Le roman traite de façon suggestive et poignante de la fuite vaine du temps, de l'attente et de l'échec dans le cadre d'un vieux fort isolé à la frontière où le lieutenant Drogo attend la gloire dont le privera la maladie.
En effet après une longue carrière ritualisée par les activités routinières de la garnison du vieux fort Bastiani, il voit se préciser enfin l'attaque des Tartares dont l'existence apparaissait de plus en plus mythique ; mais évacué pour des raisons médicales, Drogo ne peut participer au combat et se rend compte, au seuil de sa mort, que son seul adversaire n'est pas les Tartares, mais la mort.
Ainsi, il se rend compte que les Tartares n'étaient qu'un divertissement, une occupation, qui lui permettait d'oublier la mort, lui qui en avait extrêmement peur.
Tout le roman est axé sur la fuite du temps.
On peut tout rattacher à ce thème. Par exemple, le découpage du livre en trente chapitres courts et de même taille donne l'illusion d'une régularité dans l'avancée du roman.
De même, les habitants du fort sont des malades du temps.
C'est-à-dire qu'ils font partie des malchanceux qui, selon Buzzati, sont soumis à une terrible conscience du temps qui passe et de la mort qui approche.
Ainsi, les deux groupes, les civils contre les militaires, sont deux groupes que tout tend à éloigner.
Dès le chapitre 1, Drogo et son ami se séparent et ne se reparleront plus, dans l'avenir, comme avant. De même, ils ne veulent aller au château que pour la gloire, mais quand ils y arrivent, ils veulent en repartir avant de ne pouvoir et vouloir le quitter, ce qui montre leur attachement à leur déshumanisation :
en faisant toujours les mêmes tâches (ce qui transforme le temps qui passe en un présent perpétuel, Drogo est très surpris le jour où il découvre qu'il est un vieillard et qu'il n'a rien fait de sa vie);
en voyant toujours les mêmes personnes (ce qui aboutit à un mode de vie très sécurisant), ils ne pensent plus à la mort et ont donc gagné leur pari.
Ces soldats, qui ont donc très peur de la mort, ont l'espoir de participer à un grand évènement, c'est-à-dire triompher des Tartares, ce qui leur permettrait d'être éternels, la postérité les retenant.
Le règlement absurde du fort leur permet d'occuper leur esprit. La plaine, toujours remplie de brouillard, est favorable à leur imagination, au rêve, à l'espoir.
L'interdiction d'instruments optiques pour scruter la plaine peut être perçue pour maintenir le mystère.
Enfin, la construction de la route peut être perçue comme une métaphore de la vie : la vie se construit, et quand l'ennemi, à savoir la mort, attaque, il n'y a rien à faire face à cette force surhumaine. Les habitants sont vaincus par les Tartares, donc par la mort.
"Comme son fils insistait, il alla prendre sa longue-vue et scruta la surface de la mer, en direction du sillage.
Stefano le vit pâlir.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
Pourquoi tu fais cette figure-là, dis, papa ?
– Oh ! si seulement je ne t’avais pas écouté, s’écria le capitaine. Je vais me faire bien du souci pour toi, maintenant. Ce que tu vois émerger de l’eau et qui nous suit, n’est pas une chose, mais bel et bien un K."
Le Défunt par erreur, Un amour trouble, Le Secret de l’écrivain, Le Veston ensorcelé, Suicide au parc, Jeune fille qui tombe… tombe, Le Magicien, Le Chien vide, Petites Histoires du soir, Ubiquité, Les Bosses dans le jardin, Petite Circé, Dix-huitième trou, Douce nuit…
Chacune des cinquante-deux nouvelles de ce recueil est frappée du sceau du merveilleux, du même poignant fantastique.
Dino Buzzati possède, à un degré suprême, cette rare vertu de ne pas refuser l’humour à la conscience et à la présence de la mort… Buzzati est l’un des plus grands écrivains de notre temps.
