vendredi 27 juin 2008

Arnaldur Indridason et le commissaire Erlendur

polar...

Les confirmés

«Je m'intéresse aux disparus mais aussi à ceux qui sont restés seuls et n'attendent plus rien», précise l'Islandais Arnaldur Indridason.
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La perte, les traces sont les thèmes essentiels de ses livres, depuis La cité des Jarres, son premier roman, traduit en français, jusqu'à cet Homme du lac qui mêle faits historiques et présent social.
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Dans le lac Kleifarvatn, un squelette est retrouvé dans la vase. Le commissaire Erlendur va diriger son enquête vers les années 1960.
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A cette époque de la guerre froide, des étudiants islandais appartenant aux jeunesses socialistes étaient envoyés en Allemagne. *
Peu à peu, le policier découvre les conditions de vie de ces jeunes idéalistes confrontés à la Stasi.
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Cette aventure d'espionnage est finalement très intimiste. Car c'est la figure du commissaire qui se précise: la disparition de son frère lorsqu'ils étaient enfants, sa culpabilité qui le pousse à choisir le métier d'enquêteur.
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Parallèlement, le lecteur comprend mieux le système judiciaire islandais, son histoire, sa société qui n'a plus rien d'idyllique. Arnaldur Indridason prend son temps pour développer ses intrigues, mais cette lenteur est à l'image d'un pays rugueux où la nature est rarement amicale. Tout comme son héros, Erlendur, un policier taciturne «qui ne se retrouve pas dans le présent et vit dans le passé». C.F.
***L'homme du lac (Kleifarvatn), traduit de l'islandais par Eric Boury, 350 p., Métaillé, 19 euros
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courte biographie
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Romancier à succès, maître du polar en
Islande, Arnaldur Indridason est diplômé en histoire, journaliste et critique de cinéma.
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Il est l'auteur d'une demi-douzaine de romans noirs, dont plusieurs sont des best-sellers internationaux, en particulier en Allemagne et au Royaume-Uni.
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Créateur de l'inspecteur Erlendur, flic taciturne, adepte des surgelés et des vieux costumes fripés, Arnaldur Indridason lui fait poursuivre ses enquêtes à travers ses romans comme 'La Cité des jarres', 'Nordermoor' ou 'La Femme en vert'. En 2007, paraissent 'L' Homme du lac' et 'La Voix', dans lequel le fameux inspecteur nordique doit résoudre l'assassinat du père Noël...
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La voix
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Mauvaise publicité pour l'hôtel de luxe envahi par les touristes ! Le pantalon sur les chevilles, le Père Noël est retrouvé assassiné dans un sordide cagibi juste avant le traditionnel goûter d'enfants.
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La direction impose la discrétion, mais le commissaire Erlendur Sveinsson ne l'entend pas de cette oreille.
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Déprimé, assailli par des souvenirs d'enfance douloureux, il s'installe dans l'hôtel et en fouille obstinément les moindres recoins...
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La femme en vert
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Dans un jardin sur les hauteurs de Reykjavik, un bébé mâchouille un objet étrange... Un os humain !
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Enterré sur cette colline depuis un demi-siècle, le squelette mystérieux livre peu d'indices au commissaire Erlendur.
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L'enquête remonte jusqu'à la famille qui vivait là pendant la Seconde Guerre mondiale, mettant au jour les traces effacées par la neige, les cris étouffés sous la glace d'une Islande sombre et fantomatique...
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La Cité des Jarres
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Un nouveau cadavre est retrouvé à Reykjavik.
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L'inspecteur Erlendur est de mauvaise humeur : encore un de ces meurtres typiquement islandais, un " truc bête et méchant "qui fait perdre son temps à la police...
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Des photos pornographiques retrouvées chez la victime révèlent une affaire vieille de quarante ans.
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Et le conduisent tout droit à la " cité des Jarres ", une abominable collection de bocaux renfermant des organes...
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L'homme du lac
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En juin 2000, un tremblement de terre provoque un changement du niveau des eaux du lac de Kleifarvatn et découvre un squelette lesté par un émetteur radio portant des inscriptions en caractères cyrilliques à demi effacées.
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Le commissaire Erlendur et son équipe s'intéressent alors aux disparitions non élucidées dans les années 60, ce qui conduit l'enquête vers les ambassades des pays de l'ex-bloc communiste et les étudiants islandais des jeunesses socialistes boursiers en Allemagne de l'Est, pendant la guerre froide.
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Tous ces jeunes gens sont revenus du pays frère brisés par la découverte de l'absurdité d'un système qui, pour faire le bonheur du peuple, jugeait nécessaire de le surveiller constamment.
