dimanche 3 août 2008

Alessandro Piperno - Avec les pires intentions

livre proposé par Guy, du club de lecture
bien envie de le lire...
- un livre qui en laissera plus d'un sceptique. D'abord la langue : très belle et , à mon avis bien traduite.
L'auteur se revendique de Proust , d'ailleurs un autre titre éclaire son propos 'Proust antijuif'.
Piperno est juif , mais on pourrait se demander s'il n'est pas antisémite ?
Daniel Sonnino est né à Rome , d'un père juif albinos (!) marié avec une catholique. Il est donc considéré comme n'étant pas juif. Son grand-père Bepy , par contre , est un juif pur jus . Commerçant , obsédé de la quéquette , séducteur invétéré , flambeur.
Le brave Daniel aura bien de la peine à trouver ses marques dans cette société romaine des années 80 , bourrée de fric et pleine de contradictions. J'ai appris avec amusement que les non circoncis sont qualifiés de 'fermés'.
Pendant la lecture, on passe constamment de la jubilation à l' agacement.Mais tout cela est raconté avec tellement de talent !
L'auteur est né en 1972 , il aura encore l'occasion de nous amuser , et de choquer le bourgeois.
Amitiés judéo-romaines,
Guy.
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Présentation de l'éditeur
Iconoclaste, provocateur, politiquement incorrect, ce roman dresse le portrait d'une famille de la bonne bourgeoisie juive romaine, les Sonnino.
Tout d'abord Bepy, qui préfère oublier le " clownesque couple " Mussolini-Hitler pour revenir à une scintillante et futile existence dans laquelle les femmes, surtout celles de ses amis, occupent la place centrale. Il ne comprendra jamais pourquoi son fils cadet Teo, doué et séduisant, choisit d'aller vivre " dans ce pays insensé dénommé Israël ".
Heureusement son aîné, Luca, s'inscrit dans la lignée paternelle : manteau croisé en cachemire, Porsche Carrera et fréquentation assidue de la business class.
Quant à son petit-fils Daniel, le narrateur, issu d'un improbable mariage mixte, il est pris dans un insoluble dilemme : " être juif pour les gentils et gentil pour les juifs ".
Handicap auquel viendront s'ajouter sa timidité sexuelle et son incapacité à entreprendre la belle Gaia, dans le tourbillon de la jeunesse dorée romaine.
Un roman de " déformation " jubilatoire, où Piperno se livre à une " expérience génétique mêlant la manière américaine de Philip Roth à la syntaxe française de Proust " !
Ce qu'en dit LIRE : par André ClavelLire, février 2006

C'est drôlissime, souvent féroce, et surtout magnifiquement écrit : avec ce premier roman qui vaut son pesant de Philip Roth, Alessandro Piperno (né à Rome en 1972) vient de jeter dans le chaudron de la littérature italienne les piments dont elle était cruellement privée.
Daniel Sonnino, le narrateur, est une sorte de Portnoy transalpin: ce demi-juif à l'âme passablement cabossée nous raconte comment, au fil d'une adolescence foireuse, il a vu sa vie «filer sur des voies mortes» parce qu'il a eu le tort de naître dans une famille foldingue de la haute bourgeoisie romaine.
On commence par le grand-père, Bepy, un nabab à la Gatsby qui a plongé le clan Sonnino dans la dèche avant de s'enfuir en Amérique pour échapper à ses créanciers.
On continue avec l'oncle Teo, ex-soixante-huitard reconverti dans l'intégrisme pur et dur, après son exil en Israël.
Et l'on passe à Luca, le père du narrateur, un snobinard mégalo qui ne sait que frimer au volant de sa Porsche en exhibant ses costars Armani. C'est dans cette tribu déjantée, tiraillée entre dolce vita et trahisons conjugales, que le malheureux Daniel a dû se dépatouiller en ruminant ses complexes sexuels et ses frustrations de masturbateur fétichiste. Avant qu'une sirène «au regard couleur de brise marine», la divine Gaia, ne surgisse des flots sur un Chris-Craft d'acajou pour lui mettre le feu au cœur.

Mais il ratera lamentablement le coche, comme s'il était un éternel orphelin de l'amour... Dieu merci, il lui reste son humour sulfureux, qu'il déverse à grandes giclées sur cette aristocratie italienne dont il fustige les travers comme au bon vieux temps de Moravia. Piperno rime avec inferno: la beauté du diable.
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Autre titre :
Proust antijuif
A la fin du XIXe siècle, forte des valeurs défendues par la Révolution française, une large part de la bourgeoisie israélite croit aux valeurs de l'intégration.
Mettre en sourdine sa propre culture permettrait de se fondre dans la masse et peut-être même d'accéder au monde clos des salons parisiens. Marcel Proust ne fait pas exception à cette vision.
L'affaire Dreyfus le mettra face à ses contradictions et pointera l'antisémitisme d'une société résolue à conserver ses préjugés. Dans ce brillant essai, Alessandro Piperno nous offre une traversée de ce moment de vérité, annonciateur des drames du génocide juif, où les israélites redeviendront - pour les autres et pour eux-mêmes - des Juifs.
Cette étude sur Proust de ce professeur de Littérature française à l'Università de Tor Vergata à Rome qui est présenté par son éditeur comme " l'enfant prodige de la littérature italienne " peut être abordée sous deux angles différents.
D'un côté une étude rigoureuse sur le judaïsme, ou plutôt l'antijudaïsme de Proust, présent dans la Recherche du Temps Perdu, dans l'esprit qui anime ce monument de la Littérature moderne et dans ses personnages, personnages dont l'antijudaïsme est analysé avec finesse et exhaustivité.

