
.
On n'est pas loin, tout comme chez La Fontaine ou Sophocle, du thème du coupable qu'il faut sacrifier pour apaiser cette colère divine.
.
Journal de l'année de la peste (1722), de
Daniel Defoe
.
C. Zythumz : Ce texte – un roman en fait, et non un journal, puisque Defoe, né en 1660, n'a que cinq ans quand la peste sévit à Londres –, a servi de matrice à bien des ouvrages traitant de la peste (Camus en particulier).
.
Remarquable pour l'époque dans sa forme – une enquête à l'aide d'archives –, soucieux de tendre à une forme d'objectivité journalistique dans le meilleur sens du terme.
.
J'ai souvent convié mes interlocuteurs à lire cet ouvrage en le comparant à ce que les journaux – y compris Le Monde – ont écrit depuis que le sida fait des ravages. Defoe était vraiment un grand précurseur.
.
Voyez en particulier comment il explique la désagrégation du tissu social des bourgades rurales avec l'approche de la maladie, ou comment les riches et les puissants se débrouillent pour éviter la maladie tandis que les gens modestes dégustent…
.
C'est exactement ce que nombre d'articles signalent à propos des sociétés africaines aujourd'hui.
.
Gilles Sniatecki : Par l'auteur du célèbre Robinson Crusoë, un témoignage-reportage sur la peste qui décima la population londonienne au XVIIe siècle. Aux ravages de l'épidémie s'ajoutent la gangrène des rumeurs et la recherche de boucs émissaires. A prescrire de toute urgence et à méditer !
.
Le Hussard sur le toit (1951), de
Jean Giono
.
Mathilde Carron : Un jeune militaire italien fuit le Piémont et se retrouve en Provence, au plus fort d'une épidémie de choléra. Il y fait la rencontre d'une jeune femme avec laquelle il va traverser cette épidémie.
.
Le livre présente d'une part cette rencontre amoureuse, et de l'autre les ravages d'une maladie, au plus fort d'une épidémie meurtrière, et les réactions humaines qu'elle provoque (peur, suspicion, haine, égoïsme, etc.).
.
Lune Riboni : J'ai lu Le Hussard il y a quelques années, dans le métro pour être exact, et je vous déconseille expressément de le lire dans un lieu public… Le Hussard est un livre dur, puissant, qui a très peu à voir avec le romantisme du film de Jean-Paul Rappeneau.
.
Tous les angles sombres de l'homme sont observés, répertoriés, sans aucune pitié ni complaisance. Il y a celui qui jette le corps de son père sur le perron, oubliant déjà d'où vient son nom ; celui qui cherche les causes du choléra dans les nuages puis dans les fontaines, laissant libre court à la folie et à la haine. Il y a bien peu de solidarité dans cette France du début du siècle.
.
Et quand un village tout entier sort de ses murs pour rejoindre la campagne, il faut à peine quelques semaines pour que chacun reprenne sa place, ou sa classe. Pas d'échappatoire possible donc. Jean Giono nous fais sentir l'angoisse, l'horreur et l'odeur. Heureusement, l'espoir pointe, quelques personnages généreux et vertueux rappellent que tout n'est pas perdu.
.
Bernadette Couturier : Cette lecture m'a marquée car j'ai le souvenir d'une hécatombe que l'on n'arrive plus à maîtriser ! Les humains restent tels que la vie les a modelés… Chacun réagit en fonction de ce qu'il est avec plus ou moins de sensibilité !
.
Rhinocéros (1959), d'
Eugène Ionesco
.
Clément Mignet : La "rhinocérite" se développe et des réactions, absurdes pour la plupart, fusent. L'interprétation exacte de ce roman est la dénonciation des régimes totalitaires, retranscrits ici sous la forme d'une maladie.
.
Les réactions sont celles d'hommes menacés par une "machination infâme", les personnages prennent des risques pour rester avec leurs proches bien que leur mutation devienne critique.
.
Puis vient la fatalité : "L'humanisme est périmé ! Vous êtes un vieux sentimental ridicule." Ce livre, bien qu'étant éloigné de l'épidémie classique, met en avant les réactions téméraires et périlleuses des individus face à une maladie.
