vendredi 3 octobre 2008

première sélection du Prix Décembre

qui sera remis le mercredi 12 novembre 2008 à l’hôtel Lutetia.

Christophe Claro Madman Bovary Verticales

C'est l'histoire d'un fou d'amour qui défait le monde comme d'autres le font : furieusement.
A l'insu de Flaubert, certes, mais du fond de son gueuloir. Encore sous le choc de sa rupture avec une certaine Estée, le narrateur s'abandonne corps et âme à la lecture.
Il jette son dévolu sur Madame Bovary, un roman qui lui est familier. Une nouvelle fois, le voilà dedans. Il s'y enferme, s'y promène, s'y démène, avant d'en bouleverser le déroulement naturel.
Démiurge dépourvu de scrupule, il endosse diverses identités parasites : puce, voyeur, pique-assiette, rôdeur et passager clandestin de la nef flaubertienne en déroute.
Sa mise à mal du texte le conduira aux limites de la négation de soi. Pas très loin du Nirvana ? Avec Madman Bovary, la langue de Claro, maintenue sous tension par la démesure de ce défi littéraire, n'a jamais autant joui de sa propre liberté, entre cut-up musical et sabordage érotique.

Maxime Cohen Promenades sous la lune Grasset

Qu'y a-t-il de commun entre des livres de cuisine, une scène érotique méconnue de la littérature du XVIIIe siècle, les plaisirs du tabac, l'art de placer l'e muet, Venise, l'usage astucieux des maladies, le goût du champagne, Stendhal et les curieux pouvoirs esthétiques de l'ennui ? Un regard.
Le regard, paradoxal, capricieux, érudit et inattendu de l'auteur de ces essais. C'est tout un monde qu'ils font défiler sous nos yeux, intérieur et pourtant ouvert aux plaisirs de la vie, terrestres comme spirituels. Et c'est à un voyage surprenant et délicieux qu'ils nous convient.

Benoît Duteurtre Les pieds dans l'eau Gallimard

«Le 29 septembre 1990, une vingtaine de descendants de René Coty se retrouvèrent à l'Élysée. Chez les petites-filles du Président, d'ordinaire si ardentes à rompre avec le passé, l'opportunité sembla éveiller un brin d'amusement.
Les années glorieuses s'éloignaient suffisamment pour prendre un arrière-goût folklorique. Tout le monde avait oublié le nom de Coty – sauf pour le confondre avec celui d'un parfumeur.
L'époque présidentielle ne représentait plus une menace avec ses privilèges. Rien ne pouvait désormais entraver le triomphe de cette vie normale vers laquelle ma famille inclinait depuis trente ans.» Avec ce roman familial, Benoît Duteurtre déploie son art d'humoriste social sur un mode plus intime. À l'ombre des falaises d'Étretat, il observe les transformations de la bourgeoisie en vacances, le catholicisme revisité par mai 68 et sa propre évolution de jeune homme moderne à la découverte de la nostalgie.

