vendredi 8 août 2008

à propos de la biographie de Daniel Bermond sur Pierre de Courbertin

Le baron fait encore des remous
un article du blog de Pierre Assouline



C’est là une bien curieuse sensation que tout lecteur a éprouvée une fois au moins dans sa vie : on lit un livre, puis on en lit une critique et l’on se demande s’il s’agit bien du même ouvrage.
Parfois, le décalage est tel entre l’appréciation qu’on en a eu et celle que l’on découvre sous la plume d’un autre, que le doute est vraiment permis.
Le réflexe qui consiste à vérifier aussitôt sur la couverture est autorisé.
La question se pose avec la solide biographie que Daniel Bermond vient de consacrer à Pierre de Coubertin (428 pages, 22,50 euros, Perrin) après avoir déjà traité Gustave Eiffel et Bartholdi sur le même mode et avec la même rigueur.
Ce qui nous a fait aborder ce nouveau récit de vie avec un a priori favorable qui ne fut pas détrompé, d’autant qu’il a eu accès aux archives familiales, lesquelles recèlent notamment la correspondance entre son personnage et les membres du Comité International Olympique.
L’opportunité qui consistait à publier ce livre peu avant l’ouverture des olympiades pékinoises n’aura échappé à personne puisque la réinvention des Jeux fut la grande affaire du baron.

Aristocrate légitimiste gagné par les valeurs républicaines, le
baron de Coubertin eut des relations contrastées et ondoyantes avec l’Angleterre, nation qui se considérait comme la patrie du sport, la dépositaire de son esprit et la propriétaire de sa philosophie.
L’auteur ne nous cèle rien des contradictions, des faiblesses, des échecs et des découragements de son personnage.
Il sait parfaitement ce qui fera problème : l’ambiguité d’une apologie du sport où éthique et esthétique ne font qu’une, l’apologie du “bronzage de la France” que son protecteur Jules Simon traduisait comme la nécessité de “refaire la race française”, le soutien à la tenue des Jeux Olympiques dans l’Allemagne hitlérienne, la confusion dès l’origine dans la pratique entre l’idéal sportif, le politique et le nationalisme…
Mais aussi ce que Olivier Villepreux dénonce dans son pamphlet pour en finir avec les JO Feue la flamme (Gallimard), à savoir que Coubertin aspirait à “prémunir la jeunesse contre l’oisiveté, le sexe et la pensée socialiste”.
Tout y est, clairement exposé et honnêtement raconté par Daniel Bermond.
Ce qui n’est pas vraiment l’avis de Jérôme Segal, chercheur au Centre interdisciplinaire de recherches comparatives en sciences sociales (ICCR) de Vienne (Autriche). De la longue (trois pages) critique argumentée qu’il a mis en ligne sur le site de nonfiction.fr, il apparaît que tout dans cette biographie tend à une “réhabilitation” de Pierre de Coubertin. Lisez sa critique, puis lisez la réaction de Daniel Bermond, sollicitée par “La République des livres”. Troublant, isn’it ?

“D’abord, que M. Segal se rassure : Coubertin est tout sauf mon « héros », pas plus que ne l’étaient Eiffel et Bartholdi, d’ailleurs. Je n’ai, pour ma part, jamais confondu biographie et hagiographie.
Je crois - pardon de revenir en arrière - avoir suffisamment montré et démontré l’affairisme du premier et l’opportunisme politique du second pour me libérer de ce genre de reproche. Ou bien M. Segal m’a fort mal lu. Mais a-t-il mieux lu ce livre sur Coubertin ? Je n’en suis pas sûr, même si je lui reconnais une attention soutenue, certes un peu laborieuse dans son expression, et la parfaite honnêteté de ses commentaires. Seulement, quelle est son affaire, au fond ?

