samedi 13 septembre 2008

Les maisons d'édition passent à l'offensive pour les adaptations littéraires à l'écran

LE MONDE 13.09.08 14h51 • Mis à jour le 13.09.08 15h01

Scandaleux et provocateur à l'écrit, fade et franchement décevant à l'écran. Si la sortie en salles mercredi 10 septembre de La Possibilité d'une île, de Michel Houellebecq, n'a qu'un lointain rapport avec le texte original, il sacrifie au principe récurrent de l'adaptation littéraire au cinéma (Le Monde du 9 septembre).

Méliès déjà adaptait Jules Verne. Un siècle plus tard, près de 40 % des films français sont peu ou prou inspirés par des livres, selon le magazine Livres Hebdo.
"Un chiffre optimiste", tempère Roland Neidhart, directeur de la société civile des éditeurs de langue française, en charge des droits dérivés des éditeurs.

De 2000 à 2007, le chiffre d'affaires généré dans l'édition française par les droits cinématographiques est passé, selon lui, de 3,5 millions à 5 millions d'euros. "C'est une tendance inflationniste" confirme Claire Breuvart-Kreidel, présidente du Forum international Cinéma et littérature. "Le choix d'une adaptation littéraire au cinéma rassure les producteurs. Ces derniers limitent leurs risques en utilisant un titre déjà connu, qui suscite plus facilement le désir des spectateurs."

Et chacun s'y retrouve, insiste-t-elle : "Ces films apportent une deuxième vie au livre, en relançant ses ventes. C'est d'ailleurs vrai même si le film n'est pas un succès en salles." A vérifier pour ce Houellebecq.

L'adaptation littéraire reste toutefois un art risqué. "Le cinéma est un cimetière de projets non aboutis", rappelle l'agent François Samuelson, l'un des rares à présider en France aux destinées d'écrivains (Michel Houellebecq, Fred Vargas...) et d'acteurs ou réalisateurs (Juliette Binoche, Olivier Assayas).

Après le spectaculaire transfert de l'auteur des Particules élémentaires de Flammarion chez Fayard en 2004, pour plus d'un million d'euros, François Samuelson espérait profiter de la force de frappe du groupe Lagardère, comme éditeur et producteur.

A CHACUN SA MÉTHODE

Ce couplage roman-long métrage devait être une première pour La Possibilité d'une île. Il n'en a rien été. Le premier devis de GMT, la filiale de production du groupe Lagardère (11 millions d'euros), n'a pu être bouclé. C'est le producteur indépendant Mandarin Cinéma qui a mené à bout ce film, avec 4,5 millions d'euros.

Entre producteurs et éditeurs, chacun a sa méthode pour travailler. "Mais je connais peu de producteurs qui prennent une option sur un livre sans être assurés d'avoir convaincu un metteur en scène de se lancer dans l'aventure", explique M. Samuelson.

Certains auteurs prennent donc l'initiative d'envoyer leur roman à un cinéaste : c'est ainsi que Villa Amalia, adapté du roman de Pascal Quignard, vient d'être tourné par Benoît Jacquot.

Aux yeux de Jean-Marc Roberts, directeur des Editions Stock, lui-même romancier, "jusqu'au début des années 1980, un livre était plutôt quelque chose d'inquiétant, voire d'assez ringard pour un producteur. Aujourd'hui, c'est devenu rassurant".

Les romans de huit auteurs Stock, dont Philippe Claudel, Valérie Tong Cuong, Laurence Tardieu ou Justine Lévy, font l'objet d'une option d'adaptation à l'écran. Avec son lot de difficultés, d'adaptation ou de production. Stock a même dû entrer dans la production de La Question humaine de Nicolas Kotz, pour sauver le film.

La plupart des grosses sociétés d'édition disposent d'au moins une personne chargée des droits cinématographiques. Chez Gallimard, Prune Berge réunit, tous les quinze jours, son équipe de lecteurs pour discuter du choix d'un metteur en scène susceptible d'adapter un ouvrage. "Quand le réalisateur est passionné, il trouve lui-même son producteur, explique-t-elle. A chaque fois que je cède des droits à un producteur sans connaître le réalisateur, je ne suis pas sûre que le film se fasse."

Actuellement quarante-huit auteurs Gallimard font l'objet, à des stades divers, d'une adaptation à l'écran, parmi lesquels François Bégaudeau : depuis la Palme d'or décrochée à Cannes, Entre les murs s'est vendu, rien qu'en poche, à 100 000 exemplaires. Sont aussi concernés Cadavres, de François Barcello, La Commedia des ratés, de Tonino Benacquista, Babylon Babies, de Maurice G. Dantec, L'Occupation, d'Annie Ernaux...

Les droits se vendent entre 30 000 euros et un million d'euros, habituellement partagés 50/50 entre l'éditeur et l'auteur. Mais un auteur très connu peut toucher jusqu'à 70 %. Quand l'option est levée, le producteur bénéficie généralement de quatre ans pour faire son film.

Les très bonnes affaires sont rares. La productrice Anne-Dominique Toussaint a acquis, en novembre 2006, les droits de L'Elégance du hérisson chez Gallimard. Ce roman de Muriel Barbery avait déjà été vendu à 100 000 exemplaires quand la productrice, poussée par la jeune réalisatrice Mona Achache, a décidé de l'acheter. Depuis, près d'un million de livres ont été écoulés.

Les best-sellers font l'objet d'enchères : Et après, de Guillaume Musso, a ainsi été vendu par Fixot à Fidélité Production. TF1 International et Lakshore Entertainement ont eux décroché l'adaptation du roman d'espionnage Le Parfum d'Adam, de Jean-Christophe Rufin.

L'un des faits d'armes dans la profession fut la cession, pour 2 millions de dollars, des droits du premier roman de Marc Lévy, Et si c'était vrai, à Steven Spielberg par l'agence littéraire Susanna Lea. Produit en 2004, ce film a rapporté 48 millions de dollars en deux semaines dès sa sortie aux Etats-Unis.

Les prix flambent. Selon une récente étude du Centre national de la cinématographie, parmi les dix films ayant le plus investi en écriture, l'an dernier, figuraient cinq adaptations de romans : Le Scaphandre et le Papillon, de Julian Schnabel, Pars vite et reviens tard, de Régis Wargnier, 99 Francs, de Jan Kounen, Ne le dis à personne, de Guillaume Canet, et Ensemble c'est tout, de Claude Berri.

Pour la plus grande satisfaction de Claire Breuvart-Kreidel, qui note qu'en Europe "les tarifs des droits d'adaptation cinématographique commencent enfin à s'aligner sur ceux pratiqués aux Etats-Unis". -Nicole Vulser

Le club fermé des écrivains-réalisateurs
Avec la sortie en salles, mercredi 10 septembre, de La Possibilité d'une île, Michel Houellebecq rejoint le club fermé des écrivains-réalisateurs qui transposent eux-mêmes leurs romans à l'écran, comme Christophe Honoré, Emmanuel Carrère, Yann Moix, Alexandre Jardin, ou encore l'auteur de bandes dessinées Enki Bilal. Plutôt qu'appeler un réalisateur à la rescousse, ils prennent le risque du passage derrière la caméra. Marc Dugain va s'y essayer à son tour. Il doit tourner, début 2009, le film tiré de son dernier roman, Une exécution ordinaire.

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