.
Le fléau de
Stephen King
.
Vincent Chabrier : Des militaires manipulent des virus jusqu'à ce qu'un malencontreux accident permette au plus dangereux d'entre eux de s'échapper.
.
Les personnages du roman sont nombreux et ont des personnalités suffisamment bien choisies pour illustrer la réorganisation d'une société touchée par un tel phénomène.
.
On a une femme enceinte (renaissance d'une nouvelle société), le sourd muet au grand cœur (l'"élu" ne parle pas, n'entend pas. Une antithèse du politicien ? Un prophète ?), un leader charismatique, un héros malgré lui…
.
Tous ces personnages vont se regrouper petit à petit en deux camps : le bien et le mal, Dieu et le diable. Avant que cette métaphore religieuse vienne enrichir (ou pourrir, selon le point de vue) l'histoire, l'auteur décrit avec minutie le cheminement de ces personnages vers la constitution des deux blocs (Est-Ouest).
.
Beaucoup de questions sur les réactions humaines en temps d'épidémie sont soulevées et des éléments de réponse sont apportés : - comment réagir lorsque l'on soupçonne qu'il se passe quelque chose de grave, que l'on nous ment ? - pourquoi les hommes cherchent-ils à se regrouper quand tout le monde meurt autour d'eux ? - comment se comportent les gens au sein d'un nouveau groupe qui lutte pour sa survie ? - comment se comportent deux groupes qui se rencontrent ?
.
A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie (1993), d'
Hervé Guibert
.
Alexandre Rosa : Avoir le virus du sida dans les années 1980 et 1990 signifiait un arrêt de mort. Les premières lignes d'A l'ami étaient fondées sur le déni – ou sur un fait magique : "J'ai eu le sida pendant trois mois."
.
Dix-huit ans après, le monde rêve toujours d'une maladie qu'on pourrait juste "avoir", pour en guérir, c'est-à-dire la "perdre" définitivement.
.
Ce qu'il y a de bouleversant, c'est qu'à cette époque les lecteurs savaient que cela serait impossible, que personne ne survivrait au sida et que l'auteur de ce roman rejoignait une facette enfantine de la vie : la croyance. Le narrateur croit en ses amis, croit qu'une cure est possible et davantage encore : qu'il sera le seul survivant.
.
Tout dans ce livre est une défaite, y compris ce qui est annoncé dans le titre, la trahison par un ami qui, finalement, n'a pas sauvé la vie du narrateur. A l'époque de sa sortie, l'énorme succès de ce roman d'Hervé Guibert annonçait tout simplement les années people à venir, dans lesquelles on vit et on meurt devant un public souvent désarmé pour comprendre l'œuvre de celui ou celle qui s'abandonne devant les caméras pour exposer son malheur.
.
Un public en soif de sang puisqu'il souffre, lui aussi, de la misère quotidienne, de ce qu'il ne peut pas avoir et n'aura jamais. Peut-être ont-ils acheté A l'ami pour y lire l'anéantissement d'un très beau jeune homme et ont fini par rater celui d'un écrivain.
.
Le Neuvième Jour (1994), d'
Hervé Bazin
.
Nancy Feytout : Vous avez dit "grippe" ? C'est précisement ce dont il est question dans ce roman (un des derniers du regretté Hervé Bazin) : une pandémie de "surgrippe" qui part de l'Inde et s'étend sur la surface du globe à la vitese des avions.
.
Tout y est : le battage médiatique, les vieux réflexes – repli sur soi, stockage des denrées – et les nouveaux, comme la discrimination à l'embauche en faveur des guéris, sans oublier la description hyperréaliste du travail de recherche dans un laboratoire de haute sécurité et les étapes à franchir pour la fabrication du vaccin. C'est fascinant, tout en restant compréhensible pour les profanes.
.
Bien sûr, il y a aussi l'histoire personnelle du narrateur, où les fans retrouveront quelques-uns des thèmes chers à l'auteur (la gémellité, l'astronomie, le lien familial…). C'est riche, documenté, bien écrit (dans le style impeccable et si particulier de Bazin) et tellement réaliste qu'on est convaincu que si cela n'est pas déjà arrivé cela ne peut être qu'imminent.