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Erlendur, séduit par un indice peu commun, une Ford Falcon des années 60, et ému par l'amour fidèle d'une crémière abandonnée, s'obstinera à remonter la piste de l'homme du lac dont il finira par découvrir le terrible secret. Indridason nous raconte une magnifique histoire d'amour victime de la cruauté de l'Histoire, sans jamais sombrer dans le pathos. L'écriture, tout en retenue, rend la tragédie d'autant plus poignante.
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Au sujet de « la voix »
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Un Père Noël est retrouvé assassiné, pantalon sur les chevilles, dans le sous-sol d'un grand hôtel de Reykjavík. Pourtant portier de l'établissement depuis plus de vingt ans, l'homme - comme s'il n'avait jamais existé -, est un mystère pour son entourage professionnel.
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Troisième livre d'Indriðason à être publié en France, La voix est le premier à bénéficier d'une relative accalmie dans la très tumultueuse relation qui unit l'enquêteur Erlendur Sveinsson à sa fille Eva Lind.
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Du coup, le motif policier (cannibalisé par la violence père-fille dans le premier roman La cité des Jarres, pratiquement et volontairement inexistant dans le second La femme en vert) est beaucoup plus visible et lisible, dans toute son originalité mais aussi toute la banalité de l'enquête.
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Il y a toujours au moins trois niveaux de lecture dans les livres d'Indriðason.
L'affaire criminelle proprement dite, ce qu'elle révèle de l'Islande et des Islandais et, enfin, la façon dont tout ceci nourrit le personnage principal. Fil rouge de l'œuvre, Erlendur pourrait n'être qu'un enquêteur dépressif de plus mais chaque roman est l'occasion de le faire entrer en résonnance avec ses vérités cachées, qui se révèlent être également celles de ses contemporains.
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La question de la filiation et des responsabilités en découlant irriguaient La cité des Jarres, les dramatiques retrouvailles et l'impossible dialogue entre le père et la fille. Le travail de mémoire et la "nécessité du dire" vertébraient La femme en vert et le monologue d'Erlendur au chevet d'une Eva Lind dans le coma.
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Le "rapport au père" domine toute l'histoire de ce portier qui va, progressivement, passer du néant des mémoires (toujours fondamentales chez notre auteur) à une forme humaine et être enfin nommé : Gudlaugur.
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La deuxième affaire évoquée (la maltraitance d'un enfant suivie par Elinborg) souligne encore plus, en un très habile contrepoint, cette thématique qui va pousser Erlendur à livrer à sa fille ses propres souvenirs, enchassés dans le glacis d'une mémoire sélectivement oublieuse.
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Gudlaugur et Erlendur portent en eux la terrible culpabilité d'avoir failli aux attentes d'un père. Le sentiment de n'avoir pas été un bon fils a structuré leur personnalité et contribué à créer le désert de leur solitude actuelle.
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On devine qu'il en serait de même pour cet enfant battu, pris au piège d'un amour qui l'oblige à condamner l'un de ses parents pour ne pas dénoncer l'autre et qui ne possède comme clé de son secret que le message que son père lui manque.
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C'était aussi celui de Gulli, la victime revenant la nuit dans la maison familiale interdite, et de notre Erlendur, subissant douloureusement le changement d'attitude paternel à la disparition de son frère.
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Et c'est sans doute l'origine du feu qui dévore Eva Lind, qui la pousse dans ses conduites suicidaires et qui gouverne cette violence tournée d'abord vers elle-même. Comment grandir avec cette déception et le rejet qui en découle, comment ne pas étendre son dégoût de soi aux autres, aux proches et donc leur tourner le dos pour ne pas les salir ?
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Ce roman ne bénéficie pas de la narration très épurée, de cet équilibre entre légèreté et drame qu'avait trouvé Arnaldur Indriðason pour La femme en vert.
Mais La voix est à mon sens un livre beaucoup plus complexe et intéressant, parce que les différents niveaux de lecture évoqués s'assemblent dans une polyphonie parfaite pour conduire au dialogue entre Erlendur et Eva, qui seul peut prévaloir entre un père et son enfant, en dépit de tout.
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La naissance de ce lien, adulte, unique et douloureux entre Erlendur et Eva Lind est une expérience passionnante pour le lecteur, qui dépasse de loin les sentes ordinaires du roman criminel.
Gagnant en densité et en humanité à chaque opus sans abandonner ce ton rogue qui lui permet de dire tout le mal qu'il pense de ses contemporains, le personnage d'Erlendur Sveinsson est, pour l'instant, une très grande réussite. -
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Source de cet article : http://polars.cottet.org/lec2/indridason01.htm. A mon avis, l'un des meilleurs sinon le meilleur site concernant la littérature nordique.
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Note :
Espérons que bientôt un nouveau livre paraîtra... sinon je risque d'être en manque.
Très bons polars... mais j'ai un faible pour ces auteurs venus du froid...

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