Rentrée littéraire septembre 2008 - envie de lire
littérature étrangère
ouvriers séduits par le marxisme et la lutte révolutionnaire ;
libéraux contestataires, rêvant simplement de réformer la Russie ;
autorités qui, conscientes que quelque chose couve, veillent au grain...
C'est dans cette atmosphère de sourde effervescence que s'ouvre le roman-fresque de Boris Jitkov, considéré par Pasternak comme " le meilleur sur la révolution de 1905 ".
La roue de l'histoire, en effet, et avec elle la narration, ne tarde pas à s'emballer : grèves, manifestations, combats de rue, répression, réaction débouchant sur des pogromes d'une violence inouïe constituent la trame de ce Viktor Vavitch aussi chaotique, animé, fracassant que les événements qu'il évoque.
Sur ce fond d'agitation empreinte d'espoir, mais se soldant par un noir désespoir, Boris Jitkov sème ses personnages dont les destins, pleins de promesses, avorteront pour la plupart, à l'image de la révolution manquée de 1905 :
il y a Viktor Vavitch qui rêve de galons d'officier mais se retrouve dans la police ;
il y a Bachkine qui se veut " un type bien " mais devient indicateur ;
il y a le jeune Sanka Tiktine qui n'est guère convaincu par la révolution : le roman s'achèvera pourtant sur son envoi en relégation à Viatka ;
il y a sa sœur, Nadienka, amoureuse d'un ouvrier au cœur de l'action clandestine ;
il y a la jeune Taïnka, sœur de Vavitch, qui aime à la folie le flûtiste juif Israëlson...
Foisonnement de personnages, chaos de couleurs et de sons, Boris Jitkov livre ici le film de 1905, transformant le lecteur en spectateur et auditeur. L'écriture, très cinématographique, joue à merveille de la suggestion, de l'ellipse.
Constamment au plus près de son sujet, Boris Jitkov ne décrit pas, il saisit des images, s'y arrête un instant, nomme parfois, pour aussitôt se hâter ailleurs.
Le " dernier grand roman russe ", a-t-on dit de Viktor Vavitch. Le dernier, en tout cas, à offrir cette écriture qui place la langue et la poésie au-dessus de tout, à l'instar des œuvres d'un Gogol, d'un Biély ou d'un Zamiatine.
Viktor Vavitch est écrit entre 1929 et 1934, puis imprimé en 1941.
La censure stalinienne le juge alors " inconvenant " et " inutile ".
L'ouvrage est envoyé au pilon.
Mais l'imprimeur décèle le chef-d'œuvre et en conserve quelques exemplaires. C'est donc un manuscrit miraculeusement sauvé de l'oubli que le lecteur est invité à découvrir.
Boris Jitkov naît en 1882 dans une famille juive éclairée de Nijni-Novgorod.
Il fait de brillantes études scientifiques et d'ingénieur et est un personnage connu et reconnu de l'intelligentsia russe pré- et post-révolutionnaire.
Ni réprouvé, ni persécuté, il meurt en 1938.
Ce qu'il estimait être son grand oeuvre, Viktor Vavitch, reste toutefois un roman inconnu. L'ouvrage ne sera porté à la connaissance du grand public russe qu'en 1999. Voici la traduction française, précédée d'une belle introduction des traducteurs eux-mêmes.
Voir le dossier et l'extrait du livre du magazine LIRE : http://www.lire.fr/extrait.asp/idC=52775/idR=202/idG=4/idP=1
C'est évidemment un très grand livre - pas seulement très gros.
Considéré comme «inconvenant et inutile» par la censure stalinienne et donc prestement pilonné, «Viktor Vavitch» raconte la révolution manquée de 1905.
Mais pas seulement ; c'est aussi un roman de destinées, telles que les tisse Boris Jitkov, ce marin qui se mit à écrire à 40 ans, âge fort avancé pour un écrivain-né. A dire vrai, il met un certain temps à les croiser, ces destinées: quelques centaines de pages.
Longtemps, on suit tel ou tel personnage sans s'arrêter à aucun. Et puis les voilà qui se voient et se parlent, s'aiment ou se haïssent, se traquent ou se fuient.
Bien sûr on s'y perd: les noms, les prénoms, les patronymes, les diminutifs, les diminutifs de diminutifs, tout cela foisonne comme toujours avec les auteurs russes, et l'on n'a pas honte de se reporter à la liste des personnages.
