jeudi 4 septembre 2008

Les silences éloquents des dames du Femina

Pour se remettre en mémoire les précédents lauréats du prix fémina : http://www.prix-litteraires.net/femina.php
Revue de presse : LE MONDE DES LIVRES 04.09.08


Le rite immuable des rentrées littéraires d'automne oscille entre littérature et fait divers.
Les guerres et la politique elles-mêmes ont une influence sur cette concomitance.
En 1916, ce n'est pas par hasard que le Goncourt distingue Le Feu d'Henri Barbusse - le récit de sa vie dans les tranchées - et que le Renaudot de 1943 revient à J'étais médecin avec les chars, d'André Soubiran.
L'événement crée le choix. Ou l'interdit.
Ainsi, dans son histoire, le Femina a-t-il quelques silences.


Fondé en 1904 par vingt-deux femmes journalistes du magazine La Vie heureuse réunies à l'initiative de la comtesse Anna de Noailles, le prix se voulait une réponse au Goncourt, créé un an plus tôt, qui semblait plus destiné à distinguer des hommes que des femmes.
Le prix relevait ainsi autant de la sociologie que de la littérature : il prit une place importante dans la vie littéraire en général, et dans la rentrée du même nom en particulier.
Pendant les dix premières années du Femina, ces dames accordèrent leurs voix sans distinction de sexe, faisant montre, de Romain Rolland à Marguerite Audoux, de leur bon goût et de leur éclectisme. Mais en 1914, silence. S'il est rompu en 1917 - l'événement faisant choix - c'est pour attirer des lecteurs à L'Odyssée d'un transport torpillé, oeuvre de circonstance du bien oublié René Milan, officier de marine auteur d'ouvrages dans la filiation de Pierre Loti.

La paix revenue, le Femina n'oublie pas Delteil, Bernanos, Saint-Exupéry...
Paul Vialar, lauréat de 1939 pour La Rose de la mer, ne dépare pas dans ce brillant palmarès, et précède un nouveau silence. Pour que le prix renaisse il faudra la fin de l'Occupation. Et ce sera d'une façon inattendue.

Tandis que les dames du Femina se taisent, un écrivain, Pierre de Lescure, et un auteur de dessins satiriques, Jean Bruller, créent une maison d'édition. Leur but, publier des ouvrages "sans avoir à se soumettre à la censure de l'occupant".
L'entreprise est aussi difficile que périlleuse. En 1942, sous le nom de Vercors - pseudonyme qu'il s'est choisi en souvenir de la beauté du site qui deviendra, deux ans plus tard, un haut lieu de la résistance - Bruller publie Le Silence de la mer.
Son premier roman est le premier ouvrage des éditions de Minuit, nom que lui a inspiré Confession de minuit, de Georges Duhamel. Il n'est pas question de prix ni de rentrée littéraire pour ce trio éditeurs-auteur-premier roman.
Ni pour les vingt-sept livres qui paraîtront dans la clandestinité, oeuvres d'Aragon, Mauriac, Maritain, Gide, Eluard... Aux éditions de Minuit, on publie dans l'ombre jusqu'au retour de la liberté, qui est aussi celui du Femina.

Muettes pendant quatre ans, les dames du Femina retrouvent leurs voix en bousculant la tradition. Pour la première fois - du moins officiellement - un prix n'est pas attribué à un auteur mais à une maison d'édition.
En faisant lauréates de 1944 les éditions de Minuit, le Femina rend un hommage à la littérature et reprend sa place dans ce phénomène bien français de la rentrée littéraire.


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