mardi 9 septembre 2008

Christophe Bataille - Le rêve de Machiavel

Rentrée littéraire septembre 2008

Quelques semaines avant sa mort, à Florence, Machiavel est surpris par la peste. La ville est comme son tombeau. Derrière les palissades, on vit dans la peur, on abandonne ses enfants, on vole du pain gris, on se lave au vinaigre.

En quelques heures, l’humanité s’effondre. Sur les bords du fleuve, un prophète réclame des bûchers.
Une sorcière tombe en transe.
Etrange enfer que cette ville somptueuse, encerclée par les soldats, où se multiplient les meurtres et les viols…
Tel est le piège dans lequel se trouve pris le grand penseur politique, l’homme parfaitement civilisé, le voyageur, l’intriguant, l’écrivain.
Mis à nu par la maladie, seul, Machiavel garde les yeux ouverts. Sans trop savoir pourquoi, il sauve du bûcher une jeune femme malade….
« Et voici ce que je raconte, après dix années de doute et d’esquisses : le dernier amour de Machiavel. Comment le penseur tombe amoureux au milieu des corps et des mauvais rêves. Le prince qu’il n’est pas décide de soigner cette femme, il la lave, la dévêt, lui parle, l’embrasse, s’allonge contre elle, contre elle et contre tout, jusqu’au dernier instant….

Je prends Machiavel à son histoire. J’en fais un homme.

Pour Machiavel, il a fallu ce long chemin. Il a fallu les voyages, l’exil, il a fallu les livres, les traités, les grandes découvertes, les femmes, la bizarre course du temps pour qu’il ne reste rien : rien du grand esprit, rien de la gloire. Car la peste renverse tout. »


Christophe Bataille nous donne un magnifique roman sur la maladie et le néant, qui sonne comme un avertissement : le mal ne se dit pas, et ses formes sont légion.
Mais c’est aussi un roman d’amour, car c’est un geste d’amour qui renverse Machiavel et le monde.
L'Auteur :

Christophe Bataille, né en 1971, est l’auteur de plusieurs romans, parmi lesquels :
Annam (Arléa, 1993)
et J’envie la félicité des bêtes (Grasset, 2002),
Quartier général du bruit (Grasset, 2006).
Il est éditeur chez Grasset depuis 1997.


premier chapitre

Il n'y a pas de Renaissance, il n'y a pas de temps anciens mais il y a dit-on des images secrètes.
Il y a sainte Agathe, les seins tranchés par le vitrail. Il y a l'aubépine en son tablier pourpre.
Il y a les enfants d'autrefois qui marchent, le placen-ta séché autour du cou.
Il y a le sang des oiseaux qui mousse sur ton ventre glabre.
Il y a cette tête d'âne fichée sur un corps d'homme.
On dit que ce crâne, c'est le monde. Et l'homme, est-ce moi ? Ou est-ce Machiavel qui fuit la peste ?
Alors voici : je raconte un homme dans le déchirement, il paraît que c'était il y a des siècles, que cet homme a vécu, qu'il n'y a plus de peste, que tout change, or j'invente très peu, je porte le regard au cœur de ce qui est.

Comme la nuit vient, Machiavel écarte les ro-seaux et voit qu'il est seul.
C'est l'heure. Il s'ébroue et se met en chemin. Ne pas réfléchir, marcher, marcher jusqu'au matin puis se jeter dans un fossé et attendre.
Il ne compte plus les jours.
Bientôt c'est un déluge tiède bordé de saules.
Machiavel marche sans rien voir. Il se récite à voix haute le Marteau des sorcières.
La peste ravive.
La peste libère.
Soudain il bute sur une forme pâle : une fillette le visage plongé dans la boue.
Il s'agenouille et observe sans les toucher sa nuque, ses cheveux noirs, sa robe de toile, ses jambes nues.
Puis l'enfant semble bouger, sa main cherche dans la terre, non, c'est la pluie, c'est le diable.
Machiavel recule brusquement.
Tout vivant qui approche un mort sera condamné au feu. N'est-ce pas la loi ?
Il s'écarte de la biche charmante qui se débat et griffe, il reprend son chemin sous la pluie, frottant le rubis à son doigt, récitant les quatrains qui ne lui vaudront pas le bûcher mais gorgent sa bouche d'eau et de pro-phéties, et il rit, pleurant.

Quand Machiavel arrive devant la petite ville hérissée de palissades et de torches, il sait qu'il peut maintenant quitter le monde mangé par la peste. Il est devant l'arche.