Piperno signale avec justesse comment Swann vieillissant acquiert des traits juifs, c'est à dire quelque part, comment la question qu'il cherchait à chasser par la porte, son judaïsme, revient par la fenêtre. Pour utiliser une formule psychanalytique, on pourrait dire, sous la forme du " retour du refoulé ", pourvu qu'il y ait ici refoulement, ce qui n'est pas sûr.
Piperno fait de Proust un personnage hybride, parce qu'il est né de père catholique et de mère juive, comme Montaigne, comme Umberto Saba, et comme l'auteur lui-même. Il en dégage une figure, l'Hybride, qui se situerait en exclusion de l'ordre social et littéraire auquel il aspire, et qui donnerait un style même d'écriture qui permettrait de traiter cette contradiction.

Il n'est pas sûr que l'antijudaïsme de Proust corresponde à une contradiction, mais plutôt à une problématique qui concerne le judaïsme lui-même, le " nom juif ", comme le dit Jean-Claude Milner dans un ouvrage* qui permet d'éclairer beaucoup des points concernés par la thèse de Piperno. Milner différencie une exclusion sociale d'une exclusion politique à laquelle étaient soumis les juifs de France et d'Allemagne depuis le XVIIIème. siècle.

Là où les juifs d'Allemagne étaient exclus socialement et politiquement, l'émancipation avait accordé aux " français israélites " des droits politiques, notamment le statut de citoyen et le droit de vote ainsi que l'accès aux institutions de l'Etat (l'armée, le pouvoir législatif et exécutif, l'université), sans qu'il leur soit accordé des bénéfices sociaux. Ils restent marginalisés, exclus, voire même stigmatisés en tant que juifs, sauf exception, exception déterminée par le talent, comme c'est le cas pour Proust, ou par l'argent.

Ce caractère d'exceptionnalité, qui permet au juif de s'éloigner de son nom de juif et d'accéder au statut du quelconque ne résout pas la contradiction interne, irréductible du juif qui même lorsqu'il accède, comme c'est le cas de Proust au statut de quelconque et qui continue à vivre sa part juive comme une marque indélébile, qui est déterminée par la marque de ce nom que lui donne un être, et non pas par le mélange de deux conditions différentes comme le pose l'auteur.

Si Proust est ainsi antijuif il l'est à la manière que le sont beaucoup d'autres qui se débattent avec ce stigmate, avec ce nom de juif qui leur donne un être là où l'expérience littéraire les confronte plutôt à une expérience de manque-à-être.

Voici donc la contradiction interne qui fait que le juif de talent, même lorsqu'il est reconnu comme étant un auteur " français ", s'inscrivant dans une lignée et accédant par là au " pour tous ", " pour tous les auteurs français " garde quand-même en lui une part qui ne se soumet pas à cet universel, qui même objecte à celui-ci et qui est déterminée par sa judaïté. Il s'agit là d'une exception interne, à l'intérieur même du sujet, qui le divise et qui détermine une part insoumise à cet ordre universel, et non pas un caractère d'exception lié à son origine hybride comme le situe l'auteur.

Le mimétisme, trait juif par excellence selon l'auteur et dont il fait de Proust le " prince ", n'est pas aussi justement la conséquence du paradoxe et l'habit que le juif doit porter, pour se faire reconnaître dans son talent et ainsi être admis socialement autrement que comme juif ? Mais quoi de plus juif, finalement, que ce paradoxe ?
Le problème du juif est justement de faire avec ce nom, qu'il porte et qui relève de l'impossible. François Regnault, dans un petit essai très éclairant sur ces questions**, dit même qu'il relève du Réel, au sens que Jacques Lacan donne à ce terme, c'est à dire de l'impossible à symboliser.

L'abord de François Regnault est très radical car il fait du juif, de sa judaïté, le problème de l'Occident : non pas un problème à un moment donné de l'histoire, dans une aire géographique particulière, comme le sont d'autres figures victimes du racisme et la discrimination, comme les noirs, les arabes, les homosexuels, mais un problème de structure de l'Occident, d'où le titre de l'ouvrage qui fait du judaïsme, même pour les juifs eux-mêmes, un objet a, au sens que Lacan donne à ce terme.

Regnault définit ce rapport que l'Occident entretient avec le juif, " d'implication réciproque, d'exclusion et d'inclusion ", en suivant Lacan et sa formalisation mathématique du rapport du sujet à l'objet.
Proust en tant que " juif de talent ", comme dirait Milner, est directement concerné par ce problème.Les deux derniers chapitres de l'ouvrage où l'auteur situe la Recherche… dans le contexte du nihilisme moderne où la vie de l'auteur se confond avec l'œuvre, où son Moi apparaît éclaté dans l'œuvre, étant à la fois lui-même et pas lui-même, car ce qui se perd dans l'écriture moderne est justement le " soi-même ", sont les plus intéressants.

Toute la littérature moderne et actuelle est traversée par ce paradoxe : citons pour preuve Philippe Sollers, qui présente ses " mémoires " sous le titre d'un " Vrai roman ", répondant ainsi à ceux qui lui reprochent de n'en avoir jamais écrit un…Piperno finit ainsi par faire de ce trait hybride un caractère propre de la littérature de Proust, alors que ce n'est là qu'un trait général de la littérature actuelle. Proust en est seulement le pionnier.
Citons Piperno : " le seul moyen que Proust a trouvé pour décrire cette contradiction est justement cette écriture hybride qui s'en remet à l'intermittence de l'être " (p. 199): cette belle idée pourrait en fait être appliquée à une bonne partie de la Littérature du XXème siècle, notamment en ce qui concerne " l'intermittence de l'être ", son caractère contingent.

* Milner, J.-Claude. Le Juif de Savoir. Grasset. Paris. 2006.** Regnault, François. Notre objet a. Verdier. 2003.
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source de l'article : http://www.italieaparis.net/
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