cher Thomas,
Quand vous étiez petits, j'ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous offrir un livre, un Tintin par exemple.
On aurait pu en parler ensemble après.
Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je ne l'ai jamais fait.
Ce n était pas la peine, vous ne saviez pas lire.
Vous ne saurez jamais lire.
Jusqu à la fin, vos cadeaux de Noël seront des cubes ou des petites voitures... "
Jusqu à ce jour, je n'ai jamais parlé de mes deux garçons.
Pourquoi ?
J'avais honte ?
Peur qu'on me plaigne ?
Tout cela un peu mélangé.
Je crois, surtout, que c'était pour échapper à la question terrible : « Qu est-ce qu ils font ? »
Aujourd hui que le temps presse, que la fin du monde est proche et que je suis de plus en plus biodégradable, j ai décidé de leur écrire un livre.
Pour qu'on ne les oublie pas, qu'il ne reste pas d'eux seulement une photo sur une carte d'invalidité.
Peut-être pour dire mes remords.
Je n ai pas été un très bon père.
Souvent, je ne les supportais pas.
Avec eux, il fallait une patience d'ange, et je ne suis pas un ange.
Quand on parle des enfants handicapés, on prend un air de circonstance, comme quand on parle d une catastrophe.
Pour une fois, je voudrais essayer de parler d eux avec le sourire.
Ils m ont fait rire avec leurs bêtises, et pas toujours involontairement.
Grâce à eux, j'ai eu des avantages sur les parents d'enfants normaux.
Je n ai pas eu de soucis avec leurs études ni leur orientation professionnelle.
Nous n'avons pas eu à hésiter entre filière scientifique et filière littéraire.
Pas eu à nous inquiéter de savoir ce qu ils feraient plus tard, on a su rapidement ce que ce serait : rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j ai bénéficié d'une vignette automobile gratuite.
Grâce à eux, j'ai pu rouler dans des grosses voitures américaines. - Jean-Louis Fournier
Pour la première fois dans son oeuvre, Jean-Louis Fournier parle de ses garçons, pour ses garçons.
Parce que le temps presse et qu il faut dire autrement. Dire autrement la question du handicap, sans l'air contrit ou la condescendance.
Comme il l'a fait en 1999 en évoquant son père, Jean-Louis Fournier conserve, pour ce nouveau roman, l'équilibre maîtrisé entre le drôle et la désespérance.
Ecrivain, réalisateur, scénariste français né à Arras.
Humoriste compère de Pierre Desproges,
il a réalisé "La Minute nécessaire de Monsieur Cylcopède" pendant des années, avant d'arrêter la télévision, suite au décès de son ami.
On lui devait également, entre autres création pour la télévision, "La Noiraude".
Jean-Louis Fournier est l'auteur de nombreux succès :
Il a jamais tué personne mon papa (1999),
Les mots des riches, les mots des pauvres (2004),
Mon dernier cheveu noir (2006).
Autant de livres où il a pu s entraîner à exercer son humour noir et tendre.
"Où on va, papa" est peut-être son livre le plus désespérément drôle.
revue de - La tendance de Jérôme Garcin
Si Pierre Desproges, dont on célèbre l'anniversaire de la disparition, montait avec plaisir dans la Bentley bleu marine de Jean-Louis Fournier, une Mark VI, intérieur en cuir rouge, c'était pour baisser la vitre à la vue des badauds et entonner à tue-tête la chanson de son unique 45-tours: «Ca, ça fait mal à l'ouvrier».
Depuis vingt ans, Jean-Louis Fournier essaie de survivre à celui dont il était l'exact contemporain, l'ami intime, le réalisateur attitré (c'est lui qui tourna «la Minute nécessaire de M. Cyclopède») et le conseiller artistique aux Théâtres Grévin et Fontaine.
Signe d'absolue fidélité, il a cessé de faire de la télé - on le comprend, c'est devenu le hublot d'une machine à laver déréglée - pour écrire des livres impertinents que Desproges eût aimés, parmi lesquels «le Curriculum vitae de Dieu», «Mouchons nos morveux» et «Antivol. L'oiseau qui a le vertige».
Fournier appartient à la famille des mélancoliques gais, des humoristes noirs et des moralistes pudiques.
Dans un récit bouleversant, qui paraîtra le 20 août (Stock, 15 euros), il réussit l'impossible: écrire une lettre d'amour à Mathieu et Thomas, ses deux garçons handicapés (moteur et mentaux) sans jamais tomber dans la complaisance ni appeler l'apitoiement. Mieux, il rigole.
Du destin qui l'a frappé deux fois; de sa femme, qui l'a quitté; des avantages fiscaux dont bénéficient les parents d'invalides; de son impuissance à communiquer avec ses deux lutins bossus, tordus, analphabètes, affectueux; et du jour où Desproges est venu leur rendre visite dans l'établissement spécialisé - «lui qui adorait l'absurde avait trouvé des maîtres».
Aujourd'hui, Mathieu est mort.
Seul reste Thomas, vieillard voûté avant l'âge qui ne pourra même pas lire ces pages de hiéroglyphes où un père désespéré lui demande pardon de l'avoir fait venir au monde. Et lui offre une dernière virée dans la Bentley, comme s'il était la reine d'Angleterre. «Où on va, papa?» -http://bibliobs.nouvelobs.com/2008/07/17/desproges-son-ami-ses-maitres
Concernant les autres livres de Jean-Louis Fournier, ce sont de petites merveilles d'humour et de tendresse.
A lire absolument sans perdre de temps !
Par la même occasion, ne pas omettre de lire également Pierre Desproges... c'est féroce... et c'est génial !
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