samedi 6 septembre 2008

Claude Izner - Le Carrefour des écrasés

livre de chevet
polar historique

Le Carrefour des Écrasés, situé entre la rue Montmartre et le Faubourg Poissonnière, porte bien son nom.
En ce mois de novembre 1891, le corps " sans visage " d'une jeune femme est découvert au petit matin sur le carrefour.
Tout de rouge vêtue, la jeune femme ne portait pas de chaussures. Ce même jour, un certain Grégoire Mercier" berger en chambre " rue des Reculettes (XIIIe arrondissement), rapporte à Victor Legris, libraire et enquêteur à ses heures, un escarpin rouge de femme, contenant, en guise de semelle, le papier à en tête de sa librairie de la rue des Saints-Pères.
Une nouvelle piste qui conduit notre enquêteur du Chat Noir au Moulin Rouge où se croisent les personnages les plus variés.
Claude Izner, dans cette troisième aventure de l'intrépide Victor Legris et de son truculent commis, Joseph, nous entraîne de nouveau dans un merveilleux voyage au cœur du Paris de la fin du XIXe siècle

on l’aime bien ce libraire détective qui, tout en menant des enquêtes originales, nous fait visiter ce Parix du XIX° siècle où les personnages ont des prénoms au charme désuet comme Zénaïde, Eudoxie, Isidore, Eulalie, ou encore Aspasie.
Dans cette aventure, Victor Legris nous entraîne à Montmartre, au Moulin-Rouge ce qui nous permet de croiser Alphonse Allais, Toulouse-Lautrec, Valentin le désossé ou la Goulue, et où même le Prince de Galles vient s’encanailler.
On y danse un Cancan endiablé : “Fifi Bas-Rhin soulevait l’avalanche crémeuse de ses jupons pour dévoiler ses mollets galbés en un déhanchement frénétique.
Elle s’élança et retomba dans un grand écart, déployant sur cinq mètres sa jupe de satin noir.”
Ce qui est d’érotisme total :“- Vous voyez cette ligne rose entre la jarretière et les volants du pantalon ? hurla Navarre.
C’est pour cet éclair de peau nue que des irréductibles reviennent tous les soirs !”.
C’est avec plaisir qu’on retrouve les autres personnages : Kenji Mori, le père adoptif de Victor, Tasha, sa fiancée, qui cherche toujours sa voie dans la peinture, et Joseph, le commis, qui recueille les faits divers en vue d’écrire un roman de mystère, comme Emile Gaboriau ou Conan Doyle dont the sign of four vient de paraître.
Et l’enquête ?
A partir de cette chaussure Victor va remonter jusqu’à La Gerfleur, qui chante des chansons réalistes au théâtre de l’Eldorado :
Voyez ce monsieur qui se presse
Où va-t-il,
où court-il ainsi ?
Il court vers le logis de sa maîtresse
La jolie et tendre Sophie.
La Gerfleur qui reçoit d’étranges menaces.
Quel rapport avec la jeune fille trouvée défigurée ?
Quel rôle joue ce Gaston Molina, qui était son ami, et qui a disparu ?
Et que signiflie le billet trouvé dans son vestiaire : “Charmansat ché ma tante. Aubertot, goche cour manon sale pétriaire. Rue L rdc 1211” ?
Autant de questions auxquelles devront répondre Victor Legris et Joseph dans cette nouvelle enquête qui mêle avec adresse mystère et humour.
Des livres comme ça, on en redemande ! Et en plus les couvertures sont vraiment superbes ! Elles nous plongent avec délice dans cette “Belle Epoque” que Claude Isner fait revivre avec bonheur pour notre plus grand plaisir.

biographie
Claude Izner est l'auteur d'une série publiée aux éditions 10-18 dans la collection grands détectives : Les enquêtes de Victor Legris
Mais ce pseudonyme cache en réalité deux sœurs, Laurence Lefèvre et Liliane Korb, qui écrivent ensemble depuis plus de dix ans.
Leurs premiers romans à quatre mains ont d'abord été destinés à un public de jeunes lecteurs, et les deux sœurs se sont tournées vers la littérature policière depuis 1999.Voici une brève biographie des auteurs :

Liliane Korb
Née en 1940, Liliane a d'abord exercé le métier de chef monteuse avant de devenir bouquiniste sur la rive droite. elle a participé à l'écriture de plusieurs spectacles audiovisuels et pièces de théâtre.

Laurence lefèvre
Née en 1951, Laurence devient bouquiniste en même temps que sa sœur dans les années 1970. Parallèlement à son métier de libraire elle écrit des deux romans pour adultes dont l'un recevra le prix de la société des gens de lettre.
Ephéméride de l'année 1891 :
07/04
Mort du fondateur du ciruqe Barnum.

11/04
Naissance du compositeur russe Serge Prokofiev.

01/05
Aristide Briand est surpris en pleine nature dans les bras d’une femme mariée. Ce scandale, qui lui vaut un mois de prison pour outrage public à la pudeur, a failli mettre un terme à sa carrière politique.