Je suis dans l'enfer.
Je n'ai plus de bouche, plus de nez, plus d'iris.
Quand vient le matin, je me cache. Je bois un peu de vinaigre.
Je ne dors pas. Je respire à peine.
Si je croise un homme, et qu'il m'interroge, je réponds : Ce n'est pas moi, c'est saint Jean. Ça devrait aller, mais non. Je n'effraie plus personne.
Les autres sont comme moi : ils cherchent une ville où la peste ne va pas. Alors je marche. Je veux entrer au mal. Traverser la mort.
La nuit, en marchant, je rêve : je dépose mon crâne au milieu du chemin et je continue.
J'avance vers la porte que nul ne peut fermer, mon dieu, faites qu'elle apparaisse, cette porte ! Mais je connais le sortilège qu'on appelle raison : le bien et le mal circulent, jouent, s'embrassent, lient et délient nos poignets de bois. C'est qu'il n'y a pas d'autre monde, il n'y a même pas ce monde-ci.

Un matin, Machiavel s'éveille le visage imprimé par la terre et découvre entre ses jambes un bouquet d'hyacinthes sauvages qu'il n'a pas froissées.
Il sourit.- Mon dieu, des fleurs... Le jardin...Il essuie une larme. Vite, les porter contre son cœur. Les chérir. Respirer leur parfum. Ecarter les esprits. Sentir ces fleurs qui ploient, tombent, sè-chent, font chrysalide ou papier. Les perdre au vent mais effleurer ce rêve.Il hésite. Il retire sa main. Qu'est-ce qui effraie dans la pureté ?
La hâte. Machiavel est dans le monde, il est impur, il est dans le temps, il est le temps. Ces fleurs peuvent bien vivre.

Il rêve de la petite fille brune qui mange la vase, suffoque, déchire sa robe, tourne, tourne.
Ce n'est qu'un rêve, un rêve de peste mais bientôt il n'y aura plus que ce rêve. Il cherche dans son crâne et dans ses poumons la maison qui rêve pour nous.
C'est la maison brune. Alors il prend la poupée dans ses bras, la poupée sans vie, il l'arrache à la boue et au buisson de feu, il l'élève en criant vers le ciel :
- Regarde Seigneur, voici tes bienfaits ! et ses beaux cheveux vermeils baignent son vieux visage, camphre et musc mêlés, aubépine, radis noir, figues.
Regarde Seigneur ce pauvre corps ! Celui-ci n'est pas le petit Simon de Trente crucifié par les juifs ! C'est ton enfant. C'est ta fille.
Alors Machiavel est seul et sans réponse, et il tremble car la poupée pèse le poids d'un âne mort.-http://www.grasset.fr/chapitres/ch_bataille4.htm

livres déjà lus :
Annam - Prix du Premier Roman 1993

En 1787, l'évêque Pigneau de Bréhaine arme deux navires pour sauver le Viêt-nam de la guerre et de l'impiété.
Après une longue et périlleuse traversée, soldats et missionnaires débarquent enfin dans l'épaisseur verdoyante et les marécages d'un nouveau monde.
Ils ignorent encore qu'au bout de cette splendide quête initiatique surgiront la mort et l'oubli.


Absynthe

On ne connaît, au fond, que l'absinthe des villes, la fée verte des bistrots et des poètes...
Que sait-on de celle des campagnes et des distilleries perdues au milieu des garrigues ?Quand José disparaît, au printemps 1915, il se fait un grand silence dans les collines. On oublie l'absinthe... Mais un enfant de neuf ans a percé ses pouvoirs étonnants. A l'abri du soleil de Provence, il a somnolé dans le désordre des alambics, surpris quelques-uns des mystères et des rites liés à la liqueur verte. Cet ouvrage a reçu le prix de la Vocation.

Note
L'histoire me semble belle, comme j'avais déjà bien aimé 2 précédents livres, je ne doute pas un instant que celui-ci me plaira également.
*
A l'occasion je relirai bien "le Prince"...

2 commentaires:

Lily a dit…

Je vais le lire dans les prochains jours, je viens de le recevoir.
J'avais bien aimé Annam, et Quartier général du bruit. Un auteur à suivre c'est évident :)
je ne savais pas qu'il était sélectionné pour le prix Goncourt (comme l'année dernière il me semble ?)

mazel a dit…

Très tentant, surtout lorsque l'on a déjà lu quelques uns de ces livres.

Et puis, Machiavel, la peste noire... sujets intéressant.

Par contre, je ne me souvenait plus qu'il avait déjà été sélectionné pour le goncourt l'an passé.

Sais pas pour toi, mais je trouve que la selection de cette année n'est pas mal (a une exception près).