Dino Buzzati, né le 16 octobre 1906 à Belluno, dans la région de la Vénétie, et décédé le 28 janvier 1972 à Milan d'un cancer, est un journaliste et un écrivain italien dont l'œuvre la plus célèbre est le roman intitulé Le Désert des Tartares.
Dino Buzzati, de son vrai nom Dino Buzzati Traverso, est le deuxième d'une famille de quatre enfants.
Pour répondre au souhait de son père, professeur de droit, il entreprend des études de droit.
Après son service militaire, partiellement en école d'officiers, il entre en 1928 comme stagiaire à la rédaction du grand quotidien de Milan le Corriere della Sera. Il y reste comme journaliste jusqu'à sa mort, excepté pendant la Seconde Guerre mondiale, où il sert comme officier dans la marine italienne puis comme correspondant de guerre en Afrique du Nord et en Sicile.
Parallèlement à sa carrière professionnelle Dino Buzzati s'essaie à différentes formes d'arts comme la peinture, la gravure ou la création de décors pour la scène.
C'est cependant son abondante œuvre littéraire qui retient l'attention par sa variété : du théâtre (Un Cas intéressant traduit en français par Albert Camus en 1956) aux recueils de nouvelles, comme Le K (en italien : Il Colombre - 1966), en passant par les contes et les romans pour la jeunesse (par exemple La fameuse invasion de la Sicile par les ours) jusqu'aux romans, dont le plus abouti et le plus célèbre est Le Désert des Tartares, publié en italien en 1940, qui se révèle une allégorie puissante de la condition humaine.
Dino Buzzati meurt d'un cancer à Milan, en 1972.
Les thèmes principaux de ses nouvelles sont les attitudes adoptées face à la vie, face à la mort.
Ses nouvelles soulèvent de nombreuses interrogations sur l'humain dans la modernité à travers des histoires courtes, parfois drôles, parfois tragiques, mais qui offrent souvent un message assez clair pour qui veut y attacher un peu d'attention.
Un Amour (1963), qui décrit la passion dévorante d'un quadragénaire (ou quinquagénaire?) pour une jeune prostituée, et ses tourments savamment entretenus par elle, ainsi que par son caractère propre (la nouvelle Iago dans Le K procède il est vrai d'une inspiration analogue).
Et surtout Le Désert des Tartares (1949 en traduction française) : ce roman traite de façon suggestive et poignante de la fuite vaine du temps, de l'attente et de l'échec dans le cadre d'un vieux fort isolé à la frontière où le lieutenant Drogo attend la gloire dont le privera la maladie.
L'œuvre littéraire de Dino Buzzati renvoie pour une part à l'influence de Kafka par l'esprit de dérision et l'expression de l'impuissance humaine face au labyrinthe d'un monde incompréhensible mais aussi au Surréalisme, comme dans ses contes où la connotation onirique est très présente.
Le plus convaincant des rapprochements est cependant sans doute à rechercher du côté du courant existentialiste des années 1940-1950 et de Jean-Paul Sartre avec La Nausée (1938) ou d'Albert Camus avec L'Étranger (1942), pour ne citer que des œuvres majeures contemporaines du Désert des Tartares.
Par ailleurs ce roman, qui a œuvré à la notoriété de l'auteur et a connu un succès mondial, n'est pas dénué de rapport dans sa description d'un « présent perpétuel et interminable » avec deux autres grands classiques : Les Choses, de Georges Perec et La Montagne magique de Thomas Mann.
Bizarrement, Buzzati n'a jamais accepté d'être considéré comme un écrivain. Il se définissait comme un simple journaliste écrivant de temps en temps des nouvelles, auxquelles il ne trouvait pas de grande valeur. Le jugement de la postérité, et même de ses contemporains, l'a largement contredit sur ce point.
Encore deux livres que j'ai particulièrement aimés.
Noté également le lien vers les poches, pour en lire d'autres à l'occasion.
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Voir autres titres en poche : http://www.livrenpoche.com/auteur-8363.html
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