Il souhaitait a priori ne pas être dérangé dans ses certitudes sur le père de l’olympisme moderne, et voilà que je commets la faute impardonnable de vouloir « réhabiliter » mon personnage. Je ne sais pas ce que M. Segal entend par là, mais si j’ai tenté, si peu que ce soit, de me lancer dans cette « folle entreprise » consistant à gommer les pages sombres de la vie de Coubertin et les citations à charge, alors j’ai un sens de la réhabilitation passablement vachard !
Je le renvoie à cette phrase écrite par P. de C. à Edström, un de ses futurs successeurs à la tête du CIO, sur le Führer (« J’admire intensément Hitler… le chef du nouveau monde qui se lève… »).
Un propos extrait de la volumineuse correspondance de Coubertin consignée aux archives de Lausanne (il n’y a pas que les archives familiales que j’ai exploitées, deux semaines sur les bords du Leman m’ont également beaucoup appris, et bien d’autres fonds privés et publics).
Je le renvoie aussi aux écrits du baron sur l’inégalité des races qu’il justifie et sur la nécessité qu’il approuve d’inculquer le goût du sport aux « indigènes » pour mieux les mater. Je ne cache rien du bonhomme et ne fais pas qu’évoquer « subrepticement », comme à la sauvette, son racisme, son colonialisme et ses ambiguïtés sur la République. Quand je pense que mon éditeur me poussait sinon à plus de retenue, du moins à plus de brièveté.
Mais, à la différence de mon contradicteur, je ne prétends pas juger, ni inculper, ni disculper, ni « prendre parti ». Ce qu’il me reproche en toutes lettres, avec une cuistrerie bien ingénue. Étrange conception de la biographie, en particulier, de l’histoire tout court.

Je n’ai pas à faire ou refaire le procès de Coubertin, j’essaie de comprendre. Et tant pis si M. Segal a l’air de regretter que je ne dise pas tout crûment, ce qui l’aurait visiblement arrangé, que le baron était antisémite. Non, il ne l’était pas de manière obsessionnelle, mais il n’était pas non plus dreyfusard.
Quant à ce qu’il écrit de la « haute finance israélite », un Jaurès aurait pu l‘écrire. Malheureusement, cet antisémitisme mou imprégnait les esprits de ce temps, à droite et à gauche, il faut le reconnaître sans vouer nécessairement aux gémonies ceux qui s’y livraient par conformisme et facilité. Est-ce si difficile à saisir ? Coubertin n’était pas Drumont, il n’était même pas Siné…

Autre chose renversante : je n’ai pas fait le sort qu’elle aurait mérité à la biographie de Marie-Thérèse Eyquem, publiée en 1966 chez Calmann-Lévy. Segal est-il sérieux ici ou donne-t-il dans l’humour involontaire ? Un classique, certes.
Mais, du point de vue scientifique, excusez-moi, c’est le néant. Aucune référence, des citations suspectes, des conversations reconstituées, des événements romancés, un dithyrambe des faits et gestes du baron, tout y est.
S’il s’agit là du modèle biographique de M. Segal, je le lui laisse volontiers. Moi, je préfère les textes, autrement plus pertinents sur Coubertin, d’un Yves-Pierre Boulongne, d’un Louis Callebat ou, plus récemment, d’un Patrick Clastres. Cela étant, je n’oblige personne à me suivre..
Est-ce à dire que M. Segal entretient à plaisir le confusionnisme ? Je le pense, à le voir condamner à tout prix ici et là, assis sur ses convictions. Je le pense aussi, à sa propension à écorcher mon patronyme, une désinvolture assez ridicule. À six reprises, pas moins, peut-être davantage, me voilà nommé « Bremond » ! Un peu plus de modestie et de rigueur, M. Sagel… qui êtes passé complètement à côté du message, pourtant martelé, de ce livre, du début à la fin : si la France n’a pas compris et ne comprend toujours pas la trajectoire de Coubertin, c’est d’abord que, dès l’origine, elle n’est pas, quoi qu’elle prétende encore, une terre de l’olympisme. Était-ce trop vous demander de le saisir ?”
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(”Portrait de Pierre de Coubertin”, photo CIO ; “Hitler à la tribune officielle”, photo Library of Congress via Michael Rogers ; “Jesse Owens vers la médaille d’or du 100 m aux Jeux de Berlin en 1936″, photo CIO ; “Manifeste olympique” récemment publié par la revue chinoise
Civilisation . La plupart de ces photos sont tirées d’un passionnant album de Bernard Morlino JO nostalgie (111 pages, 21 euros, Hors collection) bourré d’images surprenantes et d’anecdotes sur les coulisses des Jeux depuis l’origine)

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