Les chapitres sont presque tous indépendants, et concernent chacun l'un ou l'autre de ces personnages, parfois un événement ou une scène. Et tout du long, ces séquences quasi cinématographiques s'enchaînent, à mesure que gronde et s'enfle, comme souterraine, la grande rumeur de l'Histoire.
Il n'y a pas de héros, ni d'héroïne, dans «Viktor Vavitch». Seulement des figures, extraordinairement vivantes, mais auxquelles on ne peut s'identifier: trop subtiles et trop véridiques à la fois.
Il n'y a pas de héros, ni d'héroïne, dans «Viktor Vavitch». Seulement des figures, extraordinairement vivantes, mais auxquelles on ne peut s'identifier: trop subtiles et trop véridiques à la fois.
L'ironie de Jitkov, qui dénude les êtres avec une précision cruelle, vous les fait regarder de haut, ou de côté jamais de l'intérieur. Ils sont tous un peu ridicules, à s'agiter dans leur siècle comme des mouches prises dans une toile, sous l'oeil perçant de l'auteur qui attend de les piquer et de les repiquer. Il n'y a pas de héros, mais des camps: le peuple et ses ennemis.
Cela ne s'appelle pas exactement la lutte des classes, car les ennemis du peuple ne sont pas les possédants, ni les industriels, ni même l'Etat - ceux-là sont d'avant la révolte: ils l'ont causée, ils la portent sur leurs épaules, mais ils sont loin, comme Rome dans les pièces «impérialistes» de Corneille: des ombres agissantes et innommées.
Non, l'ennemi du peuple est dans la rue, à cheval, à pied, partout, au coin des rues, dans les bistrots, chez vous. Ce sont les Cosaques, la police, l'armée. Ils vous poursuivent, vous arrêtent, vous insultent, vous tabassent, ou simplement vous regardent de travers, avec méfiance, parce que vous avez l'air d'un intellectuel, ou que vous marchez sur le trottoir. Parfois ils vous tuent. Ils parlent une langue ordurière et s'acharnent sur les faibles.
Il n'y a pas de héros dans ce livre, car le personnage central, Vavitch, devient policier. Par goût de l'uniforme, par mauvaise humeur, par amertume. Par attirance pour le cri et la violence, la schlague. Il n'est pas mauvais, il a une femme gentille, dont il est amoureux - seulement, quelque chose manque, à l'intérieur, qui le ferait exister, à ses propres yeux comme à ceux des autres. Il se sent minable, et le devient donc. Il a peur de ne pas savoir parler, s'asseoir, porter le sabre; il est fier et honteux à la fois, comme un adolescent, il voudrait qu'on le respecte, et tout le monde s'en fout. Alors quand il sort dans la rue, il hurle et frappe fort.
Il y a un autre pivot du livre, Bachkine. Lui est arrêté; on le cogne jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un cadavre vivant; et puis on lui donne le choix: soit il devient indic, soit on continue. Technique imparable, mais imparfaite: Bachkine devient un indic de mauvaise qualité, comme ils le sont tous. Il n'y a pas chez lui ce trou, cette lacune dans la virilité qui fait le flic idéal.
Et puis, il y a les militants, les lâches, les rigolos, les indécis, les fanatiques, les clairvoyants. Les vieilles femmes qui ne comprennent rien, tous ces gens, le peuple. Même les objets regardent les Russes se soulever. Car dans Jitkov, tout a une âme. «La nuit suffoque, l'orage mûrit», les amandes ont une odeur «paisibk et joyeuse», le «dos gras du saumon décapité luit de confusion» et «d'effroi, les bouteilles poussent un «ho» sonore». -extrait du «Nouvel Observateur» du 4 septembre 2008
La littérature de la défunte Union Soviétique n’en finit pas de révéler ses mystères :
côté des dissidents auréolés du prestige de la clandestinité, émergent des écrivains au double visage, l’un souriant au Tsar du communisme, l’autre jetant un regard sans concession sur l’Idéal officiel.
Comme Alexis Tolstoï, l’auteur d’Ibycus, Boris Jitkov est l’un de ces Janus.
Il jouissait des bonnes grâces du régime –satisfait de ses romans pour la jeunesse– tout en œuvrant, de 1929 à 1934, à une fresque cynique des évènements de 1905, répétition confuse de la Révolution d’Octobre.
