vendredi 19 septembre 2008

Guy Scarpetta - La Guimard

rentrée littéraire septembre 2008
sélectionné pour le fémina

Elle se nommait Marie-Madeleine Guimard. Elle fut la danseuse la plus populaire de son temps, l'étoile incontestée de cette danse baroque qui culmina, en France, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Elle fut, en outre, l'une des plus grandes courtisanes de cette époque - comptant, parmi ses amants, tout aussi bien Mirabeau que le duc d'Orléans. Elle fut le modèle et la maîtresse de Fragonard, qui décora son hôtel particulier.
Dans son salon se pressaient nombre d'intellectuels des Lumières, et c'est là, d'une certaine façon, que se préparait cette Révolution qui devait lui être fatale.
C'est bien un narrateur d'aujourd'hui qui entreprend de la ressusciter. Qui ne cesse de méditer sur la vie de son personnage, d'établir (les contrepoints entre le présent et le passé.
Qui se plaît, aussi, à rendre indistincte la limite entre ce qui repose sur des documents attestés et ce qui procède de l'imagination. Parce que la vérité visée n'est pas seulement celle des faits. Non pas, donc, une biographie romancée - mais plutôt un roman biographique.
Biographie

Guy Scarpetta est romancier, essayiste, critique d'art. Il est l'auteur, notamment, de L'Impureté, La Suite lyrique, L'âge d'or du roman, Pour le plaisir.
Il collabore régulièrement au Monde diplomatique.


Revue de presse - La chronique de Bernard PIVOT

Le nouvel amant de la Guimard

Une fascination? Le mot est faible. Un magnétisme charnel. Un charme impitoyable. Une sorte de violente et invincible attraction posthume.
D'ailleurs Guy Scarpetta, tout à sa passion pour Marie-Madeleine Guimard, tout à son ambition de la ressusciter, ne s'est pas contenté d'écrire sa biographie.
Trop convenue, trop sage, une biographie, pas à la hauteur d'une femme aussi hardie et singulière, pas non plus dans le registre d'un écrivain aussi emporté par son ardeur.
Seul un roman - fondé cependant sur de nombreux documents, en particulier un petit livre d'Edmond de Goncourt entièrement consacré à cette femme injustement oubliée - pouvait rendre à l'une sa vitalité à vivre et accroître chez l'autre sa vitalité à écrire.

Quel couple!
Nés tous les deux un 27 décembre, la Guimard en 1743, le Scarpetta en 1946.
Qu'est-ce que ces deux siècles de différence quand il existe deux portraits peints par Fragonard où le visage de Marie-Madeleine Guimard, selon son ultime amoureux, "me semble condenser tout ce que le XVIIIe siècle français a produit de plus léger, de plus libre, de plus élégant, de plus insolent, de plus pétillant, de plus affranchi de toute idée de péché".

Et de s'avouer "physiquement ému, troublé" au point de "désirer la Guimard".

Il n'est pas exagéré d'affirmer que Guy Scarpetta est passé à l'acte, tant sont nombreuses et réussies les pages érotiques où il raconte comment, en toute liberté, sans aucun sentiment de culpabilité, dans son particulier ou au cours d'orgies par elle organisées, elle faisait l'amour à qui lui plaisait.

L'écrivain jouit d'être tour à tour un aristocrate, un banquier, Fragonard, un protecteur, un perruquier, le prince de Conti, un guerluchon (greluchon, mot d'aujourd'hui), le duc d'Orléans, Mirabeau...

La Guimard était une courtisane pour qui l'amour était un art.
Pour son romancier-biographe-amant aussi.
Mais si le corps de cette femme était tant convoité, c'est parce qu'il avait acquis ailleurs que dans les alcôves une gloire inouïe: sur les scènes de l'Opéra et de la Comédie-Française.
La Guimard était la plus adulée danseuse de son époque, qui n'est pas encore celle du ballet classique. C'était alors une danse baroque, intégrée dans des spectacles, opéras et comédies, où elle servait d'intermède.
Les danseurs devaient savoir aussi être des acteurs et, à ce jeu-là, la Guimard était sans rivale.


Elle triomphait encore, entre autres devant Marie-Antoinette, subjuguée, alors qu'elle avait largement dépassé la quarantaine.
Et ce n'est pas seulement sur les scènes publiques qu'elle affichait sa beauté et son talent, sa grâce et sa lascivité (aux cris d'indignation du parti dévot), mais aussi dans son théâtre privé de Pantin, payé par ses protecteurs et entremetteurs.

Sur invitation, le tout-Paris y accourait pour assister à des spectacles ou participer à des soupers qui se prolongeaient dans d'arborescentes débauches...

C'est ce mélange de théâtre et de réalité, cette fusion de la scène et de la salle, cette distribution des corps jouisseurs dans des rôles écrits ou improvisés, qui enchantent Guy Scarpetta.

Intellectuel et libertin, il envie cette époque dont les codes moraux sont très éloignés des nôtres.
S'il a écrit ce livre, c'est pour faire partie, lui aussi, de cette troupe informelle de danseurs, de comédiens, d'écrivains des Lumières, de princes dévoyés, de costumiers, de décorateurs, de musiciens, de fouteurs.

Souvent, il s'interpelle sur les raisons pour lesquelles il s'est lancé dans cette longue aventure avec la Guimard, pourquoi leur histoire s'est interrompue, puis a repris.
D'autres femmes, bien d'aujourd'hui, des danseuses justement, y ont été associées. Mais ne les a-t-il pas inventées? Et la Guimard, tellement vivante, excitante, envoûtante, ne l'a-t-il pas idéalisée pour que, de sa naissance bâtarde à sa mort, en 1816 (la Révolution l'a ruinée, mais lui a laissé l'usage de sa tête), elle soit toujours digne de la force de ses sentiments et de l'éclat de son style?

Ah! il faut voir comment Guy Scarpetta met en mouvement toute sa dialectique pour la disculper d'être réactionnaire, à ses yeux une faute considérable qui eût refroidi ses caresses.

Pourtant, elle s'opposa avec son énergie habituelle à la chorégraphie moderne dont le dépouillement, la simplicité, marquaient un rejet des luxuriances en tout genre où elle avait triomphé.

Elle ne défendait pas des avantages acquis, une position dominante, mais non, elle se rebellait comme tant d'autres, à la veille de la Révolution, contre une autorité qui faisait fi des goûts des artistes et du public.

Faut-il qu'il l'aime, sa Guimard!

Et c'est bien cet amour déclaré, assumé avec le brio d'un romancier et la compétence d'un historien - à quoi il faut ajouter un peu de la mauvaise foi, lui-même en convient, de son nouveau et dernier protecteur -, qui rend le livre de Guy Scarpetta aussi captivant qu'original.
Les deux arts éphémères de la Guimard, la danse et l'amour, se sont trouvés prolongés et justifiés par deux arts plus durables, la peinture (Fragonard) et la littérature (Goncourt, Scarpetta).-http://www.lejdd.fr/cmc/chroniques/200819/le-nouvel-amant-de-la-guimard-_114690.html
Note
Semble séduisant... et puis, rencontre de personages intéressants...

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