.
Quelques mots sur la fin : l'effet de surprise a été total en ce qui me concerne lors de la première lecture. Depuis je ne peux m'empêcher de m'interroger, de douter et d'avoir peur.
.
La Quarantaine (1995), de Jean-Marie Le Clézio
.
Catherine Mary : A la fin du XIXe siècle, deux frères, Léon et Antoine, embarquent depuis Marseille pour l'île Maurice à bord du navire Ava, en compagnie de Suzanne, la femme d'Antoine.
.
Lors du voyage, le commandant fait escale à Zanzibar, puis, avant l'arrivée prévue à Maurice, sur l'île de Plate. L'escale dure.
.
Des rumeurs se propagent au sujet de passagers embarqués à Zanzibar, infectés par la variole. La quarantaine se prolonge et la peur de la contagion s'installe sournoisement parmi les passagers de l'Ava.
J'ai beaucoup écrit sur la préparation à la pandémie au cours de ces dernières années, notamment sur les modèles mathématiques simulant les mesures pour contenir la diffusion du virus grippal.
.
De ce point de vue, le roman de Jean-Marie Le Clézio décrit bien les mesures employées jusqu'à il y a peu de temps, visant à isoler les malades contagieux, les épidémies. Les îles du Frioul, au large de Marseille, servaient par exemple de quarantaine pour les navires suspects.
.
Ce roman évoque la confusion au sujet des réglementations et des conduites à suivre. Il nous rappelle aussi à quel point la variole, qui défigurait et tuait, était présente dans les imaginaires.
.
L'Aveuglement (1995), de Saramago
.
Brigitte Falga : Cet essai philosophique, qui traite des réactions humaines ou inhumaines au moment où tout un pays devient aveugle, sauf la femme du héros, est très révélateur en ce qui concerne les bassesses des hommes mais aussi la solidarité qui finit par les gagner.
.
Médée : voix (1996), de
Christa Wolf
.
Emilie Lay : Dans un récit à plusieurs voix, Christa Wolf revisite le mythe de Médée, recréant un personnage profondément humain, une guérisseuse.
.
Mais Médée demeure l'étrangère, la "barbare". A Corinthe, on lui attribue tous les malheurs, tous les maux inexpliqués, et quand la peste s'abat sur la cité, les Corinthiens font d'elle un bouc émissaire.
.
Aux prises avec la peur de la maladie, on devient fou et on s'unit dans la désignation d'un coupable qui est presque toujours l'étranger, le nouveau venu, l'autre ; et après avoir banni Médée, les habitants de la cité dans leur folie finissent par massacrer ses enfants.
.
Pars vite et reviens tard (2001), de
Fred Vargas
.
Jean-Pierre Palacin : Ce polar paru en 2001 est inracontable, à la fois par la complexité de l'action et aussi pour ne pas "éclairer" ceux qui ne l'auraient pas lu.
.
On peut quand même dire qu'il traite du retour de la peste à Paris à l'époque actuelle, sous la plume de la talentueuse historienne-auteure de polars.
.
Le livre a obtenu plusieurs récompenses, méritées, et a été adapté au cinéma par Régis Wargnier. La peste comme cadre, comme grande peur et comme allégorie est une vraie trouvaille pour donner la frousse et permettre au commissaire Adamsberg de montrer son savoir-faire.
.
je rajouterai :
L'Amour aux temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez
.
La maladie de la mort de Marguerite Duras
.
en fait non... si j'étais malade je lirai tout et n'importe quoi, mais surtout pas un livre sur la maladie !





3 commentaires:

Ale-Mot-a-Mots a dit…

Je crois que j'aurai fait les mêmes choix !

mazel a dit…

moi non plus... Vargas, King, probablement... Cook, surement...
lorsque je suis malade, pas vraiment envie de lire sur la maladie... mais plutôt du polar et autres, de quoi se changer les idées...

bonne journée
bises

Cécile Qd9 a dit…

L'aveuglement fait partie de mes envies depuis plus d'un an...