03/05
Amputation du jeune Rimbaud.

28/09
Mort du poète et romancier américain Herman Derville, auteur de Moby Dick.

10/11
Le poète maudit, Arthur Rimbaud, disparaît à trente-sept ans, au moment même où les lettrés s’arrachent les exemplaires du Reliquaire, premier recueil de ses premiers poèmes
.


LE BERGER EN CHAMBRE - http://www.paris-pittoresque.com/perso/18.htm
(D'après Les célébrités de la rue, paru en 1868)

On m'accuserait certainement de fantaisie ou d'invention, si, pour justifier l'authenticité des types dont j'ai entrepris de tracer les silhouettes au crayon et à la plume, je ne citais pas mes auteurs.
Le Berger en chambre n'existe plus aujourd'hui ; mais il existait hier. Ce n'est qu'à l'excessif développement de notre civilisation et aux travaux immenses entrepris récemment que nous devons la perte de ce type, l'un des plus curieux de cette modeste galerie.
Avant nous, et avec plus d'autorité, puisqu'il s'était fait une spécialité de ces études, Privat d'Anglemont avait signalé l'existence de Jacques Simon.

Simon est né à Bourganeuf, il doit avoir aujourd'hui soixante-huit ans. Il commença par servir les maçons, se lassa de ce métier, et se fit garçon de bureau.
Il épousa le premier nez retroussé qu'il trouva sur son chemin, et, après quelques années de mariage, la trop féconde madame Simon, qui avait déjà mis au monde deux jumeaux, accoucha de trois jolis garçons frais et roses.

La Quotidienne donnait chaque jour des nouvelles de la mère et de l'enfant, et toutes les bonnes âmes du quartier se réunirent pour fournir la triple layette.

On fit un rapport à l'assistance publique, qui envoya deux chèvres à la pauvre mère ; mais la Quotidienne avait un peu fardé la vérité : les enfants n'étaient ni frais ni roses, au contraire, et madame Simon ne put résister à cette couche : elle mourut huit jours après ; les trois enfants la suivirent.

Voilà notre Jacques Simon sans femme et à la tête de deux enfants et de deux chèvres.

Cependant, les dames du quartier, pleines d'intérêt pour l'infortune du brave homme, lui achetaient assez régulièrement son lait et ses chevreaux. Simon conçut alors l'idée de guérir les maladies de poitrine et d'exploiter les organisations délicates.

Il connaissait des carabins ; il apprit de l'un d'eux qu'il suffisait d'introduire dans l'alimentation d'une chèvre un élément ioduré pour que le lait de l'animal eût des qualités fortifiantes.

Avec beaucoup de probité et un peu de bonheur, il prospéra ; il eut deux étables à quatre-vingt-dix marches au-dessus du niveau du sol du Collège de France, au cinquième étage, étables partagées en CINQUANTE-DEUX BOXES.

La nourriture spécialement affectée à chaque animal était contenue dans une armoire placée au-dessus de la crèche, et, peu à peu, à mesure que la partie scientifique de l'exploitation de Jacques Simon se développa, on put lire au-dessous des noms de chaque chèvre des inscriptions ainsi conçues : Mélie Morvanguilotte, – nourrie à la carotte, pour madame M..., attaquée d'une maladie de foie.

Jane la Rousse,
– foin et herbes de menthe,
– mademoiselle A..., pâles couleurs.
Marie Noél, née à l'étable de Jeannette et de Marius, – nourrie de foin ioduré, pour le fils de M..., sang pauvre.

Jacques Simon s'habillait en paysan et portait une veste courte, des sabots, un chapeau à larges bords, et ne négligeait même pas la houlette. Vous avez pu le voir comme nous à l'époque où nous fréquentions le Collège de France.
Il menait paître ses chèvres du côté des buttes Chaumont, dix par dix ; et un jour, de grand matin, nous allâmes nous poster au bas de son escalier, dans une des plus sombres maisons de la rue d'Ecosse, pour voir les chèvres accomplir leur descente ; nous n'avions pas voulu ajouter foi au récit de Privat d'Anglemont, qui nous assurait que Jacques Simon possédait de vertes prairies et une Suisse en miniature à un cinquième étage.
C'était un singulier spectacle, de voir les chèvres descendre les marches de cet escalier, sous la conduite du Berger en chambre, vêtu de sa limousine et sa houlette à la main.
Jacques Simon aura transporté ses pénates hors les murs, fuyant les ingénieurs et les maçons, ces terribles niveleurs.

M. Haussmann, le sectaire de la ligne droite, à cette révélation inattendue de l'existence d'une étable comptant cinquante-deux têtes de bétail au cinquième étage d'une maison de la rue d'Ecosse, aura mandé messieurs de la Voirie pour avoir à faire cesser ce scandale.
Toujours est-il que le Berger en chambre n'existe plus et que ces lignes auront été l'oraison funèbre de cet excentrique philanthrope.



Note :

Déjà lu un livre de cette série... seul ennui, impossible de me souvenir duquel...
Pour les illustrations - peintres :Seurat, Signac, Corot...

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