Un prof en colère, par Franck Nouchi
Monsieur Frédéric-Yves Jeannet, "écrivain et professeur de littérature", n'est pas content.
"Le Nobel de Le Clézio, écrivait-il la semaine dernière dans un article publié dans la page Débats du Monde (daté 19-20 octobre), fait rétrograder la littérature française de plusieurs décennies."
Selon M. Jeannet, Le Clézio n'est pas un "grand écrivain". C'est juste, à l'instar d'Amélie Nothomb ou d'Alexandre Jardin, un auteur de best-sellers.
La différence entre un grand écrivain et un petit ?
"C'est bien entendu, écrit M. Jeannet, l'universalité, la rupture novatrice que représente l'écriture du premier, et que ne possède pas le second."
Bien entendu ?
Afin d'expliciter son point de vue, M. Jeannet propose un certain nombre de citations. Proust et son célèbre "Longtemps je me suis couché de bonne heure" : "Une certaine torsion de la syntaxe, un déhanchement, un incongru impromptu, un tremblement signalent le frémissement d'un style et l'acuité d'un regard", écrit notre professeur. Qui ajoute : "Que l'on compare avec – encore au hasard, c'est le seul livre de Le Clézio qui se trouve ici sur un rayonnage accessible – l'incipit de L'Africain (2004) : Tout être humain est le résultat d'un père et d'une mère.
Est-on saisi, bouleversé ?" Formidable procédé !
Deux phrases "au hasard", on compare, et on condamne : "Le Clézio, qui défend le roman contre vents et marées, ferait bien de chercher à comprendre comment un roman est fait."
M. Jeannet considère que seuls Gracq, Sarraute, Simon, Des Forêts, Blanchot, Duras, Butor, Pinget, Cixous, Michon, Ernaux, Bergounioux "et quelques autres" sont de "grands écrivains".
C'est évidemment son droit. A chacun son Panthéon.
Mais lorsque, tout à son élan polémique, il imagine, après un tel mauvais coup, ce qu'est l'appréciation du reste du monde à l'égard de "notre littérature" : "On jugera à l'aune de l'Académie suédoise que ce qu'on a fait de mieux depuis Claude Simon est d'écrire qu'en effet, nous sommes tous le résultat d'un père et d'une mère", on s'interroge : n'en ferait-il pas un peu trop ?
Pourquoi un tel acharnement ?
Auparavant, il avait expliqué que l'Académie suédoise "ne vaut guère mieux que la française". En ce cas, pourquoi se mettre dans un tel état ? A-t-on déjà vu un prix de l'Académie française contesté de la sorte ?
Pauvre M. Jeannet.
Que pourrait-on faire pour l'apaiser ?
Envisager de décerner des prix Nobel à titre posthume afin de rattraper les bourdes du jury suédois ?
Le nommer juré unique de manière à chasser du palmarès tout "best-seller" ?
A ce propos, pourquoi utiliser un anglicisme, forcément péjoratif, pour qualifier un livre qui se vend bien ?
Faut-il comprendre que le talent d'un auteur est inversement proportionnel à son tirage ?
Philip Roth, Patrick Modiano ou encore Bob Dylan doivent-ils renoncer à espérer être un jour récompensés ?
Voici venue la saison des prix littéraires français. Une supplique aux jurés du Goncourt et du Renaudot : n'attribuez pas votre prix au couple infernal de la rentrée, MM. Lévy et Houellebecq, même si leur livre en vaut bien d'autres qui sont sur les listes. Vous allez encore énerver M. Jeannet !
Une question pour finir : qui a écrit "Il suffit de penser qu'il est là pour le voir presque" ? Vous séchez devant pareille platitude ? Eh bien, c'est Joyce. Dans Ulysse (page 240, "au hasard", dans l'édition Folio). -Franck Nouchi
Note :
Ce pauvre Monsieur Jeannet... De quoi passer pour un imbécile auprès de ses étudiants !
Enfin, il l'a bien cherché !
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