mardi 7 octobre 2008

Le Prix Nobel de Littérature échappe à Bernard-Henri Lévy


Lundi s’ouvre à Oslo le bal des prix Nobel 2008, avec en point d’orgue la littérature jeudi et la Paix le lendemain, pour l’apothéose. Les efforts déployés par Bernard-Henri Lévy sur les champs de bataille et surtout dans les médias auront cette année encore été vains pour décrocher la récompense suprême qu’avait dédaignée en 1964 son mentor, Jean-Paul Sartre.

Suprême outrage de l’Académie suédoise, c’est le nom de Jean-Marie Le Clézio qui paraît rencontrer la faveur du collège, au point qu’il se retrouve abondamment cité dans les cercles littéraires du royaume : cette fois, je pense que ce pourrait être Le Clézio, c’est mon intuition, ne cesse de répéter Maria Schottenius, responsable des pages culturelles du plus quotidien de référence Dagens Nyheter.
Les statuts du Nobel parlent de récompenser une œuvre avec des idéaux et les livres de Le Clézio sont pleins d’humanité. Il est à cheval sur plusieurs cultures, l’Amérique latine, l’Afrique, l’Europe.
Tout cela plait beaucoup à l’Académie, a pour sa part déclaré sous le sceau de l’anonymat un éditeur suédois à l’Agence France-Presse. D’autres noms reviennent régulièrement : Adonis, le poète syrien pseudonyme d’Ali Ahmad Saïd, l’Australien Les Murray ou encore l’Américain John Ashberry. Le site de paris en ligne Ladbrokes donne l’essayiste italien Claude Magris comme super favori à 3 contre 1.

Cruelle déception pour notre philosophe national que de se voir cette année encore coiffé au poteau, et cette fois-ci par un compatriote, un obscur ethnologue tout juste bon à alimenter les épreuves du bac blanc en commentaires de texte !
Au moment où le monde de l’édition s’attendait à voir couronné l’un des hérauts de la littérature américaine, celle qui bon an, mal an, vend le plus de livres, Horace Engdhal, Secrétaire perpétuel de l’académie suédoise, provoque en Amérique du Nord l’indignation des spécialistes de littérature : les États-Unis sont trop isolés, ils ne traduisent pas assez et ne participent pas au dialogue des littératures, a-t-il affirmé la semaine dernière.

Le Nobel n’a pas été décerné à un auteur américain depuis 15 ans : Toni Morrison, l’auteur de Beloved, est la dernière à l’avoir obtenu en 1993. Depuis la guerre, 5 autres Américains de langue anglaise avaient reçu cette grande distinction : Saul Bellow en 1976, John Steinbeck en 1962, Ernest Hemingway en 1954, William Faulkner en 1949 et Thomas Stearns Eliot l’année précédente.
David Remnick, journaliste au New Yorker, a d’ailleurs répliqué : si Horace Engdhal était plus attentif à la scène littéraire qu’il vise, il verrait la vitalité dont font part les auteurs comme Roth, Updike, et Don DeLillo, ainsi que des jeunes écrivains qui sont, pour certains, des enfants de l’immigration, et qui écrivent dans leur anglais adopté. Quelle que soit leur génération, aucune de ces pauvres âmes n’a été ravagée par les horreurs du Coca-Cola.

Des choix ambigus pour départager les nobélisables

Pour ce qui concerne la Littérature, un prix Nobel revient statistiquement deux fois à un Anglais, une fois à un Français et une fois à un Américain par décennie…
Les Britanniques ont été particulièrement choyés depuis le début du millénaire, avec 3 lauréats dont le dernier, ou plutôt la dernière, est Doris Lessing en 2007.
En revanche, aucun Américain, aucun écrivain de langue française n’a eu ces 10 dernières années l’honneur de recevoir la récompense. Il y a donc tout lieu de penser que le tour est enfin venu pour que la littérature la plus importante en terme de chiffre d’affaires et d’influence dans le monde des Lettres et des idées soit honorée. Les noms de Philip Roth, Joyce Carol Oates et John Updike sont depuis des années d’ailleurs transmis sur les listes remises à l’Académie.

Moins probable était celui du choix français : il ne fait plus l’ombre d’un doute que la langue de Voltaire n’inspire plus personne, à part peut-être dans l’espace francophone où elle est constamment mise à mal et battue en brèche par celle de Shakespeare, ou plutôt de Stephen King !
Les Français ont donc été royalement ignorés par l’Académie de Suède en près de 25 ans, tant le rôle de leur littérature est mineur, même au sein de la francophonie. C’est pourquoi Bernard-Henri Lévy s’est investi depuis quelques années dans un projet d’ampleur internationale pour offrir la glorieuse timbale à la France. Le plan est remarquablement bien conçu, mais il a encore échoué.

Après la controverse autour de son enquête au sujet de l’assassinat du journaliste Daniel Pearl, il comprend que seule une audience planétaire est susceptible de porter l’attention des membres de l’Académie sur son œuvre, mais il sait déjà que la langue française est en perte de vitesse…
Le succès doit se conquérir sur le terrain où se jouent les réputations mondiales, les États-Unis. Il convainc d’abord la revue Atlantic Monthly et l’éditeur américains Random House de publier un récit de voyage aux États-Unis, construit sur le modèle De la Démocratie en Amérique du fameux Alexis de Tocqueville. American Vertigo paraît en janvier 2006, précédé d’une tournée de conférences dans le pays. C’est est un succès médiatique, au moins en France.

