"Professeur de linguistique dans une grande ville de province, Desmond saute sur l’occasion de prendre sa retraite anticipée.
Désormais, sa vie est rythmée par la lecture du journal, les tâches ménagères, les visites à son père à Londres et quelques activités avec son épouse Winifred.
Jusqu’au jour où, lors d’un vernissage, ses oreilles lui jouent des tours."
Ce livre est un délice, avec juste ce qu’il faut d’humour, de réflexion, d’érotisme et de tendresse.
Des bulles de champagne, comme savent en fabriquer quelques grands alchimistes anglo-saxons.
Les aveugles nous émeuvent, et c'est normal.
Mais pourquoi les sourds nous font-ils rire ?
"La surdité est comique, alors que la cécité est tragique", constate Desmond Bates, le narrateur de La Vie en sourdine.
En anglais, deaf (sourd) n'est pas très loin de dead (mort). Et pour peu qu'on entende mal... Pour écrire ce roman tout en finesse, David Lodge s'est inspiré de sa propre expérience : devenu malentendant comme Desmond, il a assisté, lui aussi, à la lente glissade de son père vers la tombe. Tout le reste est fiction, à commencer par cette petite ville universitaire d'Angleterre qui donne à l'écrivain l'occasion de revenir sur ses thèmes favoris, tout en se renouvelant avec bonheur.
Ce qui lui permet de lire le Guardian au petit déjeuner, en s'offrant une troisième tasse de thé.
C'est le principal avantage de sa nouvelle situation.
Le retraité s'est installé dans la routine ("la rout-traite", comme il le dit lui-même), tandis que sa seconde épouse, en pleine ascension professionnelle, déborde de vitalité.
Quant à ses deux enfants, ils se passent parfaitement de lui. Noël approche, avec son potentiel terrifiant de malentendus familiaux...
Et voilà que surgit une diablesse, au nom suspect d'Alex Loom, qui tente de le prendre dans ses filets.
Séduisante, entreprenante, déroutante, cette jeune Américaine lui demande de diriger sa thèse de doctorat, qui porte sur... le style des lettres de suicidés. Ces choses-là ne se discutent pas dans le brouhaha d'un vernissage - Desmond n'entend que des bourdonnements : elles appellent une rencontre plus intime dans l'appartement de la belle...
DU "JE" AU "IL"
Ce roman est le journal que tient le narrateur.
Mais, page 41, le voilà "pris par une brusque envie d'écrire à la troisième personne". Qu'à cela ne tienne : le "je" cède la place au "il", sans nous gêner le moins du monde. Desmond-Lodge reviendra à la première personne dans le courant du livre, quand bon lui semblera, baladant ses lecteurs avec la même virtuosité. Du grand art !
La surdité du linguiste retraité donne lieu naturellement à d'innombrables quiproquos. "Quoi ?" se surprend-il à demander à tout bout de champ. Et quand il s'entretient avec son père, aussi sourd que lui, c'est du "quoi ?" au carré... Il lui arrive de déclarer forfait : "La surdité transforme tant de sons en bruits que vous préférez opter pour le silence."
Ou alors pour le verbiage, car "il est plus facile de parler que d'écouter". Pitié pour les malentendants : ils sont souvent bavards par nécessité !
Desmond n'arrête pas de se prendre les pieds, si l'on peut dire, dans ses prothèses auditives, de plus en plus sophistiquées.
Son père, lui, refuse tout appareillage. Il vit seul, dans un pavillon londonien à la cuisine crasseuse, habillé en clochard, hanté par ses économies. Un magnifique personnage, grincheux, insupportable et bouleversant.
Tout est dit sur le naufrage de la vieillesse dans une scène tragi-comique, sur l'autoroute, où le bonhomme est saisi d'un besoin pressant et ne parvient pas à se retenir.
Comme l'écrit le professeur retraité dans son journal, "la surdité est une sorte d'avant-goût de la mort, une très lente introduction au long silence dans lequel nous finirons tous par sombrer".
David Lodge pousse la démonstration jusqu'à envoyer son narrateur faire une visite à Auschwitz et Birkenau. Là-bas, seul, à la tombée du jour, Desmond "entendra le silence" : un silence troublé seulement par le crissement de ses souliers sur la neige gelée et les aboiements d'un chien dans le lointain...
La troublante Alex Loom a-t-elle vraiment quitté les Etats-Unis parce qu'elle ne supportait pas la présidence de George Bush ?
Avec elle, on ne sait plus à quoi s'en tenir. Aucune importance : la politique n'a rien à voir dans ce roman. David Lodge s'intéresse aux petites joies, aux blessures et aux drames de la vie quotidienne. C'est très anglais, mais un Français s'y retrouve parfaitement.
Ce livre est un délice, avec juste ce qu'il faut d'humour, de réflexion, d'érotisme et de tendresse. Des bulles de champagne, comme savent en fabriquer quelques grands alchimistes anglo-saxons.-Robert Solé
http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/08/28/la-vie-en-sourdine-david-lodge-eleve-la-voix_1088733_3260.htmlbiographie
David Lodge est issu d'une famille catholique modeste, d'une mère secrétaire et d'un père professeur de danse.
Bien que très jeune durant la Seconde Guerre mondiale, il fut particulièrement marqué par ses conséquences lors d'un voyage à Heidelberg en 1951, afin de voir sa tante qui travaillait au quartier général de l'armée américaine, en constatant les différences entre l'Angleterre en reconstruction et l'Allemagne en plein essor économique.
Après avoir envisagé de devenir journaliste, il poursuit des études à Londres puis à Birmingham où il a ensuite enseigné la littérature anglaise jusqu'en 1987 avant de se consacrer à l'écriture.
À l'age de 18 ans, il rédige son premier roman Le Diable, le Monde et la Chair.
Plusieurs de ses romans dépeignent avec dérision les milieux universitaires et littéraires, ainsi que la société anglaise contemporaine.
Il est depuis 1998 commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique et, en France, chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres depuis 1997.
Note :
Auteur dont je ne manque aucun des livres, tous plus savoureux les uns que les autres,
donc, celui-là figure également sur ma liste.
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voir quelques titres :
http://www.payot-rivages.fr/asp/auteur.asp?Id=611
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