Mathias Enard Zone Actes Sud

Par une nuit décisive un voyageur lourd de secrets prend le train pour Rome, revisite son passé et convoque l’Histoire, dans un immense travelling qui mêle bourreaux et victimes, héros et criminels des guerres de la Méditerranée : une Iliade de notre temps.Trajet, réminiscences, aiguillages, allers-retours dans les arcanes de la colère des Dieux. Zeus, Athéna aux yeux pers et Arès le furieux guident la mémoire du passager de la nuit, fils d’un Français qui a fait la guerre d’Algérie et d’une pianiste d’origine croate.
Adolescent doublement imprégné de patriotisme, puis d’extrême-droitisme, il a prolongé son service militaire en sections spéciales et autres commandos, puis s’est fiancé avec la très blanche Marianne. Mais la guerre d’indépendance de Croatie, puis la Bosnie ont fait bouillir le sang qui coulait dans ses veines. Comme d’autres volontaires – Andrija surtout, dont il porte encore le deuil, et Vlaho le débonnaire qui finira mutilé – il est allé accomplir sa part de carnage, de viols, de cruautés (certaines scènes hantent encore ses insomnies).
Saturé de violence, il s’est fait oublier quelque temps dans la mortifère Venise (où Marianne l’a rejoint et bientôt largué d’un féroce coup de pied dans les génitoires). Puis il est rentré en France où il s’est montré peu bavard – avec son père, pourtant, il aurait pu confronter quelques souvenirs d’interrogatoires particuliers – s’est présenté et a échoué aux concours du Quai d’Orsay, est entré dans un Service du Renseignement où il a connu Stéphanie (deuxième amour, deuxième échec), puis s’est vu attribuer une “ Zone”…
Mais ce soir (quinze ans après ses premiers faits d’armes) c’est sous une identité d’emprunt que Francis Servain Mirkovic s’installe dans le train Milan-Rome pour ce qui devrait être le dernier voyage de sa carrière professionnelle. Au-dessus de lui, une mallette que par précaution il a menottée à une des barres du filet à bagages.
Demain à Rome (où Carol Vojtila n’en finit plus de gésir sur son lit d’agonie) un représentant du Vatican lui donnera trois cents mille euros – l’allusion aux trente deniers de Judas le fait sourire – en échange du trésor patiemment rassemblé dans les marges de son activité d’agent du Renseignement français dans sa Zone (d’abord l’Algérie puis, progressivement, l’ensemble du Proche-Orient). Le contenu de la mallette : des années de missions et d’investigations.
Un compendium d’archives, de fiches, de disques informatiques, d’images et de documents concernant des centaines d’individus – commanditaires ou intermédiaires, cerveaux ou exécutants, agitateurs et terroristes de toutes obédiences, marchands d’armes et trafiquants, criminels de guerre en fuite.
Les hommes de l’ombre et de l’action – sans guerres, l’Histoire serait pétrifiée, le monde serait mort d’ennui ! — qu’il a côtoyés, d’Alexandrie à Tel Aviv, du Caire à Jérusalem, d’Alger à Gaza ou Beyrouth. Une dernière transaction et il pourra changer de vie, peut-être emménager avec Sashka, une jeune Russe, peintre d’icônes…
Mais la nuit risque d’être longue. Le train démarre, Francis Servain Mirkovic allias Yvan Deroy est assis dans le sens contraire de la marche, adossé à son avenir – enfin ! – et les yeux tournés vers le passé qui défile… S’il fallait d’une image représenter la violence de tout un siècle, ne faudrait-il pas en effet choisir un train — un transport d’armes, de troupes, de prisonniers ou de déportés qu’on achemine vers les camps ?
Mais dans ce roman d’une ambition hors normes (à bien des égards digne d’un Tsirkas, d’un Jergović ou d’un Vollmann) la phrase elle aussi inscrit sa trace opiniâtre, itérative, récurrente dans l’immensité de l’espace-temps méditerranéen dont toutes les batailles, dont tous les hauts lieux, dont toutes les figures belliqueuses sont convoquées et invoquées.
Phrase-palimpseste dont les méandres explorent peu à peu le charnier géopolitique qui horizontalement s’étend de Zagreb à Beyrouth, d’Istanbul ou Trieste à Barcelone. Méticuleuse entreprise qui verticalement fouille les strates successives des civilisations de la mare nostrum, retournant à Rome (bien sûr) comme à un recommencement de l’Histoire, et à Homère (bien sûr) comme au plus éternel des aèdes fondateurs.
Roman ferroviaire, circulatoire et archéologique qui ne cesse d’exhumer des tesselles, fragments d’une stupéfiante mosaïque où les héros littéraires (Genet à Chatila, Pound à Venise, Burroughs à Tanger) et guerriers (Hannibal en Italie, Cervantès à Lépante, Napoléon à Lodi) comme les cohortes de victimes (prisonniers des geôles syriennes, Arméniens génocidés dans le désert de Der el Zor, milliers de juifs de Salonique acheminés vers Auschwitz) et de bourreaux (l’espagnol Millán Astray, le croate Ante Pavelic, Franz Stangl le commandant de Treblinka et tant d’autres encore) prennent place ensemble dans la dérive d’un homme au carrefour de sa vie, de ses hontes et de ses défaites amoureuses — car c’est aussi par la trop enviable beauté d’une femme qu’est advenue la guerre de Troie….
Si documenté qu’il soit (parce que nourri d’Histoire mais aussi de témoignages de combattants), Zone n’en revendique pas moins la liberté de re-création – témoin le faux-vrai livre que feuillette Francis Servain Mirkovic dans cette nuit au terme de laquelle il voudrait se délester de ses armes et bagages. L’histoire littéraire, elle non plus, n’a jamais pu démêler ce qui, dans l’Iliade, est faux de ce qui est vrai, car la forme en est si tenue qu’elle semble défier toute hypothèse d’improvisation.
Par “coïncidence”, Zone comporte autant de chapitres – vingt-quatre – que l’Iliade a de “chants”, et chacun d’entre eux réfracte une péripétie du récit homérique. Le lecteur a-t-il seulement conscience du tour qui lui est joué ? Il y a entre Milan et Rome (et d’un chapitre à l’autre, entre les villes qui scandent ce voyage) le même nombre de kilomètres que de pages de littérature. Qui osera désormais prétendre que le roman français a le souffle court ?
Alain Fleischer Prolongations Gallimard

