samedi 23 août 2008

Mort d’un écrivain à Thoré-la-Rochette : Tony Duvert

sur le Blog de Pierre Assouline
Il a cessé de vivre comme il avait vécu : seul, oublié, à l’abandon.
Cette indifférence ne lui aurait pas déplu. Son corps a été découvert il y a quelques jours chez lui à Thoré-la-Rochette (Loir-et-Cher) mais celui qui n’était plus vraiment de ce monde depuis longtemps déjà était mort depuis plus d’un mois.
L’enquête devrait confirmer la mort naturelle. A 63 ans, on le disait exténué. Sans plus de détail car rares étaient ceux qui avaient pu le rencontrer, voire même simplement lui parler, depuis qu’il avait choisi l’exil intérieur et une forme de réclusion il y a de nombreuses années de cela. Comme il n’avait plus rien publié depuis 1989 (alors qu’il écrivait toujours) et qu’il ne paraissait pas, dans tous les sens du terme, le monde littéraire en avait déduit qu’il était mort probablement à la fin du XXème siècle. C’était un véritable écrivain, dans la tradition française classique des grands stylistes. Il s’appelait Tony Duvert.

En apprenant la nouvelle de sa disparition, mû par un réflexe récurrent en pareille circonstance, j’ai repris ses livres dans la bibliothèque pour m’y plonger avec le recul du temps. Un récit autobiographique Journal d’un innocent (1976) et un rassemblement d’aphorismes bien dans sa manière
Abécédaire malveillant (1989) aux éditions de Minuit, ainsi que deux recueils de textes brefs qui sont des modèles de maigreur dans la sobriété et de densité dans la légèreté, Les petits métiers (1978) et District paru la même année chez Fata Morgana.
Il y en eût une dizaine en tout, qu’il ne cessa de réviser pour les améliorer, L’Ile atlantique (1979) et Quand mourut Jonathan (1978) étant parmi les plus fameux, sans oublier bien sûr Paysage de fantaisie, un roman qui poussa son ami Roland Barthes à accepter un couvert au jury du Médicis à seul fin de lui faire avoir le prix, ce qui fut fait en 1973.
Tony Duvert, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’encombra pas les studios de télévision, aurait encore moins de chance d’être médiatisé de nos jours s’il lui avait pris de se prêter à ce cirque. Car nul mieux que lui savait que certains de ses textes, s’ils étaient écrits en début de XXIème siècle, n’auraient guère de chance d’être édités.
Sa liberté de ton, louée dans les années de la libération sexuelle, serait intolérable. Les ligues hurleraient aussitôt à l’apologie de la pédophilie et obtiendraient leur interdiction à la vente.
Il défendait un principe, le droit des adolescents à disposer de leur libre sexualité, qui serait inaudible aujourd’hui.
D’autant qu’il voulait retirer les enfants aux mères et, d’une manière générale, aux femmes ; il leur contestait un droit exclusif sur les enfants.
“La période d’innocence qui s’offrait aux artistes dans les années 70 est révolue : on ne peut plus parler librement de ces choses en ce moment” disait récemment François Nourissier qui l’admirait.
Il y a trente ans, on pouvait le lire comme un moraliste, chose devenue impensable de nos jours où il aurait été dénoncé comme immoraliste s’il lui avait pris de s’exprimer.

La pédophilie, il s’en réclamait effectivement ; mais pour illustrer le décalage qu’il y dans la résonance du mot dans les années 70 et la sienne aujourd’hui, il suffit de lire
le long entretien que Tony Duvert accordait à Guy Hocquenghem et Marc Voline pour Libération qui le publia très “normalement” le 11 avril 1979 ; retrouvé par le moteur de recherche, il est désormais précédé de l’avertissement “Attention ! Contenu très explicite. Apologie de la pédophilie. Loi” avec un lien sur “Loi” renvoyant à l’arsenal juridique idoine.
Il y expose des idées qu’il mettra en forme dix ans après dans son Abécédaire malveillant.
A “Pédophiles”, on peut y lire :“La presse hétérosexuelle et familiale, fait passer les pédérastes pour des agresseurs que les enfants ont à craindre. Mais dans leur immense majorité, les viols d’enfants sont hétérosexuels et familiaux. En outre, ils demeurent presque tous impunis, cachés, couverts”.
A “Vertu” : “Le vice corrige mieux que la vertu. Subissez un vicieux, vous prenez son vice en horreur. Subissez un vertueux, c’est la vertu tout entière que vous haïrez bientôt”. Et pour finir :”Tous les enfants sont des hommes. Peu d’adultes le restent”

Tony Duvert était animé du démon de la pureté. Absolue et sans compromis. C’est pourquoi, du temps où il vivait encore en société, il faisait peur.
On craignait la brutalité de sa franchise, son impuissance totale à s’abriter derrière le mensonge, sa dureté, ses colères, sa violence et sa capacité à provoquer des scandales en public pour une faute de goût en musique, un subjonctif de travers ou un manque manifeste de jugement littéraire.
Ne travaillant pas et se nourrissant peu, il vivait dans un état de grande pauvreté.
A la fin, isolé dans son village où il ne parlait même pas à l’un des 879 autres villageois (sa mère, avec qui il avait vécu, était morte il y a une dizaine d’années) il préférait la nature à tout, et le commerce des animaux à celui des hommes. Cet été, comme la boîte aux lettres du misanthrope débordait, un voisin intrigué prévint le maire qui alerta la gendarmerie de Vendôme. Le solitaire, que les gens du village entre eux appelaient “l’écrivain”, était mort depuis plusieurs semaines.
(Photos D.R. et Louis Monier)
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