L’auteur est accusé par des éditorialistes d’être un philosophe de comptoir s’exprimant de manière hâtive sur bon nombre de sujets dont il ne maîtrise pas forcément les tenants et les aboutissants, plaquant ses préjugés sur une réalité qu’il ignore, et peu disposé à écouter la critique qu’il rejette de façon systématique et avec véhémence. On lui reproche assez fréquemment de traiter son sujet de manière honteusement subjective, et de masquer des lieux communs par des artifices littéraires éculés et des phrases pompeuses.

Au pays qu’il dépeint dans son ouvrage, le livre est complètement ignoré : les chiffres des ventes aux États-Unis bluffent les amateurs de littérature en France, mais ils ne correspondent en rien à l’étendue du marché américain. C’est un livre que j’ai écrit pour un lecteur américain plutôt que pour un lecteur français, explique Bernard-Henri Lévy à la presse française, mais il n’est pas sûr qu’il ait bien saisi son sujet : je ne peux pas du tout prendre Lévy au sérieux. J’étais plongé dans son premier article dans Atlantic jusqu’à ce que je tombe sur la phrase "Detroit, sublime Detroit". J’ai éclaté de rire, a-t-on relevé dans le Boston Globe…

La vérité se doit d’être au service du philosophe

Qu’à cela ne tienne, Bernard-Henri Lévy est prêt à enfourcher n’importe quel cheval de bataille, pourvu qu’il serve sa renommée de par le monde.
C’est ainsi qu’il s’est rendu en Géorgie pour le compte du journal Le Monde au mois d’août 2008. Ses choses vues le sont par un prisme pro américain qui défie l’entendement par leur partialité.
Elles ne sont curieusement pas les mêmes que celles rapportées par les journalistes d’agence qu’il y a côtoyés, mais elles sont reprises par le Corriere della Sera, El Mundo, l’Expressen, le Huffington Post et la Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Plus journaliste que philosophe, plus polémiste que journaliste, le modèle dont se réclame Bernard-Henri Lévy est celui de Sartre, soit le penseur investi dans les événements et les luttes de son temps, pour qui le monde est aussi bien un terrain d’étude que d’intervention pour la philosophie.

Mais c’est justement parce que Jean-Paul Sartre a refusé — en recueillant malgré tout la notoriété qu’il lui confère — ce prix Nobel de Littérature en 1964 que Bernard-Henri Lévy cherche à toute force à récupérer pour la France un insigne honneur qui, au contraire de son illustre prédécesseur, comblerait le vide ouvert par sa pensée.
C’est ainsi qu’il s’est présenté le 1er juin 2008 à l’Université Hébraïque de Jérusalem pour y recevoir un doctorat Honoris Causa. Il a été honoré pour sa fidélité envers Israël, son action exemplaire contre l’injustice, l’intolérance, les atteintes à la démocratie et son exceptionnelle contribution à la compréhension du monde, mais c’est aussi en hommage à Jean-Paul Sartre, qui fut nommé docteur Honoris Causa de cette université religieuse en 1976, seul honneur qu’il ait jamais accepté, que Bernard-Henri Lévy a consenti à cette récompense.

La sortie du dernier livre de notre BHL national, parfaitement en phase avec l’attribution d’un prix qu’il n’aura toujours pas, fut également orchestrée de façon parfaite. À la fin du printemps, les éditions Flammarion font savoir qu’elles publient début octobre un livre à quatre mains.
Aucune information, ni sur les auteurs, ni sur le sujet, ne sont données. Les rumeurs commencent à courir, enflent, en dépit de la trêve estivale…
À la fin de l’été, bien que sollicités par les centaines de romans et d’essais qui affluent dans les rédactions, les médias gardent les yeux rivés sur le mystère, dont il semble que Michel Houellebecq soit un des signataires. Sur la seule foi de la promesse faite par la directrice de la maison, qu’il s’agit d’un texte de qualité, les libraires ont déjà commandé à l’aveugle quelque 120.000 exemplaires.
Épilogue de l’affaire : Le Journal du Dimanche révèle le 21 septembre le nom des auteurs et la genèse du livre, une conversation par courriel qui s’est tenue entre janvier et juin 2008, entre Michel Houellebecq, en effet, et Bernard-Henri Lévy.

Si les spéculations vont bon train dans les cercles littéraires à la veille de l’annonce du prix Nobel, on compte des écrivains qui ont des gros tirages à travers le monde et qui sont évoqués tous les ans : les Américains Philip Roth ou Joyce Carol Oates, le Japonais Haruki Murakami, l’Italien Antonio Tabucchi. D’autres prix internationaux, comme le Prince des Asturies ou le prix Kafka, peuvent mettre sur la piste, certains lauréats l’ayant reçu peu avant… Il ne faut donc pas écarter l’Israélien Amos Oz, la Canadienne Margaret Atwood ou encore le Tchèque Arnost Lustig et le poète français Yves Bonnefoy. Une seule chose est cependant certaine, c’est qu’il a encore échappé à Bernard-Henri Lévy !


Qu’on ne puisse honorer tous les grands écrivainsEst bien la loi du genre ; au moins peut-on les lire,Garder leur prose au cœur, donc pour soi, les élire,Quand la faveur des pairs ne les rend pas divins !

Ce ne sont pas les prix qui font les vrais devins,Tant les meilleurs ont fait tomber leur tirelirePour arracher des mots éternels de leur lyre :Les respects présentés au tombeau leur sont vains.

L’artiste, au demeurant, croit au public et penseQue son succès s’exprime après la récompenseD’un cénacle un peu saur et sûr de son bon goût.

Le plus juste est qu’il prend parti pour la concordeEt veut chasser des prix tous ceux dont le bagoutSe voit trop pour prétendre à l’art qu’il lui accorde.

le 05/10/2008 - par Philippe Gras

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