La vieille Europe a-t-elle fait son temps, comme on dit? Et dans son match nul contre elle-même, joue-t-elle les prolongations?
Le narrateur, un jeune interprète franco-hongrois, vient prendre son poste dans un grand congrès européen qui s'éternise dans le dérisoire et le grotesque à Kaliningrad, une enclave russe sur la Baltique.
Dans cette ville qui fut, sous le nom de Königsberg, la patrie d'Emmanuel Kant et la capitale de la Prusse orientale, il découvre une société trouble, livrée aux intrigues, aux trafics en tout genre, à la prostitution généralisée, dominée par des pouvoirs occultes et des mafias, avec de nouveaux Russes prêts à tout vendre, des Allemands de toujours prêts à tout acheter, et des filles prêtes à tout.

Tristan Garcia La meilleure part des hommes Gallimard

Dominique Rossi, ancien militant gauchiste, fonde à la fin des années quatre-vingt le premier grand mouvement de lutte et d'émancipation de l'homosexualité en France.
Willie est un jeune paumé, écrivain scandaleux à qui certains trouvent du génie. L'un et l'autre s'aiment, se haïssent puis se détruisent sous les yeux de la narratrice et de son amant, intellectuel médiatique, qui passent plus ou moins consciemment à côté de leur époque.
Nous assistons avec eux au spectacle d'une haine radicale et absolue entre deux individus, mais aussi à la naissance, joyeuse, et à la fin, malade, d'une période décisive dans l'histoire de la sexualité et de la politique en Occident.
Ce conte moral n'est pas une autofiction. C'est l'histoire, que je n'ai pas vécue, d'une communauté et d'une génération déchirées par le Sida, dans des quartiers où je n'ai jamais habité. C'est le récit fidèle de la plupart des trahisons possibles de notre existence, le portrait de la pire part des hommes et - en négatif - de la meilleure.
Jean-Yves Lacroix Le cure-dent Allia

Biographie romancée du savant et poète perse du XIe siècle, Omar Kayyam.
Après avoir écrit des traités capitaux, il se retire de la vie publique et souhaite égaler Avicenne en se noyant dans l'alcool.
Dans une taverne il fait la connaissance d'une poétesse promise à un autre.
C'est un cure-dent trouvé dans un bazar qui marquera sa résurrection.