La censure stalinienne avait vu juste en condamnant, en 1941, Viktor Vavitch au pilon : le goût bolchévique pour l’organisation s’y perd dans le tumulte de la révolte, comme un ruisseau dans un vaste fleuve.
L’air étouffant et sulfureux qui émane de ces pages s’apparente davantage aux miasmes fébriles où se débattent les nihilistes dépeints par Dostoïevski (Les Démons) et Biély (Saint-Pétersbourg) qu’au souffle pur de la Grande Histoire.
Quatre familles s’enlacent et se déchirent au rythme de l’insurrection. Les révoltés se sont pas là où on les attend : les Vavitch et les Sorokine, lignées humbles et provinciales, engendrent un gardien de prison et un policier, tandis que les rejetons des Tiktine et des Rjevski, dignes représentants de la bourgeoisie citadine, succombent aux périlleux délices de l’agitation.
Les chassés-croisés familiaux se compliquent encore avec l’apparition de personnages isolés, comme l’ouvrier Philippe, le traître Bachkine ou le flûtiste juif Israëlson.
Le plus grand mérite de Jitkov est de porter le mélodrame familial sur la grande scène de l’Histoire : les liens amoureux, les amitiés de comptoir et les orgies de bas-fond se révèlent des causes bien plus réelles et palpables que les ordres et les slogans.
Le combat titanesque entre l’Autocratie, appuyée sur l’Armée et la Police, et la Révolution, fomentée par des étudiants, des intellectuels et des ouvriers, se pulvérise en une multitude de règlements de compte aux motifs souvent peu glorieux.
L’héroïsme et la vilenie jaillissent ça et là, dans le chaos de la Ville.
Tous portent finalement le poids de la révolution ratée, entraînés par la pente de la désillusion : Viktor Vavitch, qui rêvait de galons d’officier, se transforme en homme de main de l’Okhrana (la police secrète tsariste), le camarade Philippe est anéanti par une trépanation, l’étudiant Sanka, terroriste malgré lui, est déporté…
Quant à la révolution promise, elle tourne au pogrom et les dignes libéraux, qui ont préféré les discours aux revolvers, s’engluent dans l’impuissance, leur Constitution à la main.
Mais la dernière ligne du roman vibre d’une note d’espoir : Tania Rjevskaïa rejoint Sanka Tiktine dans son exil. Le Suétone de la révolution russe glisse un mot doux dans notre livre d’histoire. -Par Rudy Le Menthéour-http://www.centrenationaldulivre.fr/?Viktor-Vavitch
faillit être le tournant décisif faisant entrer la Russie tsariste de Nicolas II dans la démocratie.
Elle commença en janvier 1905, par le Dimanche Rouge le 22 janvier 1905 et aboutit, dix mois plus tard, à l'octroi d'une constitution : le Manifeste d'Octobre.
Celui-ci aurait pu entraîner de grands changements politiques qui auraient transformé l'autocratie au point de la faire disparaître.
L'évolution économique et sociale du pays avait fait monter les oppositions libérales, démocrates, socialistes et révolutionnaires au régime tsariste.
Il suffisait d'une étincelle pour déclencher une révolution. Ce fut la fusillade du Dimanche Rouge, ou Dimanche Sanglant qui mit le feu aux poudres.
Si le régime réussit à survivre à cette première attaque, le mécontentement grandit et l'opposition se radicalisa.
Des événements, de plus en plus rapprochés, furent autant d'alertes, comme la mutinerie à bord du navire de guerre, le Cuirassé Potemkine ou la fusillade de l'Escalier Richelieu à Odessa, immortalisées dans le Le Cuirassé Potemkine, film d'Eisenstein datant de 1925.
L'opposition s'organisa et déclencha la grève générale d'octobre 1905 qui réussit à faire céder le régime.
Le tsarisme se libéralisait ; mais dans les deux ans qui suivirent, la contre-attaque de Nicolas II réduisit à néant tous les espoirs soulevés par cette révolution de 1905.-wikipédia
Note
Je note...
encore et toujours...
me demande si j'aurais assez de l'année pour lire tout ce que j'ai choisi...
sans compter ce que j'ai encore en réserve...
A lire également :
1905, la révolution russe manquée de François-Xavier Coquin
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