En lisant "L'amant sans domicile fixe" de Carlo Fruttero et Franco Lucentini
Comment ai-je pu faire pour ne pas voir dès le début qu'il s'agissait de cette légende ?
Pas faute de l'avoir déjà abordée, ne serais-ce que par Eugène Sue (il y a fort longtemps) mais plus récemment par le biais de Jean d'Ormesson... qui se passe d'ailleurs également à Venise...
Sans compter le prénom donné au personnage principal.
Le personnage ne pouvait pas perdre la vie, car il avait perdu la mort : il erre donc dans le monde entier et se fait voir de temps en temps.
En
À la naissance du mythe…
Le mythe du juif errant trouve son origine dans la crucifixion du Christ : chancelant sous le poids de sa croix, ce dernier se voit refuser l'aide d'un cordonnier, spectateur passif de la scène qui lui crache dessus avec mépris.
Cet artisan se voit alors infliger la sentence cruelle de l'errance éternelle, synonyme de mise au ban de toute communauté humaine. Ainsi, il devra parcourir les continents en quête d'un salut que son manque de pitié, son mépris et sa lacheté lui ont fait perdre à jamais.
Quelle est la signification de l'errance du juif ? Cette errance a deux valeurs :
l'une historique, qui se prolonge dans un temps et un espace réel, à mettre en relation avec la chute du
l'autre, de fait : l'errance est le signe d'une faute, libre aux auditeurs de déchiffrer ce message et de considérer le personnage comme un imposteur, un traître dont on doit se moquer et qu'il faut rejeter.
Symbolique de l'errance pour le juif
Une douleur naît de cette errance et de ce sentiment d'être enfermé dans une condition intrinsèque. La nature de l'errance est alors bouleversée et il incombe de se focaliser uniquement sur son point de départ et sur son aboutissement. Autrement dit, pour le juif, il devient primordial de retrouver sa patrie et de rompre ainsi avec la malédiction.
Le juif errant rejeté par toutes les nations.Dessin paru dans le magazine satirique américain Puck en 1901.
Le juif errant rejeté par toutes les nations.Dessin paru dans le magazine satirique américain Puck en 1901.
Avec l'instauration du statut de citoyen pour les juifs sous Napoléon Ier et a fortiori avec la création de l'État d'Israël en 1948, l'errance semble finir. Aujourd'hui, la figure du juif errant est donc plus historique et rhétorique qu'effective et réelle.
Établissement du mythe : de l'opuscule au récit populaire
Au XVIe siècle, le mythe du juif errant se voit immortalisé dans un petit opuscule allemand au travers d'un personnage modeste, mais extraordinaire, d'un simple cordonnier juif, nommé Ahasvérus, qui prétend avoir assisté à la crucifixion du Christ.
Ce récit connaît un succès populaire foudroyant et constitue un phénomène déconcertant. Ce succès immédiat nous renvoie au besoin vital du peuple de mythologie, dernier rempart contre les forces hostiles qui le menacent.
Dans chaque catastrophe, événements terribles ou prodiges qui surviennent, l'homme de la ville aussi bien que celui de la campagne a besoin de comprendre pourquoi se manifeste la puissance divine ; ce mythe lui fournit une explication satisfaisante.
Ainsi, la responsabilité des juifs devient évidente car leur crime est fondateur.
Toutes sortes de forfaits et de machinations diaboliques leur sont imputés par des relais populaires (les canards), qui ne manquent pas une occasion de perpétuer de vieilles calomnies médiévales : sacrifices vivants de chrétiens, profanation d'hosties, empoisonnement de ressources, etc. Dès lors, s'il survient quelque cataclysme inexplicable, la foule les impute à la race maudite, sur laquelle les auteurs occasionnels lancent l'anathème.
Déjà accusés d'être un peuple déicide, les juifs accumulent donc une double responsabilité dans la mort du Christ ; ces preuves infondées constituent autant de crimes impardonnables. Le juif errant, haï partout puisque de nulle part, devient alors le symbole d'un mal incompris selon la théorie du bouc émissaire.
C'est ainsi que la littérature trouvera dans ce mythe intemporel une figure récurrente que l'usage populaire a rendu accessible à tous.
Influence dans la littérature
Le mythe du juif errant est relayé durant de nombreux siècles par les hommes de lettres. De nombreux ouvrages écrits dans de nombreuses langues font ainsi référence à ce personnage.
Pour notre étude nous ne retiendrons que quelques ouvrages ; cette sélection non exhaustive cherchant à couvrir l'ensemble des utilisations que l'on a pu faire de ce mythe, plutôt que de chercher à rassembler l'ensemble de ses représentations.