Denis Podalydès Voix off (1CD audio) Mercure de France
" Est-il, pour moi, lieu plus épargné, abri plus sûr, retraite plus paisible, qu'un studio d'enregistrement ? Enfermé de toutes parts, encapitonné, assis devant le seul micro, à voix haute - sans effort de projection, dans le médium -, deux ou trois heures durant, je lis les pages d'un livre.
Le monde est alors celui de ce livre. Le monde est dans le livre. Le monde est le livre.
Les vivants que je côtoie, les morts que je pleure, le temps qui passe, l'époque dont je suis le contemporain, l'histoire qui se déroule, l'air que je respire, sont ceux du livre.
J'entre dans la lecture.
Nacelle ou bathyscaphe, le réduit sans fenêtre où je m'enferme autorise une immersion ou une ascension totales. Nous descendons dans les profondeurs du livre, montons dans un ciel de langue.
Je confie à la voix le soin de me représenter tout entier. Les mots écrits et lus me tiennent lieu de parfaite existence. Mais de ma voix, lisant les mots d'un autre, ceux d'un mort lointain, dont la chair est anéantie, mais dont le style, la beauté de ce style, fait surgir un monde d'échos, de correspondances et de voix vivantes par lesquelles je passe, parlant à mon tour, entrant dans ces voix, me laissant aller à la rêverie, à l'opération précise d'une rêverie continue, parallèle et libre, je sais que je parle, je sais que c'est de moi qu'il s'agit, non pas dans le texte, bien sûr, mais dans la diction de ces pages.
Alors d'autres voix encore se font entendre, dans la mienne "

Josyane Savigneau Point de Cote Stock

Point de côté : douleur aiguë apparaissant sur le côté du corps, dont les causes exactes ne sont pas encore connues à ce jour. On a tout à coup très mal, et le souffle coupé, comme asphyxié, on est obligé de s’arrêter ».
Puis serrer les dents. Repartir.
Pour moi, le point de côté avait apparemment une origine situable. Cette phrase : « La calomnie s’est imposée, il faut tourner la page. » Et la page, c’était moi.
On me signifiait ainsi ma destitution de la direction du Monde des livres. Souffle coupé, comme asphyxiée…
Mais pour repartir, ne fallait-il pas remonter plus haut, creuser plus profond ?... Que n’avais-je pas compris de ce monde où je me croyais légitime ? Et qu’avais-je voulu ignorer de moi-même ?
Il fallait refaire ce parcours qui avait débuté une cinquantaine d’années plus tôt, dans une petite ville de province – « du mauvais côté du pont ». Sans ce point de côté qui m’« obligeait à m’arrêter », aurais-je entrepris ce voyage ? Pas sûr.
Philippe Vilain Faux-père Grasset

Le narrateur est un homme qui s'ennuie. Il collectionne les conquêtes, trouve dans l'acte d'amour un trompe-l'oeil et voit filer le temps mollement, sans emballement. Sa rencontre avec la jolie italienne Stefania bouleverse sa léthargie, pimente son quotidien par des aller-retour entre Turin et Paris, bref il n'est pas follement amoureux de cette jeune femme mais il savoure le temps passé auprès d'elle.
Quand la belle lui annonce être enceinte, c'est un coup de massue sur la tête. Jamais l'homme n'avait envisagé d'être père, et aussitôt il est saisi d'angoisses, de rejet et de réflexions mesquines envers cette grossesse subie.
Dans ce livre, Philippe Vilain exprime le point de vue masculin d'un couple qui attend un enfant. Souvent ce sujet est abordé d'après la femme, Faux-père apporte un regard différent, moins versé dans le sentiment.
Cet homme refuse l'enfant à naître mais n'arrive pas à l'exprimer ni à évoquer l'avortement. En face de lui, Stefania s'épanouit, inconsciente et aveugle, naïve aussi.
C'est dans son Journal que l'homme fait part de ses doutes et nombreuses questions. Il n'est pas tendre, emploie des termes virulents ("Cet enfant que Stefania attendait, qu'elle avait décidé seule de se faire faire, ne me concernait pas. Pouvais-je considérer ce viol comme une preuve d'amour ?").
Bref, il est embarqué dans une espèce de mascarade, il joue un rôle - selon lui - mais ne sait pas jusqu'où tout ceci va le conduire.

Prochaine sélection : jeudi 23 octobre.
Source :
LivresHebdo

Note :

rouge : sur ma liste de lecture

bleu : lecture probable

vert : à découvrir
*

aucun risque que je les lisent.

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