Le thème du juif errant est très actif dans la production littéraire et savante (historienne) autour de l’époque la Monarchie de Juillet, comme en témoignent parmi d’autres les études d’Edgar Quinet, depuis son premier écrit publié, les Tablettes du juif errant (1823) jusqu’à Ahasverus (cf. infra).
Le roman-feuilleton d’Eugène Sue,
Le titre est cependant trompeur puisque ce roman n’est pas véritablement axé sur ce personnage. En effet, il raconte les intrigues menées par les Jésuites pour s’emparer du fabuleux héritage d’un protestant que la Compagnie avait acculé au suicide.
Face à eux, le juif errant et son homologue féminin, Hérodiade, s’efforcent d’être les anges gardiens des héritiers, qui sont en outre leurs derniers descendants.
Mais Sue exploite surtout l’idée de la malédiction qui accompagne le juif errant en faisant coïncider son arrivée à Paris avec l’épidémie de choléra d’avril 1832 qui a fait plus de douze mille victimes (on ignorait encore presque tout sur cette maladie et son mode de propagation).
La violente dénonciation de la Compagnie de Jésus fait suite à l’ouvrage de Jules Michelet et Edgar Quinet, Des Jésuites (1843), qui valut aux auteurs leur révocation.
Le roman de Sue est (entre autres) un réquisitoire contre le fanatisme et l’intolérance religieuse, et se termine sur la fin des souffrances du juif errant et d’Hérodiade
Autres œuvres
Voltaire, dans Candide, fait intervenir un banquier juif du nom de Don Isachar lors du passage du héros en la ville de Lisbonne. Malgré les traits vils de ce personnage, Voltaire dénonce l'horreur de l'Inquisition et des autodafés qui avaient lieu au XVe siècle en Espagne et au Portugal.
Dans le roman
Wells a présenté ainsi une scène de poursuite qui rappelle étrangement le juif errant poussé par le vent, avec le spectre du choléra, sur la colline de Montmartre dans le roman d'Eugène Sue.
À titre indicatif :
Alexandre Arnoux Carnet de route du Juif errant,
Pär Lagerkvist La mort d'Ahasverus et La sybille.
Jean d'Ormesson, dans son Histoire du juif errant, fait de ce personnage mythique un repentant qui se nourrit de la beauté du monde et de ses innombrables souvenirs.
Il confie son secret à un jeune couple en vacances à Venise, leur racontant son influence sur des épisodes historiques majeurs, en fait ses amis et pour finir séduit involontairement la jeune femme.
Le romancier fait du Juif errant un personnage affable, humble et érudit. Pris au piège dans l'espace et le temps, il ne cherche pas la sagesse mais la recueille grâce à sa séculaire expérience.
Ce personnage pourrait être le miroir sans complaisance de l'humanité tout entière, et non seulement d'un peuple.
Glen Berger crée une intrigue autour du juif errant au théâtre à New-york avec Underneath the lintel.
Cette pièce a fait le tour du monde. Adaptation française à partir de janvier 2008 au Théâtre du Lucernaire à Paris.
Place du mythe aujourd'hui ?
Avec la création de l'État d'Israël en 1948 et l'établissement acquis de communautés juives dans les pays occidentaux, le juif errant n'erre plus, ou toutefois, s'il le fait, c'est au rythme de la mondialisation.
Qu'en est-il cependant des attributs de ce personnage ?
D'une part, si le juif errant n'est plus une réalité effective, il demeure une réalité fictive comme le prouve
Dans ce livre, le juif errant fait office de témoin et relate à deux jeunes tourtereaux deux millénaires d'histoire mondiale tourmentée. Des douzaines d'époques et d'histoires s'entrecroisent sans cesse, se mélangent, comme si la mémoire d'Ahasvérus (nom repris dans le livre) déversait subitement pêle-mêle des siècles et des siècles de souvenirs.
On le rencontre un peu partout, et dans le monde, et dans le temps :
à Rome quelques années plus tard, encore à Rome quelques siècles plus tard assistant à la chute de l'Empire romain (en tant que conseiller d'Alaric),
apprenant d'un homme hindou la plus grande découverte de l'histoire des mathématiques, aimant des femmes, victime de tentatives d'assassinat, etc.
D'autre part, caractérisé par l'avarice, le péché et le Mal, le juif errant apparaissait comme la cause des troubles que subissaient un pays, une région. Cette perception semble dans certains milieux encore enracinée comme le démontre l'historien
Ainsi, même si le juif n'erre plus, il semble à la mode de voir derrière chaque entreprise néfaste la marque d'un complot, en témoigne le nombre de parutions des Protocoles des Sages de Sion (faux antisémite écrit sous l'ère tsariste) qui ne cessent d'être recensées.
source : wikipédia
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